Une rencontre sur le thème Industrialize & Connect Africa (Industrialiser & Connecter l’Afrique) organisée par Bpifrance à son « Hub » parisien s’est tenu à guichet fermé le 11 octobre, au lendemain de l’événement Bpi Inno Generation (BIG). Elle prépare un plus gros rassemblement à Nairobi en novembre, pour la troisième édition d’Inspire & Connect Africa.
Deux cents participants africains et français -ministres, banquiers, dirigeants d’entreprises, institutionnels-, peut-être plus, ont répondu à l’invitation de Bpifrance pour assister le 11 octobre, au lendemain de l’événement BIG où certains d’entre eux s’étaient rendu, à une matinée de tables-rondes sur le thème de l’industrialisation de l’Afrique et du partenariat, avec une session pour chaque région africaine (Ouest, Centre, Orientale et australe), et son financement.
Pas moins de dix délégations africaines étaient représentées. Une matinée dont l’objectif était aussi de favoriser les échanges et d’animer le réseau de contacts et de partenaires dont dispose la banque publique française pour sa mission de financement de l’export et des investissements français sur le continent.
Invitation aux états généraux de l’industrie du Sénégal
De quoi nuancer l’ampleur de la montée du sentiment anti-français en Afrique francophone et son impact sur les relations économiques réelles entre le continent et l’Hexagone, un sujet sensible pour les autorités françaises.
A ce sujet, Ludovic Pouille, directeur de la Diplomatie économique au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, a saisi cette occasion pour rappeler le leitmotiv de la France en Afrique depuis le premier mandat d’Emmanuel Macron, qui est de favoriser les partenariats gagnant-gagnant. Il a réitéré « l’engagement de mon ministère, dont la Team France Export est une émanation, d’appuyer les projets des entreprises françaises en Afrique » et indiqué que la nouvelle ministre en charge du Commerce extérieur Sophie Primas a déclaré qu’elle « mettra l’Afrique au cœur de ses priorités ».
Olivier Vincent, directeur exécutif Export de Bpifrance, a, pour sa part, estimé qu’il faut « encore qu’on progresse dans le nouveau récit économique que nous devons écrire sur la relation en la France et l’Afrique » tandis que Marie-Albane Prieur, directrice adjointe du Développement export de la banque publique, a insisté sur le fait qu’en Afrique, Bpifrance veille à travailler avec des « décideurs locaux » et « n’intervient jamais seule », toujours en co-investissement ou en cofinancement.
Intervenant en ouverture, le ministre sénégalais de l’Industrie et du commerce, Serigne Guèye Diop, s’est montré très ouvert. Il a ainsi indiqué que l’industrialisation est un « choix politique » et une « option du gouvernement » de son pays. Reconnaissant qu’un des obstacles est la difficulté à mobiliser des financements, cet ingénieur agronome de formation s’est montré tout à fait disposé à travailler avec des institutions comme Bpifrance et les patronats pour avancer. Et il a invité les entreprises françaises à venir aux états généraux de l’industrie qu’il organise les 9 et 10 décembre prochains dans son pays, et qui serviront de rampe de lancement au volet industriel du « plan Sénégal 2050 » du gouvernement mis en place par le nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye.
Un partenariat entre Bpifrance et la French-African Foundation
En marge de l’événement sur l’industrialisation de l’Afrique, Bpifrance a signé le 11 octobre, avec la French-African Foundation, un accord de partenariat visant à soutenir l’innovation et l’entrepreneuriat sur le continent africain. Ce protocole d’accord, qui mobilisera le réseau de talents des « young leaders » de la French-African Foundation, « ouvre la voie à des collaborations ambitieuses pour accompagner les entrepreneurs et renforcer les échanges entre l’Afrique et la France » précise un communiqué de la banque publique française. Concrètement, ces jeunes talents africains et français à fort potentiel que sont le « young leaders » auront l’opportunité de participer aux événements majeurs de Bpifrance, où ils pourront échanger avec des acteurs clés de l’innovation et de l’entrepreneuriat. L’objectif est de « catalyser des projets à fort impact en Afrique ». La première occasion sera une participation à Inspire & Connect Africa, le « mini » BIG, dont la troisième édition est prévue le 15 novembre à Nairobi.
Maroc, Bénin : émergence de modèles
L’industrialisation, c’est réduire les dépendances aux importations par de la production locale et transformer davantage les matières premières exportées dont certains pays africains sont riches afin d’augmenter la valeur ajoutée locale. Beaucoup de pays africains, encore très dépendants de rentes de matières premières, ont décidé de suivre cette voie au cours des vingt dernières années et recueillent d’ores et déjà des fruits de politiques publiques volontaristes menées sur le long terme dans ce domaine. A l’instar du Maroc, un modèle dont Mehdi Tazi, le vice-président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), a rappelé les grands fondements.
Tout a commencé il y a une vingtaine d’années par une « forme de planification stratégique » qui a consisté à construire et développer les infrastructures nécessaires à l’épanouissement d’écosystème industriels. Exemples emblématiques : le hub logistique international de Tanger Med, les 18 aéroports internationaux et 1800 km de routes construits depuis lors. Alors ont pu se développer des zones industrielles franches dédiées à l’attraction de grands industriels internationaux qui ont permis l’éclosion de filières : l’automobile avec Renault, l’aéronautique avec Safran. L’Office marocain des phosphates a joué sa part dans cet effort, devenant un pilier de l’agro-industrie. L’industrie textile a aussi repris des parts de marché en Europe à la faveur de la prise de distance de la Chine.
Le Bénin en est à ses débuts, mais les premiers résultats sont tangibles aussi : le pays a créé en 2020 une Caisse des dépôts et consignation (CDC), sur le modèle de la CDC française, pour drainer l’épargne locale et l’orienter vers le financement de projets locaux. D’après sa directrice générale, Maryse Lokossou, le pays veut lui aussi pousser son industrialisation. Le calcul est simple : le coton transformé a une valeur 15 fois supérieure au coton brut, et celle de l’anacarde transformée est cinq fois supérieur à celle du fruit brut. La zone économique spéciale de Glo-Djigbé (GDIZ), a été créée, dédiée à la transformation des matières premières locale avec de nombreuses facilités pour les investisseurs, et en son sein, un parc textile. La GDIZ fournit d’ores et déjà des emplois à 12 000 jeunes. Et le Bénin a d’autres projets.
Depuis sa création, la CDC béninoise à injecté 500 milliards de F CFA (762,2 millions d’euros) pour financer des investissements, dont 130 ont été orientés sur l’industrie. « Tout cela sur la base de ressources locales, cela montre que c’est possible » a déclaré sa directrice générale. Malgré des écueils comme le manque de spécialisation de chaque pays au niveau de la zone, qui ont des projets similaires risquant de générer une concurrence inutile. Autre écueil : un écosystème de services encore embryonnaire : les banques locales sont par exemple insuffisamment réactives lorsque les usines ont besoin de lettres de crédit. Et enfin, la nécessité d’assurer la pérennité des zones spéciales grâce à des talents locaux : pour l’instant, celle du Bénin, comme quelques autres dans la zone, sont pilotées par la société privée Arise.
Réseau de banques partenaires pour faciliter les transactions
Mais ce qui freine surtout les projets industriels en Afrique, c’est, comme la rappelé James Mangwi, CEO d’Equity Bank Kenya -une banque en forte croissance déjà présente dans sept pays-, c’est « le capital », autrement dit le financement de long terme. Et pour lui, seul un « système de gouvernance » au niveau des standards internationaux permettra d’attirer les capitaux. En attendant, selon lui, « les banques peuvent faire plus ». Parmi les pistes suivies par sa propre banque, développer des partenariats avec des institutions comme Bpifrance pour faciliter la tâche aux investisseurs.
La banque publique française a, en l’occurrence, beaucoup développé son réseau de banques partenaires en Afrique ces dernières années, comme l’a rappelé Arnaud Floris, son coordinateur Afrique. Pour Bpifrance, l’enjeu est de faire connaître les outils dont elle dispose pour contribuer à co-financer des projets d’entreprises, depuis les fonds d’investissement comme Averroes aux garanties de financement export et d’investissement.
Au vu des échanges, les termes du débat sur l’industrialisation de l’Afrique ont peu varié ces dernières années, la question des financements étant récurrente. Ce qui change, c’est que malgré tout, des projets se réalisent, de nouveaux acteurs africains émergent et ne lâchent pas l’affaire. Sans compter de nouveaux grands projets transnationaux comme la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), qui offrent la perspective d’un commerce intra-africain plus dynamique et de la fin de l’éparpillement des marchés qui limite son attractivité.
Pour les entreprises françaises, une nouvelle occasion de nouer des contacts et de saisir des opportunités en Afrique, particulièrement en Afrique orientale, va bientôt se présenter avec la troisième édition d’Inspire & Connect Africa organisée par Bpifrance à Nairobi, au Kenya, le 15 novembre prochain. Un mini « BIG » visant à favoriser le rapprochement et les partenariats entre les dirigeants d’entreprises françaises et africaines, dont la précédente édition s’est tenue l’an dernier à Abidjan.
Les entreprises tricolores sont les bienvenues au Kenya, dont l’accord de libre-échange avec l’Union européenne vient d’entrer en vigueur, et dont les relations avec la France ont été intensifiée sous l’impulsion du président Macron, et qui accueillera, en 2026, le prochain Sommet Afrique-France. « Nous sommes prêts à accueillir les investisseurs » a assuré Juma Mukhwana, directeur de l’Industrie au MITI, le ministère kényan de l’Investissement, du commerce et de l’industrie.
Christine Gilguy