Cathay Capital présente l’originalité d’être une société de capital-investissement franco-chinoise. Fondée en France en 2007 par l’entrepreneur chinois francophile Mingpo Cai et un spécialiste français du « private equity » Edouard Moinet, il a inscrit dans son ADN et sa stratégie cette biculturalité. Fonds de croissance, sa troisième levée de fonds, en septembre 2012, a consisté à se voir confier la gestion du premier Fonds franco-chinois (Sino-french Fund) de 150 millions d’euros, abondé à 50-50 par la Caisse des dépôts et consignation (CDC) et la China Dévelopment Bank (CDB). De quoi favoriser bien des rapprochements.
Le Moci. Avez-vous carte blanche sur l’utilisation du Fonds franco-chinois ?
Édouard Moinet. Par nature notre métier, le private equity, est organisé avec une autonomie de gestion. Notre société de gestion à un mandat précis, et nous sommes structurés sur des FCPR (Fonds commun de placement) de droit français. On a donc carte blanche dans le cadre du mandat qui nous a été confié, mais comme la stratégie que l’on mène depuis 2007 est exactement celle qui figure dans le mandat, nous continuons sur cette lancée.
Le Moci. Quelle est cette stratégie d’investissement ?
E. M. Notre structure est fondamentalement biculturelle. Génétiquement par les deux associés fondateurs, Mingpo est chinois, je suis français. Par l’équipe, pour moitié en Chine – nous avons des bureaux à Pékin – et pour moitié en France, à Paris. Par la stratégie d’investissement : 50 % dans des PME françaises, 50 % dans des PME chinoises. Tout cela sur les mêmes fonds d’investissement : nos actifs sont pour moitié en Chine et pour moitié en France.
Le Moci. Quelle est la logique de cette démarche ?
E. M. Ce que l’on dit à nos souscripteurs : vous investissez dans un modèle qui propose un très bon arbitrage de risques et qui a du sens en contribuant à faire mieux se connaître deux cultures économiques différentes. En France, notre métier est mature, encadré. Mais malheureusement, nous sommes dans un environnement économique qui n’est pas en forte croissance. Dans ce contexte, les entreprises qui sont trop franco-françaises procurent des retours sur investissements relativement faibles. Elles peuvent trouver un fort relais de croissance en Chine. Ce sera tout le travail de l’équipe Cathay de les y accompagner. Nous sommes véritablement un fonds de croissance. À l’inverse, en Chine, les PME vont très vite mais elles ne sont pas toujours très bien organisées et financées. Notre métier y est plus récent : les dirigeants chinois n’ont pas le réflexe ni l’habitude de travailler sur des pactes d’actionnaires, sur la planification de leur stratégie dans un business plan, etc. Nous essayons de réduire ce risque de surchauffe en transférant notre expérience professionnelle d’investisseur en Europe, en les amenant à plus de transparence, plus de gouvernance, une mise aux normes de leur société (comptable, fiscale, environnementale…). Il s’agit de les préparer soit à une stratégie de développement international, soit à une acquisition par un groupe français, soit à une introduction en bourse. Nous aidons aussi les PME chinoises sur leur principal défi pour les 20 prochaines années : mieux comprendre et mieux réussir l’international et s’adapter aux spécificités de chaque marché en Europe et aux États-Unis.
Le Moci. Sur chaque dossier de PME française, vous intervenez selon ce principe biculturel ?
E. M. Nous avons toujours un responsable français et un responsable chinois sur chaque opération. Tout le travail de cette équipe transfrontière est de pousser nos entreprises sur le marché chinois : cela peut se faire par acquisitions, par des investissements « from scratch » (NDLR : de zéro), par des partenariats commerciaux. Il s’agit d’aller chercher de la croissance là où elle se trouve et de créer ainsi de la valeur. Aujourd’hui, dans un univers qui s’est globalisé, une PME de 100 ou 200 millions d’euros de CA qui a réussi ses premiers pas à l’export a forcément une valeur intrinsèque et intangible plus forte qu’une société restée locale. De plus, nous accompagnons dans la durée. C’est important car faire une acquisition en Chine n’est pas compliqué en tant que tel mais la faire réussir durablement est autrement plus difficile… Les exemples de partenariats qui ont capoté ou qui ne se sont pas bien passés ne manquent pas. Notre enracinement en Chine et en France permet de créer des liens de confiance dans la durée.
Le Moci. Cette parité entre les investissements en France et en Chine est-elle intangible où peut-elle aboutir à des joint-ventures ?
E. M. Notre mandat de gestion est d’avoir une répartition à peu près équilibrée entre Chine et France. Mais notre fonds peut investir dans la même société sur les deux pays. Nous avons 25 sociétés en portefeuille aujourd’hui, il y en a cinq qui ont fait des acquisitions sur le territoire chinois, d’autres qui ont démarré de zéro.
À l’inverse, les PME chinoises de notre portefeuille, qui ont tant à faire sur leur territoire, ne sont pas encore dans une logique d’acquisition en France. Certaine sont toutefois déjà dans une logique exportatrice.
Le Moci. Y’a-t-il des secteurs qui dominent ?
E. M. C’est très diversifié, c’est pour cela qu’on a un dealflow relativement important. Nous avons trois grands pôles : le premier est le retail, avec des marques comme Yves Delorme, Mauboussin, dont on développe l’image, un savoir-faire. Le deuxième pôle concerne la santé humaine et animale : la France a développé un savoir faire depuis l’après-guerre qui rencontre un écho certain sur le marché chinois aujourd’hui. Le troisième pôle est l’industrie de niche, où l’on trouve des sociétés qui ont une technologie, une productivité et une capacité à vendre sur le territoire chinois. Je précise qu’aucun de nos investissements n’est dans une logique sourcing Chine/distribution France. Nous considérons la Chine d’aujourd’hui comme un marché de consommation, qu’il soit BtoB ou BtoC. Il faut se décomplexer et y aller.
Le Moci. Des exemples de produits qui ont bien marché en Chine ?
E. M. On en trouve même dans des secteurs traditionnels car les PME françaises ont des savoir-faire et une productivité que les Chinois nous envient ! Un de nos plus beaux succès en Chine a été un investissement dans Suofeiya, société sœur de la française Sogal, avec laquelle nous avions des liens capitalistiques jusqu’en 2009. Nous l’avons coté en Bourse à Shenzen l’an dernier et elle a un parcours remarquable depuis. Suofeiya était spécialisée dans l’optimisation de l’espace de l’habitat avec la fabrication de dressings et de placards et voulait élargir son marché à la cuisine. Elle s’est inspirée de ce qu’a fait Sogal, un leader français de l’aménagement de l’habitat, et a été pionnière dans les aménagements sur mesure en Chine.
Le Moci. Avez-vous d’ores et déjà des investissements qui se concrétisent au titre du Sino-French Fund ?
E. M. Le Sino-French Fund a démarré en novembre 2012. On a fait un premier investissement dans une société française, Flexitallic, une belle PME qui est en train de devenir une ETI internationale. Elle est spécialisée dans les protections et joints de haute technicité pour l’industrie pétrolière, nucléaire et gazière. C’est une bonne illustration de ce que nous faisons car c’est une entreprise qui fait 220 millions de CA, qui est présente dans toutes les grandes zones de production énergétique mais qui peut mieux faire en Chine. Nous disposons d’un vrai levier commercial pour les aider à percer avec la China Development Bank (CDB). CDB a en effet 1 000 milliards d’actifs sous gestion, c’est elle qui a financé toutes les infrastructures clés du pays. Pour elle, c’est assez facile d’arranger des rendez-vous à haut niveau dans le secteur énergétique pour l’équipe de direction de Flexitallic…
Le Moci. Dans les sociétés françaises, il y a encore une forte appréhension à aller en Chine à cause des problèmes de propriété intellectuelle. Est-ce que cela évolue ?
E. M. Je pense que ça évolue favorablement. Le corpus juridique commence à se mettre en place, y compris sous la pression des groupes chinois. Je prends exemple sur nos deux derniers investissements en Chine, dans des sociétés concernées au premier chef par ces problèmes : eBao, qui est un éditeur de logiciels ERP pour les compagnies d’assurance et qui a l’ambition de s’internationaliser ; et Bandweaver, qui est dans la fibre optique et qui dépose entre dix et quinze brevets par an. On n’est plus dans la Chine « usine du monde » des années 80-90. On peut aussi élargir le sujet : il y a des brevets français qui n’intéressent plus le marché français ou européen mais peuvent intéresser le marché chinois. Nous avons l’exemple d’une société chinoise, Sinder, qui est un laboratoire vétérinaire qui fabrique des vaccins et des antibiotiques pour l’élevage, dont nous sommes actionnaires. Il y a trois ans, Sinder a été amenée à répondre à un appel d’offres pour un vaccin contre la rage, fléau qui fait encore 10 000 morts par an en Chine. Il se trouve qu’on connaissait un laboratoire coté en France, qui avait un très bon produit qu’il ne commercialisait presque plus. Cathay a fait en sorte de mettre en relation ces deux entreprises.
Propos recueillis par Christine Gilguy
Les chiffres clés de Cathay Capital
– Montant de l’investissement type : entre 10 et 30 millions d’euros par affaire, plus avec ses partenaires.
– Modalités : seul, en chef de fil, en consortium ou en accompagnement. Apport de capital croissance (renforcement de fonds propres), transmission et restructuration de capital.
– Moyens financiers dédiés : 350 millions d’euros en cours d’investissements (dont 150 millions du Fonds franco-chinois). Souscripteurs : CDC, CDB, investisseurs familiaux ou entrepreneurs français et chinois.
– Sociétés en portefeuille :
Françaises : Yves Delorme ; Wolf ; CDD International ; Dessange ; Eurogerm ; Dotsoft ; Solia ; Mauboussin ; IMV Technologies ; CMR Group ; Juratoys ; Vulcanic ; Moncler ; Minafin ; Amplitude ; Flexitallic ;
Chinoises : MRO ; Sinder ; Suofeiya ; Haolifang ; Yoloo ; Banweaver ; Kidsland ; Poten Enviro ; Ebao Tech.