Le ministère chinois du Commerce a annoncé le 8 octobre la mise en place de droits anti-dumping provisoires sur les eaux de vies européennes issues du vin de raisin (les « brandy »), dont le cognac et l’armagnac, avec effet quasi-immédiat. Une réponse au vote favorable de l’UE, le 4 octobre, sur la mise en œuvre de droits anti-subventions sur les véhicules électriques. Bruxelles va riposter en portant l’affaire devant l’OMC.
[Mis à jour le 9/10/2024 10H00, avec déclaration Sophie Primas]
La réponse du berger à la bergère, œil pour œil, dent pour dent, les expressions vont bientôt manquer pour chroniquer le bras de fer en cours entre l’Union européenne (UE) et la Chine sur la question des droits de douanes compensatoires sur les véhicules électriques et batteries Made in China.
Le 4 octobre, les Vingt-Sept donnaient leur feu vert à la mise en place des droits compensatoires provisoires sur les véhicules électriques et batteries Made in China importés ; cinq jours plus tard, le 8 octobre, le ministère chinois du Commerce (Mofcom) recommandait, dans un avis, la mise en place quasi-immédiate de droits anti-dumping provisoires sur les eaux de vie européennes importées en Chine. Les cognac et armagnac français, dont les producteurs redoutaient cette issue, sont en première ligne.
Dans le détail, les mesures chinoises, qui s’inscrivent dans la suite d’une enquête anti-dumping lancée par Pékin en janvier dernier, sont applicables le 11 octobre. A cette date, les importateurs en Chine de ces produits seront tenus de verser une caution auprès de la Douane chinoise au moment de l’importation. Cette caution correspondra au droit anti-dumping applicable au produit concerné. Elle ne sera définitivement encaissée que si aucun accord n’est trouvé entre les deux blocs et que la mesure devient définitive. Autant dire que les importations de cognac et d’armagnac sont promises à un coup d’arrêt brutal dans un pays où la consommation est déjà déprimée.
Le communiqué du Mofcom donne à cet égard une liste précise des marques concernées, avec pour chacune les droits anti-dumping applicables. D’après Les Echos, concernant les marques françaises, ils vont de 30,6 % du prix d’import pour Martell (groupe Pernod Ricard) à 39 % pour Hennessy (groupe LVMH), en passant par 38,1 % pour Rémy Martin (groupe Rémy Cointreau). Les autres producteurs ayant coopéré avec les autorités chinoises dans le cadre de leur enquête anti-dumping se verront imposer 34,8 %.
Pour les producteurs français, qui espéraient un nouveau répit, le coup est dur. Ils fournissent 99 % des eaux de vie européennes importées en Chine, soit 1,7 milliard d’euros en 2023.
Que peut faire l’Union européenne ?
Pas grand-chose dans l’immédiat, sauf peut-être contester à l’OMC (Organisation mondiale du commerce) la justification de ces droits anti-dumping chinois sur les eaux de vies européennes, comme elle l’a d’ores et déjà fait pour la filière laitière en septembre dernier, en demandant des consultations sur la légitimité de l’enquête antisubventions de la Chine lancée sur cette filière. « Sur le cognac, les éléments dont on dispose ne nous permettent pas de penser que des droits anti-dumping sont justifiés », souligne une source européenne. Ce qui pourrait motiver une demande de consultation à l’OMC.
De fait, dans un communiqué publié plus tard dans la journée le 8 octobre, la Commission a dénoncé « l’utilisation abusive de la défense commerciale pour des raisons inappropriées », estimant que cela« constitue une violation manifeste des règles de l’OMC ». « En conséquence, poursuit-elle, la Commission contestera fermement, au niveau de l’OMC, l’institution annoncée de mesures antidumping provisoires par la Chine sur les importations de brandy en provenance de l’UE. » Sophie Primas, la ministre française en charge du Commerce extérieur a, dans une déclaration à l’agence Reuters, appuyé cette riposte : « En lien avec la Commission européenne, nous allons bien entendu contester cette décision devant l’organe de règlement des différends de l’OMC », a-t-elle déclaré. « J’estime ces mesures incompréhensibles, rien ne les justifie », a-t-elle ajouté.
Pour l’heure, les autorités européennes semblent vouloir rester fermes sur la question des droits compensatoires sur les véhicules électriques et batteries Made in China. Après l’accord des Etats membres le 4 octobre, ceux-ci entreront en vigueur pour une durée de 5 ans le lendemain de la parution du règlement correspondant au JOUE (Journal officiel de l’Union européenne), le 30 octobre. Mais en parallèle, les négociations sur une solution alternative entre les deux blocs se poursuivent. Avec pour enjeu de trouver un accord amiable sur « un prix minimum à l’import ».
Dans un communiqué commun publié le 8 octobre, les organisations françaises du secteur (BNI Armagnac, BNIC Cognac et FEVS), qui craignent de voir disparaître un débouché pour un quart de leurs exportations, en appellent au gouvernement français : « Face à ce développement, les autorités françaises ne peuvent pas nous abandonner et nous laisser seuls face à des rétorsions chinoises et qui ne nous concernent pas, écrivent-elles. L’effet de ces taxes serait catastrophique pour nos filières et nos régions ». « Alors que la France et la Chine célèbrent cette année le 60ème anniversaire du rétablissement de leurs relations diplomatiques, tout doit être fait pour éviter cette issue, insistent-elles. Nous en appelons à notre gouvernement afin que les démarches nécessaires soient enfin entamées pour mettre fin à cette escalade dont nous sommes les otages et dont l’issue est aujourd’hui plus menaçante que jamais. Ces taxes doivent être suspendues avant qu’il ne soit trop tard ».
A suivre…
Christine Gilguy