Comment concilier simplification réglementaire et achèvement du marché unique au service du redressement de la compétitivité européenne ? C’est tout l’enjeu de la stratégie mise en œuvre par l’Union européenne à travers ses premiers paquets « omnibus ». Des mesures nécessaires, mais qui ne doivent pas faire perdre de vue l’impératif de stabiliser l’environnement réglementaire des entreprises, comme l’expliquent Jean-Marie Salva, Of Counsel, et Arnaud Fendler, associé, du cabinet DS Avocats Paris Bruxelles
La guerre commerciale lancée par l’administration Trump pose la question de la réplique européenne. L’escalade actuelle des droits de douane s’inscrit dans un rapport de force de court terme. Il n’est pas certain qu’elle suffise à convaincre les États-Unis de changer de politique. Elle ne résoudra pas en tout cas le défi auquel l’Union européenne (UE) est confrontée depuis déjà longtemps : celui de sa réindustrialisation et du retour à la compétitivité de son économie.
Là comme ailleurs, « Trump 2 » peut être un choc salutaire pour tenter d’enrayer le décrochage et de préserver un modèle qui reste unique à bien des égards.
Simplifier et stabiliser : l’enjeu de la politique de compétitivité
Le bilan est clair : l’UE accuse depuis plusieurs années un déficit de productivité et l’écart en termes de compétitivité se creuse avec la Chine et les États-Unis.
Face au double défi de la transition numérique, démographique et écologique et du repli de certains des facteurs qui ont assuré sa croissance depuis plus de 30 ans, au 1er rang desquels une forte demande intérieure soutenue par un système commercial mondial, l’Europe doit réagir vite et fort.
D’un point de vue juridique, elle doit le faire en assurant un double objectif : simplifier et stabiliser. Or, ces dernières années témoignent de la difficulté pour l’Union d’y parvenir, tant elle peut avoir tâtonné sur diverses règlementations mêlant ambition climatique et politique commerciale.
La communication de la Commission au Parlement du 29 janvier 2025 intitulée « une boussole pour la compétitivité de l’UE » est une partie essentielle de la réplique choisie par la Commission.
Elle se nourrit elle-même de deux rapports essentiels :
–Le rapport Letta du 22 avril 2024 qui tirait la sonnette d’alarme de la désindustrialisation et faisait suite à la déclaration d’Anvers appelant à un pacte industriel. Ce rapport vise avant tout à mieux tirer parti du marché unique dans lequel nous vivons depuis 1993 et qui vise à la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux au sien de l’UE.
Les économies d’échelle que recèle ce marché restent très insuffisamment exploitées. L’une de ses propositions phare est d’unir les marchés de capitaux européens. Parmi de nombreux exemples, celui du contrôle export des technologies sensibles dont la gestion reste encore largement placée sous le contrôle des États membres, ce malgré les réformes successives du règlement de base qui ont toutes souligné ce point. La construction d‘une défense européenne pourrait aller de pair avec cette sage recommandation du rapport Letta …
–Le rapport Draghi remis à la présidente de la Commission européenne en septembre 2024 va plus loin et avance que l’Europe doit choisir entre la fragmentation, la paralysie ou l’intégration. Parmi les catalyseurs identifiés figure la simplification de l’environnement réglementaire. L’Europe est perçue en interne comme en externe comme un pourvoyeur excessif de normes au nom d’idéaux ou d’objectifs parfaitement louables mais que nous sommes les seuls à réellement promouvoir.
Premiers paquets « omnibus »
A la lumière de ces deux rapports, la Commission vient de se fixer pour objectif clair de déployer un effort de simplification sans précédent, en réduisant d’au moins 25 % les charges administratives et d’au moins 35 % celles pesant sur les PME d’ici la fin du mandat actuel. Il s’agit des premiers paquets « omnibus»*, qui rassemblent des propositions concernant plusieurs domaines législatifs, dont le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).
Entré en vigueur depuis le 1er octobre 2023, le MACF prévoit des obligations progressives : déclaration (rapport trimestriel), enregistrement (statut MACF), paiement (achat de certificats). Malgré cette progressivité, la lourdeur administrative et la difficulté d’accès aux données des fournisseurs étaient depuis longtemps dénoncées. La Commission vient de décider d’exonérer les petits importateurs, principalement les PME représentant de très faibles quantités d’émissions intrinsèques, en provenance de pays tiers. Cette exonération passera par l’introduction d’un nouveau seuil annuel cumulé de 50 tonnes par importateur. 90 % des importateurs seront exonérés et le MACF continuera de couvrir plus de 99 % des émissions relevant du champ d’application du mécanisme.
S’agissant du contrôle des exportations de biens sensibles, les dernières publications de la Commission prônant une meilleure intégration, une harmonisation des pratiques de contrôle, vont aussi dans le sens d’une meilleure intégration.
Idem pour le commerce électronique transfrontalier, dont l’explosion a justifié une proposition de réforme de l’Union Douanière en juin 2024 et d’une proposition complémentaire en février 2025, dans un sens de plus de simplification, d’intégration (création d’une autorité douanière européenne, d’un EU data hub douanier, etc.) et de sécurisation des consommateurs.
A travers ces exemples, on note l’effort notable du législateur européen de simplifier et d’intégrer davantage le cadre règlementaire commercial.
Attention néanmoins à ne pas sombrer dans un chamboule-tout brutal. A l’heure où les grandes puissances, qu’elles soient des États de droit ou non, mènent des politiques déstabilisatrices du cadre juridique dans lequel les entreprises opèrent, c’est aussi par la stabilité de son droit, que l’UE renforcera la confiance et la compétitivité en son sein.
Jean-Marie Salva, of counsel,
et Arnaud Fendler, associé,
cabinet DS Avocats Paris Bruxelles
* Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council amending Regulation (EU) 2023/956 as regards simplifying and strengthening the Carbon Border Adjustment Mechanism (Omnibus I) and Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council amending Regulations (EU) 2015/1017, (EU) 2021/523, (EU) 2021/695 and (EU) 2021/1153 as regards increasing the efficiency of the EU guarantee under Regulation (EU) 2021/523 and simplifying reporting requirements (Omnibus II), 26 February 2025.