C’est un nouvel épisode de la guerre commerciale mondiale en cours pour la maîtrise des technologies clés. L’annonce par les États-Unis, le 13 janvier, de nouvelles mesures de contrôle et de restriction sur les exportations de puces avancées pour l’intelligence artificielle (IA) a pris de cours les Européens. Dans un message plutôt sobre, la Commission européenne fait part de ses préoccupations.
« Nous sommes préoccupés par les mesures adoptées aujourd’hui par les États-Unis qui restreignent l’accès à l’exportation de puces d’IA avancées pour certains États membres de l’UE et leurs entreprises, déclarent le 13 janvier dans un communiqué commun la vice-présidente exécutive Henna Virkkunen, chargée de la Souveraineté technologique, de la sécurité et de la démocratie et le commissaire au Commerce et à la sécurité économique Maroš Šefčovič. Nous pensons qu’il est également dans l’intérêt économique et de la sécurité des États-Unis que l’UE achète des puces d’IA avancées aux États-Unis sans limites : nous coopérons étroitement, en particulier dans le domaine de la sécurité, et nous représentons une opportunité économique pour les États-Unis, et non un risque pour la sécurité ».
Pas de menace de rétorsion, le ton est posé et prudent. « Nous avons déjà fait part de nos préoccupations à l’administration américaine actuelle et nous nous réjouissons à la perspective de dialoguer de manière constructive avec la prochaine administration américaine », poursuivent les dirigeants européens.
La Chine a réagi de façon plus abrupte le même jour. Dans un communiqué, le Mofcom (ministère du Commerce) a dénoncé « un nouvel exemple de la généralisation du concept de sécurité nationale et de l’abus du contrôle des exportations et une violation flagrante des règles commerciales internationales ».
Le 13 janvier, la Maison Blanche, encore sous administration Biden-Harris, a annoncé la mise en place d’une nouvelle législation visant à accroître le contrôle des États-Unis sur les exportations de ses technologies IA sous la justification qu’elles ne tombent pas dans de « mauvaises mains », mais aussi, de façon évidente, « pour renforcer la sécurité et la force économique des États-Unis », autrement dit son leadership mondial en matière de technologies IA
Concrètement, en matière de contrôle, Washington veut imposer de nouvelles autorisations pour les exportations et les transferts de puces informatiques avancées pour l’IA, dans une liste de pays élargie. Cette règle comporte une série d’exceptions pour les pays alliés, notamment quand il s’agit de volumes limités, par exemple pour répondre aux besoins des universités. Ainsi, environ 18 pays, dont la France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suisse, le Japon ou encore la Corée du Sud seront exemptés. Quelque 120 autres pays, parmi lesquels Singapour, Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, seront soumis à des plafonds. Les exportations seront en revanche bloquées vers les pays soumis à un embargo sur les armes, tels que la Russie, la Chine et l’Iran.
Par ailleurs, la nouvelle législation renforce les contrôles sur la diffusion des paramètres des modèles d’IA générative les plus perfectionnés. Enfin, les centres de données IA, qui contiennent les serveurs informatiques nécessaires pour faire fonctionner les modèles les plus innovants, devront respecter des conditions de sécurité renforcées pour avoir le droit d’importer des composants de pointe.
Ces nouvelles restrictions, qui n’entreront en vigueur que dans 120 jours pour laisser le temps à la nouvelle administration Trump d’y apporter d’éventuelles modifications, s’appliquent en premier lieu aux fabricants de processeurs graphiques avancés (GPU) utilisés pour alimenter les centres de données nécessaires à la formation des modèles d’IA et fabriqués en grande partie par les entreprises américaines Nvidia et Advanced Micro.
Les acteurs qui investissent dans des centres de données, comme Microsoft, Google ou Amazon, devront pour leur part demander des autorisations pour construire des centres de données qui leur permettront d’exempter leurs projets des réglementations. Mais les conditions pour obtenir de telles autorisations seront strictement encadrées, avec des exigences en termes de sécurité, et devront partager rapports et historiques quant au respect des droits de l’homme.
Nvidia a été l’un des premiers fabricant de puces avancées à réagir dès le 13 janvier, dénonçant une réglementation de portée « trop large », qui risque de restreindre la diffusion d’« une technologie qui est déjà disponible dans les PC de jeu grand public et le matériel grand public ».