La Banque mondiale vient de publier sa nouvelle classification des pays en fonction de leurs revenus par habitant. Malgré la guerre, la Russie, l’Ukraine et la Bulgarie passent cette année dans la catégorie supérieure. Explications.
Sur le papier, les ménages du monde entier se sont considérablement enrichis depuis la fin des années 1980. Alors qu’en 1987 30 % des pays étaient classés parmi les économies à faible revenu, ils ne sont désormais plus que 12 %. Sur la même période, la proportion de pays à revenu élevé est passée de 25 à 40 %.
Chaque année, la Banque mondiale répartir les économies du monde en quatre catégories en fonction de leur revenu national brut par habitant : faible revenu, revenu intermédiaire inférieur, revenu intermédiaire supérieur et revenu élevé.
Dans la nouvelle édition de ce classement, trois pays rejoignent les pays les plus riches dont les Palaos (archipel micronésien de 20 000 habitants). Une croissance modeste, mais continue et conjuguée à un regain de la consommation, a permis à la Bulgarie de rejoindre également les économies à revenu élevé. Plus surprenant, au regard de la guerre en cours et des sanctions internationales à son encontre, la Russie a également rejoint cette catégorie.

L’Ukraine passe à la catégorie supérieure
Pour les économistes de la Banque mondiale ce passage à la tranche supérieure s’explique notamment par une forte augmentation des dépenses militaires en 2003. L’activité économique russe a également été portée par un rebond de son commerce extérieur (+ 6,8 %), du secteur financier (+ 8,7 %) et de la construction (+6,6 %), entraînant une augmentation du PIB réel (+ 3,6 %) et nominal (+ 10,9 %). Son revenu par habitant a progressé de 11,2 % en un an.
Quant à l’Ukraine, son revenu nominal par habitant a suffisamment progressé (+ 18,5 %) pour la faire entrer dans la catégorie « revenu intermédiaire inférieur ». Cette amélioration, expliquent les analystes de la Banque mondiale, est le fruit d’un rétablissement de la croissance économique en 2023 (le PIB réel a augmenté de 5,3 %, après une chute de 28,8 % en 2022), mais aussi d’un déclin continu de la population, qui s’est réduite de plus de 15 % depuis le début de l’invasion russe.
Ces facteurs ont en outre été amplifiés par la hausse des prix des biens et services produits localement, qui a entraîné une forte augmentation du RNB nominal par habitant. Alors que l’économie ukrainienne a été considérablement affaiblie par l’invasion russe, la croissance réelle en 2023 a été tirée par l’activité de construction (+ 24,6 %), à la suite d’une augmentation considérable des dépenses d’investissement (+ 52,9 %) en soutien aux efforts de reconstruction.
Changement de méthode statistique en Algérie
L’Algérie, l’Iran et la Mongolie sont entrés dans la même catégorie de revenu intermédiaire inférieur. Dans le cas de l’Algérie, ce changement tient principalement à la refonte des statistiques des comptes nationaux afin de s’aligner sur les normes internationales en vigueur. Ce réalignement s’est traduit par une révision à la hausse du niveau du PIB (+ 13,3 % en moyenne sur la période 2018-2022), qui s’explique notamment par l’intégration de la recherche-développement dans les estimations sur l’investissement, l’amélioration des méthodes de mesure de la production dans l’administration publique et une meilleure prise en compte de l’économie souterraine.
En Iran, l’activité économique a enregistré une croissance de 5 % en 2023, tirée principalement par les exportations de pétrole et dans une moindre mesure par les services et l’industrie manufacturière. Le RNB a bondi de 39,5 % en valeur nominale, ce qui, combiné à la dépréciation du rial iranien, s’est traduit par une augmentation de 17,6 % du RNB par habitant. De son côté, la Mongolie a poursuivi sa reprise post-Covid, avec un PIB en hausse de 7 % en 2023, à la faveur d’une expansion de 23,4 % de l’activité minière et de la hausse des prix à l’export, qui a dopé les exportations (+ 53,4 %).
Cisjordanie et Gaza, seule région ayant régressé
Sans surprise, les territoires de la Cisjordanie et de la bande de Gaza sont la seule économie qui a régressé cette année dans la classification. Le conflit au Moyen-Orient ayant débuté en octobre 2023, ses effets portent uniquement sur le quatrième trimestre, mais leur ampleur a été suffisante pour entraîner une baisse de 9,2 % du PIB nominal (-5,5 % en termes réels). Comme l’économie était proche du seuil des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, catégorie que ces territoires ont rejointe l’an dernier, cette baisse a suffi à ramener le RNB par habitant dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire inférieur.
Par grandes régions du monde, la disparité des situations vient tempérer le satisfecit de la Banque mondiale. En 1987, 100 % des pays d’Asie du Sud étaient classés dans la catégorie des économies à faible revenu ; ils ne sont plus que de 13 % en 2023. Dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, la proportion de pays à faible revenu est en revanche plus élevée en 2023 (10 %) qu’en 1987, où aucun pays n’était classé dans cette catégorie.
En Amérique latine et Caraïbes, la part des pays à revenu élevé a, elle, grimpé de 9 % en 1987 à 44 % en 2023. En Europe et en Asie centrale, la proportion de pays classés dans la catégorie des économies à revenu élevé en 2023 (69 %) est légèrement inférieure à celle de 1987 (71 %).
Les actuelles tensions géopolitiques et économiques pourraient bien voir d’autres pays changer de catégorie lors de la prochaine édition de cette étude.
Sophie Creusillet