Visée, comme le reste de la planète, par la panoplie de droits de douane du président américain, l’Afrique est relativement protégée par la faiblesse de ses échanges avec les États-Unis. Si quelques pays comme le Lesotho, Madagascar ou la Tunisie sont directement mises en difficulté par ces mesures, l’Afrique peut surtout craindre les impacts indirects de la guerre commerciale sino-américaine. Le point dans cet article proposé par notre partenaire La newsletter BLOCS.
Des taux de droits de douanes issus d’une formule absurde
L’économie mondiale respire un peu mieux. Mercredi dernier [9 avril], Donald Trump a suspendu pour 90 jours une bonne partie des droits de douane dits « réciproques » qu’il avait infligé à la quasi-totalité des pays de la planète.
Si l’escalade se poursuit avec la Chine, dont les produits doivent désormais être frappés de tarifs de 145% [à l’exception de quelques produits électroniques], la plupart des autres pays écopent « seulement » de droits de douane à hauteur de 10 %.
Un soulagement, entre autres, pour les pays africains, qui n’avaient pas été épargnés par le feu d’artifice protectionniste lancé par le locataire de la Maison Blanche mercredi 2 avril.
Dans son viseur, en particulier, les pays d’Afrique australe, du sud de l’Afrique orientale, ainsi que certains pays du Maghreb, et des taux compris entre 10 et 50 %, tout à fait comparables à ceux infligés au reste du monde.
L’Afrique du Sud devait notamment hériter de droits de douane de 31%, Madagascar de 47%, la Tunisie de 28% et l’Algérie de 30%. Le résultat du calcul absurde de l’administration américaine, centré sur le déficit commercial des États-Unis.
« La formule de calcul a effectivement quelque chose d’absurde, mais c’est le seul moyen qu’a trouvé la Maison Blanche pour lisser ces droits de douane dits réciproques en si peu de temps, explique Dominique Fruchter, économiste à la Coface, spécialiste des pays d’Afrique du nord. Impossible, en quelques mois, de mettre en place des tarifs cohérent produit par produit ».
Des exportations paradoxalement encouragées par la loi américaine AGOA
Résultat : les pays pauvres qui ont développé le commerce vers les États-Unis sans avoir les moyens d’acheter des produits américains se retrouvent les plus menacés par ces droits de douane punitifs suspendus pour 90 jours.
Exemple le plus extrême : le Lesotho, qui a beaucoup développé son industrie textile et réalise 27,5 % de ses exportations vers le pays de l’Oncle Sam, se retrouve menacé de droits de douane de 50 %. Si ce tarif est mis en œuvre, le pays pourrait perdre pas moins de 8,2 % de son PIB, selon les calculs du cabinet de conseil Global Sovereign Advisory.
Dans des situations similaires, Madagascar risque pour sa part de devoir s’asseoir sur 2,2 % de son PIB et la Tunisie sur 0,41 %. Autres pays particulièrement vulnérables : le Botswana (0,7 %) et l’Afrique du Sud (0,7 %), celle-ci se retrouvant particulièrement affectée par les droits de douane américain supplémentaires de 25 % sur le secteur automobile, qui restent d’actualité.
Ironie du sort, ces déficits commerciaux, que M. Trump entend sanctionner, ont été encouragés pendant des années par les États-Unis via l’African Growth and Opportunity Act (AGOA). Adoptée par le Congrès en 2000, cette loi vise à faciliter l’accès au marché américain aux pays africains qui suivent les principes de l’économie libérale.
La plupart des pays d’Afrique subsaharienne bénéficiaient jusqu’alors de cette facilité, qui couvrait environ 1800 produits différents. Le Madagascar et le Lesotho se sont notamment beaucoup appuyé sur ce texte pour développer leurs industries textiles.
Voracité trumpienne sur les matières premières
Même si les tarifs restaient limités 10 %, le commerce entre l’Afrique et les États-Unis devrait sérieusement régresser dans les prochains mois. L’effet global de ces mesures devrait toutefois rester limité.
D’abord parce que seulement environ 6 % des exportations africaines se font, pour l’heure, en direction des États-Unis. Ensuite parce que la Maison Blanche a pris soin d’exempter de tarifs les produits africains dont elle peut difficilement se passer, tels que le pétrole, le caoutchouc, et les minerais critiques.
En tout, 40 % des exportations africaines vers les États-Unis échappent ainsi aux sanctions commerciales de M. Trump, selon les calculs du Global Sovereign Advisory. Des pays comme l’Algérie ou la Libye, qui exportent essentiellement du pétrole vers les États-Unis, sont ainsi de fait exemptés presque totalement de tarifs.
Les matières premières devraient d’ailleurs jouer un rôle-clé dans les négociations qui s’annoncent. « On a entendu peu de réactions côté africain, pour le moment, relate Aroni Chaudhuri, lui aussi économiste à la Coface et spécialiste de l’Afrique du Nord. Les gouvernements attendent probablement de voir comment les États-Unis vont vouloir négocier. Il faut en tout cas s’attendre à des discussions bilatérales, qui devraient beaucoup porter sur les minerais ».
« Les États-Unis ont besoin de toujours plus de ces minerais pour leurs véhicules électriques, les puces des grands calculateurs, des ordinateurs et des téléphones, et le continent africain dispose de 30 % des réserves mondiales » poursuit l’économiste.
Les discussions avec l’Ukraine, mais aussi avec la République démocratique du Congo, qui ont tous deux cherché à obtenir une garantie sécuritaire américaine en l’échange de leurs minerais, témoignent de la voracité trumpienne en la matière.
« Au-delà des minerais, il faut aussi s’attendre à une tentative américaine d’obtenir un alignement des pays africains sur la politique internationale américaine, analyse Dominique Fruchter. M. Trump peut par exemple tenter d’obtenir que ces pays s’éloignent de l’influence chinoise ou soutiennent sa vision des conflits au Moyen-Orient. Par ailleurs, il menace l’Égypte de la priver de soutien financier si elle ne soutient pas son plan pour Gaza. On le voit : les négociations à venir seront globales et extrêmement complexes puisqu’elles pourront porter sur tous les sujets ».
« Le problème principal est que ceux qui ont le plus besoin de négocier sont aussi ceux qui ont le moins à offrir », analyse pour sa part Julien Marcilly, chef économiste de Global Sovereign Advisory.
Impacts indirects via les partenaires de l’Afrique, dont la Chine
« Au-delà des impacts directs, qui sont globalement assez limités, il faut surtout s’inquiéter des impacts indirects créés par les ramifications des droits de douane sur les partenaires de l’Afrique », poursuit le chef économiste de Global Sovereign Advisory. En particulier, l’appauvrissement de la Chine dont devrait résulter la guerre commerciale totale que Washington a engagé avec elle, pourrait avoir de lourdes conséquences sur le continent africain.
Le géant asiatique est en effet devenu le premier partenaire commercial de la quasi-totalité des pays du continent. Selon le FMI, environ 20 % des exportations africaines vont en Chine, et 16 % des importations en proviennent. De plus, elle détenait 17 % de la dette publique extérieure de l’Afrique subsaharienne en 2021.
Au-delà du commerce, la pérennité des lourds investissements chinois consentis en Afrique ces dernières années pourrait être remise en cause. Des richesses qui feraient d’autant plus défaut que les pays africains vont déjà devoir se passer de l’essentiel du soutien de l’USAID, l’agence américaine pour le développement [mise à terre par le Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) animé par Elon Musk].
Le démantèlement en cours concerne 83 % des programmes dont on estime qu’ils recouvrent 50 à 60 % des montants. Exemple parmi d’autres: le mégaprojet du corridor du Lobito, un réseau ferré de 1 300 km entre trois pays – Zambie, RDC et Angola – voué à faire circuler 50 trains par jour et qui servirait à l’exportation de minerais, se retrouve menacé. Les conséquences sur le plan humanitaire devraient en outre s’avérer dramatiques.