La diplomatie française a réussi à semer le doute au sein de plusieurs gouvernements des Vingt-Sept à propos du projet d’accord avec les pays d’Amérique du Sud. La Commission européenne se retrouve en fâcheuse posture. Revue de détails dans cet article proposé par notre nouveau partenaire éditorial La newsletter BLOCS.
Résolu à empêcher à tout prix la signature d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay), Paris va encore enfoncer le clou.
Après les déclarations hostiles des deux chefs de l’exécutif tricolore et l’envoi d’une lettre ouverte à Ursula von der Leyen signée par 622 parlementaires, la France va en effet encore ajouter de la pression sur la Commission européenne, avec un débat suivi d’un vote à l’Assemblée nationale, ce mardi après-midi [26 novembre].
Si la consultation des députés n’aura pas de valeur autre que symbolique, le rejet écrasant de l’accord qui devrait en émerger donnera néanmoins un nouvel argument politique de poids au gouvernement de Michel Barnier face à Bruxelles.
Une offensive diplomatique qui commence à porter ses fruits
À cette opposition publique tonitruante s’ajoute une offensive diplomatique qui commence à porter ses fruits, comme l’a laissé entrevoir le conseil des ministres du commerce des Vingt-Sept qui s’est tenu vendredi dernier [22 novembre] dans la capitale belge.
À cette occasion, pas moins de quatre ministres ont en effet exprimé des réserves face aux journalistes. Les représentants de l’Autriche et du Luxembourg ont notamment critiqué le contenu du projet, demandant des garanties supplémentaires relatives à la protection de la forêt amazonienne et à celle des agriculteurs européens.
De leur côté, les ministres polonais et lituaniens ont surtout ciblé l’empressement de la Commission à clore les négociations. « Si nous approuvons l’accord contre l’avis d’un grand groupe de pays, cela ne sera pas un résultat positif pour l’intégration européenne », a ainsi déclaré le ministre polonais du Développement économique, Ignacy Niemczycki, sur fond de mouvement de colère des agriculteurs du pays. La coalition gouvernementale polonaise, qui semble divisée sur le sujet, doit arrêter sa position ce mardi.
La position italienne n’est pas beaucoup plus claire. Lundi 18 novembre, le vice-premier ministre italien Antonio Tajani a réitéré la volonté du pays de conclure l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur, alors que le ministre de l’Agriculture, Francesco Lollobrigida, issu d’un autre parti de la coalition, avait déclaré plus tôt dans la journée que l’accord n’était pas acceptable dans sa forme actuelle.
La position de l’Irlande reste aussi incertaine, pour l’heure, de même que celle des Pays-Bas, dont la chambre basse du Parlement avait rejeté l’accord en 2020.
Autant de pierres dans le jardin de la Commission européenne qui paraît en fâcheuse posture, même si elle peut compter sur le soutien d’autres États membres importants comme l’Allemagne, l’Espagne ou encore le Portugal.
Se passer du soutien de la France paraît compliqué
Formellement, la Commission peut certes signer l’accord sans l’aval des États membres. Elle pourrait ensuite soit présenter l’accord d’association avec le Mercosur dans sa globalité aux Vingt-Sept, ce qui nécessiterait leur accord à l’unanimité.
Plus probablement, la Commission ne devrait présenter dans un premier temps que la partie commerciale de l’accord, sur laquelle s’appliquerait la règle de la majorité qualifiée. Dans ce cas de figure, Bruxelles devrait simplement éviter la formation d’une minorité de blocage (au moins 4 Etats membres représentant au moins 35% de la population européenne) pour obtenir la ratification de l’accord au Conseil.
Un objectif qui pourrait être rempli, selon Nicolas Köhler-Suzuki, conseiller politique de l’Institut Jacques Delors : « J’ai entendu dire que l’Italie et la Pologne étaient sur le point de s’opposer. Cependant, Meloni se sent proche de Milei et il existe de forts liens industriels historiques entre l’Italie, l’Argentine et le Brésil, explique-il au Moci. La Pologne négocie probablement des sauvegardes vis-à-vis de l’Ukraine. L’Autriche serait un partenaire de coalition utile, mais ne suffirait pas à elle seule à constituer une minorité de blocage ».
Politiquement, se passer du soutien de la France, pays fondateur et deuxième économie du bloc, paraît toutefois compliqué, a fortiori si Paris se trouve des alliés.
Une signature rapide de l’accord dans ce contexte paraît très délicate, à moins que Bruxelles n’obtienne une concession forte de ses partenaires sud-américains. Vendredi, le commissaire européen au Commerce, Valdis Dombrovskis, a expliqué continuer de travailler sur le contenu de l’accord, et reconnu qu’il était difficile de donner un calendrier précis des prochaines étapes.
« Une signature du traité avant la fin de l’année demeure assurément possible », affirme néanmoins auprès du Moci un fonctionnaire européen proche du dossier.
« C’est tellement compliqué et ça fait tellement longtemps qu’on essaie de trouver un accord que je ne préfère pas faire de pronostic, poursuit la même source. Les négociateurs en chef de l’UE sont partis lundi au Brésil pour discuter jusqu’à mercredi voire jeudi si nécessaire. On saura à la fin de la semaine si on a fait assez de progrès pour que l’accord soit finalisé au niveau politique ».
Dernière chance pour signer l’accord avant la fin de l’année : la réunion du Mercosur prévue en fin de semaine prochaine à Montevideo.