À la veille de l’investiture de Donald Trump, la Chine affiche un excédent commercial record. Mais il ne faut pas s’y tromper, les autorités chinoises sont fébriles, et ces chiffres sont avant tout le résultat d’un effet d’anticipation des risques de guerre commerciale à venir. Néanmoins Pékin se prépare : entre ripostes ciblées, stratégie de diversification et rapprochements internationaux, voici comment l’Empire du Milieu prévoit de naviguer dans un contexte mondial bouleversé par les politiques protectionnistes de Washington. Revue de détail dans cet article proposé par notre partenaire La newsletter BLOCs.
À quelques jours de l’investiture de Donald Trump, prévue le 20 janvier, l’Administration générale des douanes chinoises a annoncé lundi un bond de 7,1 % des exportations du pays en 2024 par rapport à l’année précédente, atteignant 3 580 milliards de dollars. Les importations, quant à elles, n’ont progressé que de 2,3 %, pour un total de 2 590 milliards de dollars.
Résultat : l’excédent commercial chinois a atteint un niveau record de 992,1 milliards de dollars. Cette hausse impressionnante s’explique en partie par l’effet d’anticipation vis-à-vis des mesures protectionnistes promises par le président élu.
Tout au long de sa campagne, Donald Trump a indiqué qu’il fixerait à 60 % les droits de douane sur les produits chinois, alimentant une frénésie d’achats et de stockage par les entreprises américaines. En décembre, les exportations chinoises vers les États-Unis ont ainsi bondi de 16 %. Les producteurs chinois, de leur côté, ont intensifié leurs expéditions pour pallier la faiblesse de la demande intérieure, les ménages souffrant encore des répercussions d’une crise immobilière prolongée.
L’arrivée de Donald Trump pourrait cependant porter un coup sévère au commerce extérieur, pilier de la croissance chinoise. Si les exportations devaient se maintenir à court terme, elles « s’affaibliraient plus tard cette année si Donald Trump met à exécution sa menace (…) », pronostique Zichun Huang, économiste chez Capital Economics.
Fébrilité chinoise
« Il existe une fébrilité chez les autorités chinoises, explique Marc Julienne, directeur du Centre Asie de l’Ifri. Sur les deux moteurs de la croissance, l’un est à l’arrêt et ne devrait pas repartir de sitôt, l’immobilier. L’autre, les exportations, tirent à elles seules l’économie chinoise et avec difficulté. Les autorités aimeraient créer un nouveau relai de croissance : la consommation intérieure, mais c’est un objectif de 20 ans qui peine toujours à se réaliser », développe ce chercheur auprès de BLOCs.
Pékin a certes lancé depuis septembre plusieurs initiatives destinées à stimuler l’économie, telles qu’une réduction des taux d’intérêt et une hausse du plafond d’endettement des gouvernements locaux. Cependant, selon Marc Julienne, ces initiatives sont jugées encore trop floues, et ne sont en tout cas « pas de nature à créer un choc de consommation dans un moment où la confiance des ménages et des entreprises (chinoises et étrangères) est au plus bas ».
« Dans ce contexte, on comprend que les menaces de Trump de relancer la guerre commerciale en imposant des droits de douanes élevés soient d’autant plus inquiétantes pour Pékin (…) », poursuit Marc Julienne.
Stratégie en trois axes
Dans l’attente du choc Trump, la Chine a toutefois préparé une stratégie reposant sur trois axes : représailles, adaptation et diversification, explique le chercheur américain Evan Medeiros dans une tribune publiée par le Financial Times.
« Pékin a mis en place des outils pour répondre de manière ciblée aux pressions américaines, notamment des contrôles à l’exportation, des restrictions à l’investissement et des enquêtes réglementaires », indique ce spécialiste de la politique chinoise.
Et dans l’affrontement technologico-commercial qui l’oppose déjà aux États-Unis, l’Empire du Milieu a prouvé sa capacité à frapper fort. Ainsi, rien que sur la fin 2024, Pékin a interdit l’exportation de minerais critiques pour la fabrication de puces électroniques, perturbé la chaîne d’approvisionnement des drones fabriqués aux États-Unis, et lancé une enquête antitrust contre le géant américain des semi-conducteurs Nvidia.
« Ces actions donnent un aperçu des capacités de Pékin et créent des leviers pour d’éventuelles négociations avec Trump », estime Evan Medeiros. En parallèle, la Chine renforce ses alliances avec les pays en développement, notamment en Afrique et en Amérique latine, et rétablit ses relations avec les partenaires asiatiques de Washington.
Enfin, on pourrait ajouter l’instrumentalisation de la dépréciation de la monnaie chinoise par rapport au dollar, sensible depuis fin 2023, que soupçonnent de nombreux observateurs, selon une source au Moci. Une manière presqu’indolore de maintenir la compétitivité de ses produits malgré une hausse des droits de douane à l’import…
Opération de charme
Selon une analyse du centre de recherche MERICS, Pékin pourrait construire une coalition mondiale pour contrer les pressions américaines. « La Russie sera un allié clé, mais la Chine approchera aussi l’Europe, où elle espère tirer parti des tensions transatlantiques exacerbées par Trump ».
Elle pourrait ainsi tenter de se rapprocher des États membres de l’UE et des entreprises les plus touchés par la politique de Washington. « Pour les autres pays européens, Pékin continuera à utiliser les investissements, l’accès au marché chinois et la menace de représailles économiques pour façonner leur comportement et perturber le programme de réduction des risques (de-risking) de l’Europe », estime le centre de recherche allemand.
La Chine est d’ailleurs déjà à la manœuvre sur le plan diplomatique. Le nouveau chef de la mission chinoise auprès de l’UE, Cai Run, a appelé à la mi-décembre à l’amitié entre l’UE et la Chine.
« Les amis européens sont très attentifs aux perspectives économiques de la Chine et à l’avenir de la coopération entre la Chine et l’UE. Nous espérons que les deux parties pourront gérer correctement les frictions économiques et commerciales par le dialogue et la consultation afin d’éviter une guerre commerciale, a-t-il écrit dans une tribune publiée par Euronews. C’est dans l’intérêt des deux parties et du monde ».
Signe de cette volonté de rapprochement : le président chinois Xi Jinping s’est entretenu au téléphone mardi avec le président du Conseil européen, Antonio Costa, et a plaidé pour « une solution mutuellement bénéfique au conflit sur les voitures électriques » qui oppose les deux parties depuis plus d’un an.
Le récent rapprochement avec le Royaume-Uni ressemble également à un succès de poids de l’opération de charme déployée par la Chine sur le Vieux continent. La Commission européenne de l’atlantiste Ursula von der Leyen s’évertue, pour sa part, surtout à commencer du bon pied avec l’Amérique de Trump.