C’est une première : deux forums d’affaires organisés par Business France, l’un à Paris le 30 septembre et l’autre à Marseille le 1er octobre, mettent cette semaine l’Égypte et ses opportunités à l’honneur. Une illustration de la vigueur des relations économiques franco-égyptiennes, malgré un environnement géopolitique perturbé et une concurrence féroce. Et une occasion de dévoiler les opportunités de commerce et d’investissement pour les entreprises françaises.
Signe que la relation franco-égyptienne est considérée comme une priorité au niveau gouvernementale, dans le contexte troublé que traverse le Moyen-Orient, Sophie Primas, nouvelle ministre en charge du Commerce extérieur et des Français de l’étranger, a réservé au Forum d’affaires Égypte organisé à Paris par Business France le 30 septembre sa toute première sortie publique en tant que ministre.
« Nous avons une volonté commune de renforcer notre coopération », a lancé l’ancienne vice-présidente du Sénat en présence d’une délégation égyptienne conduite par le vice Premier ministre en charge du développement humain et ministre de la Santé Khaled Abdel Ghaffar et le ministre de l’Investissement et du commerce extérieur Hassan El Khatib.
« Nous devons collégialement faire mieux »
Le marché égyptien, forte de ses 100 millions d’habitants et d’un fort potentiel de développement, est de longue date une terre appréciée des entreprises françaises : 2500 d’entre elles y exportent régulièrement et près de 200, parmi lesquelles la plupart des grands groupes du CAC 40, y comptent des filiales employant près de 50 000 personnes. Tout l’écosystème français du soutien à l’export y est solidement implanté dont Business France, la Chambre de commerce France-Egypte, les Conseillers du commerce extérieur (CCE). Et une banque française y est active de longue date dans tous les métiers de la banque : le Crédit Agricole, via sa filiale cotée à la bourse du Caire CA Egypte. D’après Michel Le Masson, responsable du développement international chez Crédit Agricole SA, la banque verte a contribué au crédit export à hauteur de 16 milliards d’euros (Md EUR).
Les échanges commerciaux, structurellement excédentaires pour la France, atteignent bon an mal an 3 Md EUR et le stock d’investissement français atteint de l’ordre de 10 Md USD. Signe de l’étroite relation qu’entretiennent les deux pays sur le plan diplomatique et de la coopération militaire : l’Égypte a été le premier pays à acheter des Rafale, en 2015, donnant le coup d’envoi au décollage de l’avion de combat de Dassault à l’export. En cours d’extension, le métro du Caire a été construit avec du savoir-faire français.
« Nous devons collégialement faire mieux » a néanmoins estimé Sophie Primas, citant comme secteurs d’opportunités l’efficacité énergétique et la transition verte, l’eau, les infrastructures et le développement urbain, l’agro-industrie, la santé. L’Agence Française de développement (AFD) est, depuis 18 ans, le premier bailleur de fonds bilatéral de l’Égypte avec 3 Md EUR mobilisés sur la période 2006-2023. Et le Trésor tient ouvert les vannes du crédit export, même si « avec vigilance ».
Signe de cette volonté d’accroître la coopération économique entre les deux pays, Business France a signé deux protocoles d’accord (MoU) lors du forum, l’un avec le groupe égyptien Elsewedy Electrics, premier constructeur de centrales électriques d’Afrique, et l’autre avec le GAFI, l’Autorité égyptienne en charge des investissements et des zones franches (encadré ci-après).
Les détails des MoU signés par Business France
Avec Elsewedy Electric
Le groupe Elsewedy Electric est le premier constructeur de centrales électriques en Afrique et au Moyen-Orient (CA : 4,8 Md EUR en 2022, 18 000 personnes dans le monde). Il est présent dans 19 pays grâce à 31 sites de production répartis en Afrique et en Asie, et il exporte dans plus de 110 pays. Un premier MoU a été signé entre Business France et Elsewedy Electric en février 2020 à l’occasion du 1er Forum d’affaires Egypte. Le second, signé le 30 septembre par Didier Boulogne (au fond), directeur général délégué Export à Business France, et Ahmed El Sewedy, CEO du groupe égyptien (premier plan), porte notamment sur l’échange d’informations sur les opportunités d’investissements en France, l’appui aux projets d’investissements en Egypte, la participation commune à des conférences internationales et l’accueil de délégations d’entreprises françaises en Egypte.
Avec le GAFI
Placé sous l’autorité du ministère de l’investissement et du commerce extérieur, l’autorité générale pour l’investissement et les zones franches (General Authority for Investment and Free Zones- GAFI) est l’autorité publique égyptienne chargée de réguler, encourager, administrer et promouvoir les investissements internationaux en Egypte. Avec Business France, ils sont tous les deux membres du réseau ANIMA, un réseau de coopération pour le développement économique en Europe, Moyen-Orient et Afrique. La signature du MoU le 30 septembre intervient trois mois après la conférence sur l’investissement UE-Egypte qui s’est tenue au Caire fin juin 2024 avec pour objectif d’attirer davantage d’investissements directs (IDE) et de capitaux étrangers vers l’Egypte. La délégation française était la délégation étrangère la plus importante. Ce MoU d’une durée de 3 ans, porte sur la coopération dans le domaine de l’attractivité d’IDE (échange d’informations sur les opportunités d’investissements, organisation commune de séminaires dédiés à la promotion de l’attractivité économique, accueil de délégations d’entreprises, promotion des investissements durables).
L’intérêt des entreprises françaises est en tout cas manifeste : le forum de Paris s’est tenu à guichet fermé au siège de Business France et plus de 200 rencontres d’affaires BtoB ont été enregistrées en présence d’une centaine d’entreprises françaises et d’une délégation égyptienne composée de 30 institutions et entreprises. Les CCE, dont la présidente Sophie Sidos était présente en ouverture, ont prévu de faire leur prochain forum régional Méditerranée Sud-Moyen-Orient au Caire en mai 2025, avec un volet rendez-vous d’affaires BtoB organisé par Business France. Et d’ici là, une délégation égyptienne sera présente parmi d’autres au prochaines Rencontres Ambition Africa les 19 et 20 novembre prochains.
« Nous voulons que le secteur privé prenne le lead »
Pourquoi est-ce le moment de s’intéresser à l’Égypte alors que le pays, en proie à une inflation galopante, se remet à peine d’une crise qui a vu sa monnaie s’effondrer ? D’après les propos entendus lors du forum à Paris, le pays vient tout juste de s’engager dans une transformation radicale de son modèle économique qui mise sur le secteur privé pour soutenir les investissements dans les infrastructures, diversifier son économie et doper ses exportations.
Le pays, très endetté, a été en grande difficulté économique durant la période post-Covid qui a vu fondre ses principales rentes : transferts de la diaspora, flux touristiques et revenus du canal de Suez. Le trafic de ce dernier a été fortement perturbé par l’échouage de l’Ever Given en mars 2021, puis, deux ans après, par les attaques terroriste Houthis en mer Rouge qui perdurent depuis fin 2023, qui ont fait chuter de 50 % le trafic.
Pour éviter la faillite, le gouvernement a dû recourir à un remède de cheval, préconisé par le FMI : il a adopté un système de change flottant, laissant filer sa monnaie et l’inflation, et signé un programme d’ajustement avec le FMI (qui a porter son soutien financier de 3 à 8 Md USD) prévoyant un important volet de réformes libérales, dont les privatisations et le recours aux partenariats public-privé (PPP). D’autres grands bailleurs de fonds publics ont suivi dont l’Union européenne, qui a promis un appui financier de 7,4 Md EUR. Sans compter le Fonds souverain d’Abou Dhabi ADQ, qui a annoncé dès février un projet d’investissement sans précédent de 35 Md USD pour un projet urbain intégré sur la côte nord du pays, à Ras El Hekma.
L’Égypte a investi près de 500 Md USD ces dix dernières années pour moderniser et construire des infrastructures, dont la moitié financée par l’État contre 30 % seulement pour le secteur privé. « Nous voulons que le secteur privé prenne le lead » a résumé Hassan El Khatib, le nouveau ministre de l’Investissement et du commerce extérieur, qui a également insisté sur la volonté de son pays de devenir un véritable « hub d’exportation ».
Et pour cela, la priorité est de créer un environnement « pro business ». Côté macro-économie, la forte dévaluation de la livre égyptienne a doper la compétitivité du pays. « Le coût moyen de la main d’œuvre est de 200 USD par mois en Egypte contre 600 USD en Turquie » a souligné Hassan El Khatib, évoquant la présence d’une main d’œuvre qualifiée : « chez Valeo, des centaines d’ingénieurs égyptiens travaillent sur des développements de software pour le groupe ». De nombreux actifs égyptiens sont devenu très attractifs : « c’est le moment d’y aller car les entreprises ne sont pas chères » a notamment remarqué Nahla Djabi, du cabinet de conseil Matouk Bassiouny.
« La priorité du gouvernement est d’assurer un level playing field »
Outre stabiliser l’inflation, le gouvernement s’efforce à présent d’assurer un cadre juridique plus transparent et ouvert aux entreprises, notamment étrangères. « Les réformes sont en cours, nous y croyons, il y a une vraie volonté de faire évoluer le modèle économique égyptien » a souligné Magali Cesana, responsable du Service des affaires bilatérales et du développement international des entreprises à la direction générale de Trésor. « La priorité du gouvernement est d’assurer un level playing field », a confirmé Pascal Furth, chef du service économique au Caire. Autrement dit, que « les règles du jeu soient les mêmes pour tout le monde ».
Dans le pays, zones franches et parcs technologiques, publics et privés, ont fleuri ces dernières années. Hossam Heiba, le président du GAFI, a signalé que six nouvelles zones franches publiques étaient en chantier, qui viendront s’ajouter au neuf existantes, où 1500 entreprises exportatrices sont déjà installées. Une des réformes introduites récemment est l’ouverture de ces régimes d’investissement avantageux aux activités de services.
Decathlon, dont la directrice financière de la filiale égyptienne Saly Zikri est intervenue lors du forum, possède 10 magasins en propre dans le pays et compte en ouvrir trois autres. Sa cible, une classe moyenne élargie qu’elle estime à environ 25 millions de personnes, environ un quart de la population égyptienne. « Ils sont tous profitables » a-t-elle assuré. Fait intéressant : le groupe français source une partie de ses vêtements de sport localement, auprès de trois entreprises, et en exporte pour 75 M USD.
D’après le président du GAFI, les flux d’IDE sont en hausse actuellement, provenant des pays arabes, d’Europe et d’Asie. Ils s’investissent dans les énergies vertes, l’industrie automobile, l’industrie pharmaceutique, le textile, l’électronique (de nombreuses marques se seraient localisées en Egypte pour réexporter), l’agro-industrie. En matière de présence française, « on a déjà une base solide », a encore souligné Hossam Heiba. Mais les Égyptiens sont désireux d’attirer davantage d’entreprises, notamment les PME et ETI, dans des secteurs où elles ont des savoir-faire reconnus et où le gouvernement met l’accent. Le président du GAFI a cité en exemple l’éducation, la santé, les nouvelles technologies.
Pour les entreprises françaises, les opportunités ne manquent pas dans les divers secteurs déjà cités. Parmi les projets emblématiques, 22 villes nouvelles intelligentes (qui s’ajouteront aux 50 déjà construites), train à grande vitesse, la transformation des berges du canal de Suez en gigantesque zone franche pour l’exportation. « Dans le domaine des infrastructures, l’un des grands enjeux est le transport lié aux villes nouvelles, a souligné Pascal Furth. L’autre grand enjeu est le développement des énergies renouvelables ». Et pour ces grands projets d’infrastructure, « le PPP est le choix stratégique pour l’Égypte ».
Christine Gilguy