La plateforme de streaming musical Qobuz vient d’ouvrir au pays du soleil levant, un marché lointain et réputé difficile sur lequel elle mise beaucoup. Pour investir ce marché, la PME déjà bien installée à l’international a fait le choix d’une opération de croissance externe, qui a nécessité du temps, mais permis un ancrage fort dans un pays qui doit servir à terme de tête de pont sur le continent asiatique.
« L’international, c’est fondamental ! » Nul besoin de convaincre Georges Fornay des bienfaits de l’export. Venu du monde du jeu vidéo, le directeur général délégué de Qobuz a travaillé dans des grandes entreprises fortement internationalisées comme l’américain Commodore dont il a été le contrôleur de gestion ou le Japonais Sony pour lequel il a organisé le lancement de la PlayStation en France et en Suisse au mitan des années 1990.
Créé en 2007 et repris en 2015 à la barre du tribunal par Denis Thébaud, P-dg de Xandrie et figure incontournable de la culture et du divertissement digital, Qobuz est devenu en quelques années une plateforme musicale haute résolution plébiscitée notamment par les amateurs de classique et de jazz.
Son credo ? Le streaming (et non le téléchargement), des enregistrements de haute qualité et une offre éditoriale de quelque 500 000 articles. Surtout, c’est l’international qui a permis au petit Poucet français face de se faire unen place parmi des géants comme Spotify ou Deezer malgré un abonnement plus cher (entre 12,49 euros et 16,66 euros mensuels).
Rachat à la barre du tribunal…
La plateforme tricolore est aujourd’hui disponible dans 26 pays. Lancé dès 2014 dans 9 pays en Europe (Royaume-Uni, Irlande, Allemagne, Autriche, Suisse, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas) avant de prendre pied en 2017 en Espagne et en Italie, puis en 2019 aux Etats-Unis, Qobuz a ensuite mis le cap sur l’Europe du Nord et l’Océanie en 2021 (Suède, Danemark, Norvège, Finlande, Australie) ainsi que le Portugal et l’Amérique latine l’année suivante (Brésil, Mexique, Argentine, Colombie, Chili) et enfin le Canada en 2023.
En 2021, l’entreprise qui compte aujourd’hui 130 employés et réalise à l’international 78 % de son chiffre d’affaires (non communiqué) a jeté son dévolu sur le Japon en rachetant e-Onkyo, qui regroupait les services de hardware et la plateforme de téléchargement musical d’Onkyo Corporation, fabriquant local de matériel hi-fi ayant fait faillite en 2022 pour ne pas avoir su prendre le virage du numérique.
… et en direct
« Cette société avait des difficultés depuis plus de deux ans, nous étions en contact avec eux, notamment sur les salons professionnels, se souvient Georges Fournay. Elle était dans notre radar et sa vente était latente. Les deux années précédant le rachat nous avons failli les racheter plusieurs fois et ils ont reculé plusieurs fois. »
Onkyo finit néanmoins par céder et le rachat s’effectue en direct, les dirigeants de Xandrie disposant de l’expérience nécessaire et d’un juriste spécialisé. « Nous n’avais pas été soutenu par Bpifrance, par exemple car ils ont eu peur de notre activité face à des géants comme Spotify. »
Avantages de cette opération de croissance extérieure, « bien qu’en téléchargement et non en streaming, le produit était déjà prêt et disponible en langue locale, avec un catalogue adapté aux goûts locaux incluant les animés et la J-pop », détaille le dirigeant. Le panier de la mariée comportait également les contrats passés avec d’importantes maisons de production comme Sony et Warner, mais aussi avec 150 labels locaux.
Le bon « time to market »
Si l’occasion a fait le larron, il peut cependant apparaître étonnant de voir Qobuz investir le marché Japon. Un autre français du secteur, Deezer, s’y est en effet cassé les dents il y a sept ans… Pourtant Qobuz croit en sa bonne étoile grâce à un positionnement de niche, combinant la qualité technique, un catalogue adapté et orienté CSP+ ainsi qu’une offre éditoriale traduite en japonais pour l’occasion grâce à des traducteurs locaux qui viennent compléter une équipe de six personnes installée à Tokyo.
Autre argument expliquant cet engouement pour le Japon : ce pays, deuxième plus grand marché musical au monde, est un des rares au monde à encore privilégier le téléchargement au streaming payant qui ne représente actuellement que 28,7 % des ventes. Ces dernières ont pourtant augmenté de 12,8 % en un an (contre 9,5 % en France par exemple). Bref, le marché japonais « va exploser », selon Georges Fournay. « Il faut aller pêcher là où est le poisson, c’est-à-dire sur des marchés qui sont actuellement en plein essor. Pour la Chine, où l’utilisateur dépense peu, nous sommes un peu chers, mais nous pensons évidemment à ce marché ainsi qu’à la Corée du Sud. Pour l’instant nous nous concentrons sur le Japon. »
Se faire connaître grâce au bouche-à-oreille
Le site à ouvert le 24 octobre et propose unen période d’essai d’un mois. « Nous sommes sur le pas de tir et attendant la mise sur orbite », résume le dirigeant qui compte faire de l’archipel le deuxième marché de Qobuz après les États-Unis. Pour se faire connaître, l’entreprise compte sur le bouche-à-oreille ou encore sur ses clients ambassadeurs. Alors que la PME ne dispose par comme Spotify d’un budget marketing d’un milliard de dollars, elle possède néanmoins un service de marketing digital de 30 personnes installées à Pantin, en région parisienne, et des 300 000 adresses du CRM d’e-Onkyo.
Quant à l’échec de Deezer, que Qobuz ne souhaite pas connaître grâce à un positionnement plus différencié, Georges Fournay y voit une aide : « C’est toujours intéressant et instructif de comprendre pourquoi un projet n’a pas fonctionné ». Il a également permis à la PME d’embaucher des anciens de Deezer pour développer avec elle le marché nippon.
Sophie Creusillet