Les choses bougent au Kazakhstan. Les hommes d’affaires français qui y travaillent le répètent à l’envi. L’ex-république soviétique au sous-sol si riche, située entre Russie et Asie centrale, n’en finit pas de s’intégrer dans le monde globalisé ainsi que dans son voisinage immédiat, de mettre son économie au diapason des pratiques internationales, et de multiplier les liens avec les entreprises venues de tous les continents. Un contexte foisonnant, parfois déstabilisant du fait des contradictions qui en résultent, ouvert malgré un héritage soviétique handicapant, et plein d’opportunités d’affaires.
2011et 2012 auront été les années où le Kazakhstan est entré dans le top 50 du classement « Doing Business » de la Banque mondiale (49e sur 185 pays classés). Malgré les nuances qui doivent être apportées à ce classement, il faut reconnaître que cela témoigne tout de même de la volonté d’Astana de s’intégrer dans l’univers occidental des affaires. Mais 2012 aura été aussi l’année de l’entrée de ce pays de 16 millions d’habitants dans une Union douanière avec la Biélorussie et surtout avec l’ancienne puissance coloniale qu’est la Russie qui, avec son marché de 143 millions de personnes, a imposé ses vues et ses taux de droits de douane dans cette nouvelle union.
Cette année, le Kazakhstan a connu une croissance de 5,5 %, tirée par les industries extractives. Le pays produit 1,8 million de barils par jour, ce qui en fait le 19e producteur de brut mondial. Le pays connaîtra un bond en avant en 2013 grâce à la mise en production du gisement géant de Kashagan. La croissance est aussi tirée par l’industrie minière, le pays disposant de toute la variété de la table de Mendeleïev dans son sous-sol. Fin 2009, il est ainsi devenu le premier producteur mondial d’uranium, pour le plus grand bonheur d’Areva.
Pourtant, Astana entend éviter les maux des pays pétroliers. En effet, l’autoritaire président Nazarbaïev, 72 ans, à la tête du pays depuis 1989, veut absolument diversifier l’économie nationale. Tous les ministères sont priés d’y travailler. Pour les entreprises françaises, c’est une bonne nouvelle, qu’il s’agisse des fleurons du CAC-40, comme Alstom ou EADS, ou des PME. Et ce d’autant que le président kazakhstanais veut le meilleur en qualité et en valeur technologique. Ce pourquoi le « partenariat stratégique », initié en 2008 par les deux présidents Nazarbaïev et Sarkozy offre un cadre politique idéal.
Avec ce leitmotiv, bénéficiant notamment aux secteurs de l’agriculture, du transport ou de l’industrie de la défense, le pays suit plusieurs orientations décrétées par Noursoultan Nazarbaïev, dans le cadre des grands programmes d’Etat qu’il affectionne. Qu’il s’agisse de l’innovation technologique, de la modernisation, de la construction d’infrastructures, le pouvoir pousse les investissements nationaux et étrangers dans toutes ces directions alors que le pays poursuit sa sortie du modèle industriel soviétique et qu’il doit composer avec un territoire grand comme cinq fois la France.
C’est cette dynamique qui rend les dirigeants kazakhstanais à l’écoute de leurs partenaires étrangers pour améliorer le cadre de leurs opérations. Un exemple avec EADS : « Nous avons expliqué pourquoi les commandes doivent être multi-annuelles, explique Silvère Delaunay, directeur général d’EADS Kazakhstan. C’est indispensable lorsqu’il s’agit de ce type de gros contrats avec des cycles industriels excédant douze mois. La loi a été révisée ». Pourtant, ce n’est jamais simple de bouger l’administration sur d’aussi lourdes questions que la planification budgétaire, d’autant que la bureaucratie locale est empreinte de réflexes soviétiques et trop souvent corrompue.
Mais cette administration accepte de se réformer, elle qui est si importante dans un pays où la holding d’État Samruk-Kazina produit la moitié du PNB. « Nous conseillons le gouvernement notamment pour créer une fonction publique, indifférente aux changements politiques. Ce qui est difficile, les salaires étant beaucoup plus bas que dans le privé. Il nous faut donc rendre les postes de fonctionnaires attractifs par la sécurité de l’emploi ou avec des plans de carrière bien établis. Les autorités nous suivent dans ces domaines », affirme George Myrogiannis, qui dirige une équipe de consultants sur des projets notamment conduits par DMI, une société lyonnaise spécialisée dans le conseil en politiques publiques.
Fort de cet esprit d’ouverture, le Kazakhstan est devenu l’incontestable leader régional. Une cinquantaine de sociétés françaises y sont actives. Outre une demi-douzaine d’entreprises du CAC-40, on y trouve de plus en plus de PME-PMI. « On peut faire des affaires ici. Le Kazakhstan a considérablement progressé depuis que je suis arrivé il y aura bientôt vingt ans, même s’il reste un pays où il y a des clans, et où les relations entre personnes comptent beaucoup », observe Marc Bassot, directeur de Checkpoint, société de consulting en implantation fournissant aussi des services de formation et de recrutement. Le pays aimerait devenir la plaque tournante de la région. D’où ses efforts pour entrer dans l’OMC au plus vite, ce qui ne devrait pas se faire avant fin 2013. Toute sa politique de transport vise à recréer la Route de la soie, entre la Chine et l’Europe. Plusieurs entreprises françaises se sont implantées dans la steppe kazakhe avec des visées régionales : Alstom, EADS, ou Danone. Les Kazakhstanais voulaient croire que l’Union douanière avec la Russie et la Biélorussie, entrée en vigueur le 1er janvier 2012, allait offrir un marché de 170 millions d’habitants aux entreprises qui s’installeraient chez eux. En réalité, les faits sont moins roses.
L’abolition des frontières au sein de l’Union est plus sur le papier que réelle. Les industriels kazakhstanais ont publié ces derniers temps des tribunes dans les journaux du pays pour dénoncer le fait qu’ils ne peuvent pas écouler leurs produits en Russie tandis que les concurrents du Nord peuvent le faire au Kazakhstan. Une réalité inquiétante alors que Moscou avait imposé des droits de douanes élevés, obligeant les consommateurs kazakhstanais à acheter des automobiles russes, qu’ils détestent, plutôt que des modèles européens ou japonais.
Au total, voilà un pays attrayant malgré les 4 762 km qui séparent Paris d’Astana, et ce sans liaison aérienne directe. Le climat des affaires est plutôt séduisant et la variété des secteurs de plus en plus grande. Si le pays semble actuellement stable politiquement, il reste néanmoins une certaine inquiétude quant à la succession de M. Nazarbaïev, 72 ans, la présidence Kazakhstanaise ayant concentré tous les pouvoirs.
Régis Genté (envoyé spécial au Kazakhstan)
Chiffres-clés
Population : 16,56 millions d’habitants (2011)
Superficie : 2 724 900 km² (9ème pays au monde)
Frontières : 12 185 km dont Russie (6 486 km), Ouzbékistan (2 203 km), Chine (1 533 km), Kirghizistan (1 224 km), Turkménistan (379 km)
Distances : Paris-Astana : 4 753 km ; Aktaou-Astana : 1 717 km ; Astana-Almaty : 974 km
Taux de croissance réelle du PIB : + 5,5 % (2012), + 5,7 % (2013)
Revenu national brut par habitant : 11 310 dollars (2011). PIB par habitant : 13 189 dollars (2011)
Taux de chômage : 5,7 % (2010)
Infrastructures : réseau ferroviaire : 15 082 km ; réseau routier : 93 612 km
Principales zones économiques spéciales : Atyraou : Petrochemical Park ; Aktaou : Marine Port Aktaou ; Astana : Astana New City (en construction) ; Burabay : bois ; Almaty : IT park ; Shymkent : Ontustyk (textile)
Sources : FMI, Banque mondiale