En difficulté financière, la marque de pantoufles Made in France a été rachetée début 2003 par trois entrepreneurs travaillant et vivant de longue date en Asie. Leur connaissance et leur pratique de l’export sert aujourd’hui la stratégie de cette PME qui compte sur les marchés étrangers pour renouer avec la croissance.
« Le premier jour, quand on s’est retrouvé tous les trois dans l’atelier, on s’est demandé si on n’était pas complètement fou », s’amuse Frédéric Guiral de Haas entre deux essayages de pantoufles aux pieds des visiteurs du stand d’Airplum, sur le dernier salon du Made in France, où la marque a décroché un prix de l’export. A considérer le parcours des trois repreneurs de Sodopac, propriétaire de cette marque, il est en effet permis de se demander quelle mouche a piqué ces Français expatriés de longue date en Asie et aux CV bien remplis lorsqu’ils ont repris, il y a un an et demi, un atelier de fabrication de chaussons route des Charentaises à Augignac, dans le Périgord vert.
Haute stature, verbe fluide et intarissable sur les qualités de son produit, Frédéric Guiral de Hass a ouvert il y a plus de 30 ans le premier bureau d’Aigle en Asie, à Hong Kong, où il a vécu 21 ans avant de s’installer au Japon, il y a 10 ans. Comme lui, ses deux associés ont fait carrière dans la distribution de marques françaises ou européennes de mode sur les marchés asiatiques. Xavier Paulin, désormais responsable export Asie depuis Taïwan, son port d’attache, a travaillé et vécu au Japon, à Singapour et en Chine, pays dont il parle couramment la langue. Le troisième comparse, Hervé Accart, qui s’occupe aujourd’hui de la production et vit à plein temps en France, a quant à lui effectué un parcours professionnel de 15 ans à Hong Kong, notamment dans la joaillerie, en tant que directeur administratif et financier.
Un produit innovant et Made in Périgord
« Nous nous connaissons depuis longtemps et lorsque j’ai appris par un ami que Sodopac était à vendre, je ne m’imaginais pas me lancer seul dans cette aventure, il me fallait des piliers avec des expériences et des compétences complémentaires », explique le dirigeant. Leur motivation ? « Avec Xavier nous avons travaillé dans de grandes entreprises et avons aussi créé des boîtes. Nous voulions être chez nous et avoir la main sur le produit. C’est un peu l’étape qui nous manquait et, pour des marketeurs, faire connaître un produit que l’on conçoit et fabrique, c’est la partie la plus fun à travailler ! »
Si la société, créée en 1947, se porte mal lors de son rachat, elle n’en conserve pas moins deux points forts : une production en France, atout de poids auprès des clients français mais aussi internationaux, et un brevet unique qui permet aussi à ces chaussons de se distinguer de la concurrence.
Sodopac et Airplum sont en effet les seuls en Europe à produire des semelles Airflex. Légères et à mémoire de forme, elles sont composées d’une mousse en polyuréthane expansée et de 55 % de bulles d’air. Un savoir-faire qui nécessite une formation d’un an et demi aux ouvriers en charge de l’injection. Les trois repreneurs, ayant pour objectifs de faire connaître la marque et de redévelopper l’international s’appuient largement sur ces deux spécificités pour donner un nouveau souffle à l’entreprise.
L’export, une priorité stratégique
Pour l’heure, Airplum, qui ne souhaite pas communiquer son chiffre d’affaires, exporte 15 % de ses volumes sur des marchés conquis par les anciens dirigeants : le Japon et le Canada par le biais d’importateurs distributeurs, en Belgique via l’enseigne Besson, et en Suisse dans le réseau de grande distribution Migros.
Depuis début 2023, les repreneurs ont ajouté à ces destinations le États-Unis où les modèles Airplum sont disponibles sur le site d’e-commerce d’un spécialiste des équipements outdoor. Plus inattendu, Rabat devrait accueillir en 2025 la première boutique Airplum. « Le Maroc est considéré comme un pays chaud, mais dans certaines régions, les températures sont fraîches en hiver et, comme le Japon, c’est un marché où l’on se déchausse, précise Frédéric Guiral de Haas. C’est un jeune importateur marocain qui est venu à notre rencontre et avec lequel nous travaillons désormais pour développer ce marché. »
Bien sûr, l’Asie est également dans le viseur des trois compères. Ils ont signé cette année un accord avec Bastien Nussbaumer, un Français de Hong Kong qui a ouvert un site d’e-commerce spécialisé dans les produits hexagonaux, Made in France boutique. Les chaussons Made in Périgord pourraient aussi bientôt être distribués en Corée du Sud. « Des acheteurs coréens sont venus nous voir sur notre stand et le lendemain nous avons fait l’aller-retour pour leur faire visiter l’atelier et partager un bon repas. Ils étaient très enthousiastes ! » Affaire à suivre, donc.
Transfert de compétences de Hong Kong à la Dordogne
L’Europe n’est pas en reste puisque le distributeur belge Besson propose désormais les pantoufles de la marque dans ses magasins en Espagne. Enfin, le dirigeant se prépare à conquérir l’Allemagne, marché très concurrentiel, mais où le Made in France et les produits innovants ont la cote. Pour ce faire, il compte sur la collection hiver 2025, désormais fin prête et sur le Micam, le grand salon professionnel de la chaussure qui a lieu deux fois par an à Milan et dont la prochaine édition se tiendra en février 2025.
En vieux routier de l’international, il a attendu le bon moment pour s’attaquer à ce marché et mis de côté des contacts glanés grâce à son réseau de Conseiller du commerce extérieur français (CCEF) et qu’il compte faire fructifier lors de cet événement.
De solides carnets d’adresses, une bonne maitrise des rouages de l’export, de la prospection à la distribution, une expérience du marketing à l’international et des méthodes de travail apprises dans de grandes entreprises… Les parcours des repreneurs ne peuvent que constituer un très gros avantage pour relancer Airplum grâce à l’export. « Nous apportons des process, sans en abuser non plus, une capacité à faire travailler les gens ensemble et à faire connaître un produit ainsi qu’une certaine rigueur, acquiesce Frédéric Guiral de Hass. Dans les PME on travaille beaucoup mais souvent de manière trop dispersée, pas assez efficace. Et puis, dans nos carrières d’entrepreneurs, nous nous sommes beaucoup plantés, ça nous a rôdés. » Un état d’esprit qui interdit tout pantouflage…
Alors que la réindustrialisation, les questions de souveraineté et de compétitivité n’ont jamais autant fait débat, l’aventure périgourdine de ces trois copains expatriés à l’autre bout du monde montre que l’international peut parfaitement bénéficier à une PME produisant des chaussons. Comme relais de croissance pour une entreprise bien sûr, mais aussi dans la formation de ses dirigeants et de ce qu’ils insufflent dans ce projet.
Sophie Creusillet