Œil pour œil, dent pour dent. Face à la riposte européenne, qui pourrait aboutir à surtaxer de 50 % le bourbon américain, Donald Trump renchérit avec la menace de droits de douane de 200 % sur les alcools européens. Les enjeux sont colossaux pour les vins et spiritueux français, dont les représentants montent au créneau pour demander le retrait des alcools américains de la liste européenne. Les enjeux économiques sont colossaux. Revue de détail.
« Consternée ». La Fédération française des vins et spiritueux (FEV) ne mâche pas ses mots dans son communiqué publié dès le 12 mars en réaction aux contre-mesures annoncées par la Commission européenne le même jour dans le cadre de sa riposte aux droits de douane additionnels de 25 % imposés unilatéralement par l’administration Trump sur l’acier et l’aluminium.
Ce plan en deux étapes, comporte, dans la première, la réactivation des mesures de rétorsion de 2018 et 2020 suspendue (jusqu’au 1er avril 2025) par la suite par l’administration Biden dans le cadre de négociations. Elles seront appliquées dès le 1er avril, les autres feront l’objet d’une consultation avec les États membres pour une entrée en vigueur mi-avril. Il s’agit de mesures ciblées sur des dizaines de produits agroalimentaires et industriels américains, avec des taux de droits de douane additionnels allant de 4,4 à 50 %. Le bourbon en fait partie, taxé à 50 %.
« Si nous comprenons que la Commission doit réagir face aux mesures américaines, nous considérons que les mesures qu’elle propose n’auront non seulement pas l’effet dissuasif escompté mais, en provoquant une réaction américaine, elles viendront mettre à genoux la filière des vins et spiritueux européens » alertait Gabriel Picard, président de la FEVS, dès le 12 mars.
200 % de droit de douane sur les alcools européens
Le président de la FEVS n’a pas tort : dès le lendemain 13 mars, le président américain, furieux, a brandi, dans un message sur son réseau social Truth Social, la menace de surtaxer à 200 % les vins et spiritueux européens, citant nommément le champagne français. « L’Union européenne, l’une des autorités les plus abusives et hostiles du monde sur les impôts et les droits de douane […] a tout juste imposé 50 % de droits de douane sur le whisky, a asséné Donald Trump, cité par Le Monde. Si ces droits de douane ne sont pas retirés immédiatement, les États-Unis vont rapidement imposer des droits de douane de 200 % sur tous les vins, champagnes et produits alcoolisés venant de France et d’autres pays de l’UE ».
Le Premier ministre français François Beyrou, en visite sur le salon Global Industrie à Lyon, a répliqué immédiatement : « On ne peut pas se laisser terrasser par des menaces de cet ordre », a-t-il réagi le 13 mars. « Il importe que nous montrions, nous, Européens, qui nous sommes et que nous ne cédons pas à ce genre de menaces ».
Son ministre délégué en charge du Commerce extérieur, Laurent Saint-Martin, l’avait précédé en déclarant sur RTL que « nous ne céderons pas aux menaces et protègerons toujours nos filières », ajoutant que « la France reste déterminée à riposter avec la Commission européenne et nos partenaires ». Ambiance…
Retirer les alcools de la liste européenne
Les acteurs de la filière vins et spiritueux auraient, eux, préféré que la Commission retire de sa liste les alcools américains pour ne pas à nouveau faire les frais d’un conflit qui les dépasse, comme pour le cognac en Chine, victime de la réplique chinoise sur le dossier des mesures antisubvention européennes sur les véhicules électriques.
« Depuis plusieurs mois, nous avons proposé à la Commission européenne d’adopter une démarche positive à l’égard des États-Unis, fondée sur la réciprocité, qui permette de sauvegarder le commerce bilatéral des vins et spiritueux, insiste Gabriel Picard. En intégrant les vins et spiritueux américains dans ses mesures de rétorsion, on finit par se demander si la Commission européenne souhaite la mort de notre filière, qu’elle a constamment abandonnée depuis 2013 ». En 2013, les vins européens avaient déjà été surtaxés par la Chine dans le contentieux sur les panneaux solaires, puis en 2019, par les États-Unis dans le contentieux Airbus et enfin l’an dernier, en 2024, à nouveau par la Chine.
La perspective de cette guerre commerciale angoisse la filière française depuis la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle. Car les enjeux économiques sont colossaux.
25 % des exportations et 10 % de la production tricolores menacées
Dans une note publiée le 14 mars, le cabinet Asteres rappelle qu’en 2024, les États-Unis ont importé pour 10,7 milliards de dollars (Md USD) de boissons alcoolisées depuis l’Union européenne, dont 4,8 Md USD, soit près de la moitié, provenaient de France. Le marché américain absorbe « environ un quart des exportations françaises de boissons alcoolisées » relève le cabinet d’analyse économique, sur un total d’exportations de 19 Md USD de boissons alcoolisées.
« Si l’on considère qu’environ 40 % de la production de boissons alcoolisées françaises sont exportées, alors environ 10 % de la production totale de boissons alcoolisées française est destinée au marché américain » estime encore Asteres, qui évalue à 17 000 le nombre d’emplois menacés, soit10 % des emplois directs de la filière.
Comme les responsables de cette filière, Asteres estime que le mieux, d’un point de vue économique, aurait été de ne pas répondre aux mesures tarifaires de Trump. « Instaurer des droits de douane sur les produits américains sous prétexte que ces derniers en ont imposé sur les produits européens revient à rajouter un problème sur un problème » analyse-t-il.
Désaccord sur les termes de la négociation
Mais concernant la négociation, la tâche pour les Européens, et notamment le commissaire au Commerce Maroš Šefčovič, est pour l’heure loin d’être aisée.
« Comment faire lorsqu’on n’est même pas d’accord sur les termes de la négociation », a notamment confié Laurent Saint-Martin, lors d’une intervention le 12 mars à l’événement Leaguexport, au Medef. Une allusion au fait que le secrétaire au Commerce, Howard Lutnick, veut inclure des réglementations fiscales autres que les droits de douane dans les discussions, dont par exemple la TVA. Pour les Européens, « la TVA n’est pas un droit de douane » a rappelé le ministre. Il est donc hors de question d’accepter de telles exigences.
Pour l’heure, la guerre commerciale déclenchée unilatéralement par Donald Trump semble bien lancée, avec une réelle menace d’escalade. Rappelons en effet que la Maison Blanche a aussi promis l’instauration, en avril, d’une politique de droits de douane « réciproques ».
A suivre…
Christine Gilguy