Si Emmanuel Macron et Keir Starmer s’engagent, main dans la main, à soutenir l’Ukraine, certaines tensions subsistent entre la France et le Royaume-Uni, comme sur la clause de préférence aux industrie d’armement de l’Union européenne (UE) proposée par Bruxelles sous la pression de Paris. Le potentiel rapprochement entre les deux blocs qui sera au menu d’un sommet mi-mai n’a rien d’évident. Revue de détail dans cet article proposé par notre partenaire La newsletter BLOCS.
Emmanuel Macron et le Premier ministre britannique Keir Starmer réuniront ce jeudi 27 mars à Paris, autour de Volodymyr Zelensky, leur « coalition des volontaires » : un ensemble de pays disposés à s’engager pour les garanties de sécurité en Ukraine en cas de cessez-le-feu. Si les dirigeants des deux seules démocraties du continent dotées de l’arme nucléaire parviennent à serrer les rangs pour venir au secours de Kiev face au choc-Trump, tous les nuages ne sont pas dissipés pour autant au-dessus de la Manche.
Les firmes britanniques en grande partie exclues du plan de réarmement de Bruxelles
Dernier motif de frictions entre la France et le Royaume-Uni : la décision de la Commission européenne d’exclure en grande partie les firmes militaires britanniques de l’accès à une enveloppe de 150 milliards d’euros, mobilisée le 19 mars dernier dans le cadre du plan proposé par Bruxelles pour « réarmer l’Europe ». Exigée par la France, cette clause de « préférence européenne » vise à réduire les dépendances militaires de l’UE … et à garantir que les milliards du réarmement profiteront en premier lieu aux fleurons industriels tricolores.
De quoi raviver certaines inimitiés anti-françaises outre-Manche. « Donc, même quand la sécurité de l’Europe est en jeu, l’habituel protectionnisme français prend le dessus. Le Royaume-Uni dispose de la seule industrie d’armement en Europe à même de rivaliser avec la France », avait cinglé sur X Andrew Neil, célèbre éditorialiste du tabloïd conservateur le Daily Mail, le 20 mars.
Reste que les entreprises britanniques pourront obtenir un certain niveau de participation au programme d’investissement si Londres et Bruxelles « concluent un partenariat de sécurité et de défense. Ce qui est prévu parmi les différents éléments de relance de la relation UE/Royaume-Uni », indique-t-on à l’Élysée.
Les pré-requis de la France pour un « deal »
La conclusion d’un tel partenariat avec Londres – comme l’UE en a déjà signé avec la Norvège, le Japon, ou la Corée du Sud – sera en effet au menu d’un sommet mi-mai entre les Vingt-sept et Keir Starmer, dans le cadre d’une potentielle « réinitialisation » plus large de la relation post-Brexit.
Sauf qu’en réalité, sceller pareil accord ne semble pas être une priorité à Paris, où l’on estime que des coopérations extensives en matière de défense sont déjà possibles en l’état : « ce n’est pas un secret que les Français entendent bloquer la signature de ce partenariat de défense et de sécurité avec le Royaume-Uni », indique Zach Meyers, directeur de recherche au Centre on Regulation in Europe (CERRE), un influent groupe de réflexion bruxellois.
Si la France dément vouloir faire capoter le « deal » pour favoriser son industrie, elle revendique fixer des « pré-requis » à tout approfondissement de la relation UE-Londres, à commencer par la conclusion préalable d’un compromis sur … la pêche. L’Élysée demande en effet une prolongation au-delà de 2026 des conditions actuelles d’accès des pêcheurs européens – français en premier lieu – aux eaux britanniques.
« L’Europe a légèrement plus besoin de l’industrie britannique de défense que les Français ont besoin d’un peu de poissons supplémentaires », s’agaçait une source gouvernementale britannique citée par le journal le Sunday Times le 19 mars.
Outre la pêche, une série de points de d’achoppement devront être dépassés, en matière de migration, d’énergie, ou encore sur la mobilité des jeunes, pour que les deux blocs puissent acter un réel rapprochement. Keir Starmer reste d’ailleurs réticent à rompre sa promesse de campagne : ne pas rétablir la libre circulation entre les deux blocs, ni réintégrer le marché européen. Ce qui limite grandement les possibilités.
« Ce ne sont pas seulement les Français qui ont des soucis avec le Royaume-Uni, relève Zach Meyers. La Commission européenne et de nombreux États membres sont frustrés par le manque de demandes claires de la part de Londres et par son refus d’ajuster ses lignes rouges, même si, en apparence, les relations se sont réchauffées ».
« Un approfondissement de grande ampleur semble à ce stade peu probable, juge encore ce chercheur britannique spécialiste des régulations économiques en Europe. On a en outre l’impression à Bruxelles que Londres cherche en ce moment à prendre des distances vis-à-vis de l’UE, et à se plier aux exigences de l’administration américaine, afin d’échapper autant que possible aux droits de douane de Trump. Cela n’arrange pas l’image du Royaume-Uni parmi les États membres ».