Bruxelles a adopté un 14ème paquet de mesures de sanction visant pour la première fois les exportations russes de gaz naturel liquéfié (GNL) et élargissant la liste des produits et entités interdites aux opérateurs européens. Il comprend également des dispositions de lutte contre le contournement des sanctions.
Enfin. Il aura fallu plus de deux ans et 13 trains de sanctions pour que les Vingt-Sept parviennent à se mettre d’accord sur l’attitude à tenir face aux importations de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance de Russie, qui n’étaient jusqu’à présent pas concernées par les sanctions européennes.
Plus précisément, les mesures mises en place par l’Union européenne (UE) le 20 juin ne s’attaquent pas directement aux exportations russes de GNL, mais aux navires qui les transportent. Ces derniers sont désormais interdits d’accès aux ports et de prestations de services. Et donc de transbordement.
Interdiction de transbordement dans les ports européens
Car cette interdiction, qui concerne également les navires transportant des céréales ou du pétrole (27 au total), a pour objectif non seulement d’assécher les importations européennes, particulièrement lucratives pour Moscou, mais aussi de tarir l’approvisionnement en GNL russe de pays tiers.
Selon le dernier rapport du Groupe international des importateurs de GNL (Giignl), les ventes russes à l’Europe sont passées de 16 million de tonnes (Mt) en 2022 (Mt) à 14,4 Mt en 2023 et de 12,8 % à 11,5 %. Mais une partie est ensuite réexportée en dehors de l’UE.
En hiver, le GNL russe est transporté jusqu’en France, aux Pays-Bas et en Espagne où une large partie est transbordée et part pour l’Asie, essentiellement en Chine où la demande a explosé l’an dernier. Les transbordements russes s’effectuent principalement dans les terminaux GNL de Zeebrugge en Belgique et de Montoir en France. La route maritime Nord (RMN) permet en effet à des méthaniers brise-glace d’accéder aux terminaux de GNL produit par Novatek à Yamal, dans l’Arctique, et de repartir en direction de l’Europe et de la Chine.
Depuis décembre 2022, Gazprom dispose d’une usine de liquéfaction du gaz naturel (Portovaya LNG) sur la mer Baltique d’où sont partis des méthaniers en direction de l’Europe (notamment la France, l’Espagne ou la Belgique).
Mise en place de mécanismes de diligence raisonnable
Le secteur de l’énergie n’est pas le seul à faire état de contournements des 13 précédents trains de sanctions. Pour y mettre fin, les maisons mères seront « tenues de faire tout leur possible pour s’assurer que leurs filiales de pays tiers ne prennent pas part à des activités aboutissant à un résultat que les sanctions cherchent à prévenir ».
Dans le même esprit, pour éviter les réexportations par les opérateurs européens de matériels militaires trouvés en Ukraine ou nécessaires au développement des systèmes militaires russes, les acteurs européens qui les vendent à des pays tiers devront mettre en œuvre des mécanises de diligence raisonnable permettant d’identifier et d’évaluer les risques de réexportation. Idem pour les transferts de savoir-faire industriels : ils devront désormais inclure des dispositions contractuelles garantissant que ce savoir-faire ne sera pas utilisé pour des biens destinés à la Russie.
Toujours afin d’éviter d’autres formes de contournement, le Conseil a décidé d’élargir l’interdiction des vols dans l’UE aux jets privés et l’interdiction du transport routier de marchandises sur le territoire de l’UE, y compris en transit, de manière à couvrir les opérateurs de l’UE qui sont détenus à 25 % ou plus par une personne physique ou morale russe.
La liste de produits sous sanctions s’allonge
Les Vingt-Sept ont par ailleurs ajouté 61 nouvelles entités à la liste de celles qui soutiennent directement le complexe militaire et industriel russe dont certaines situées dans des pays tiers (Chine, Kazakhstan, Kirghizstan, Turquie et Emirats arabes unis). La liste des biens soumis à restrictions intègre certaines machines-outils et certains véhicules tout-terrain, les produits chimiques, y compris les minerais de manganèse et les composés de terres rares, les matières plastiques, les engins d’excavation, les moniteurs et les équipements électriques, ainsi que de nouvelles restrictions sur l’importation d’hélium en provenance de Russie, qui est une source de revenus importants pour le régime.
Côté finance, le Conseil a décidé d’interdire l’utilisation du Système de transfert de messages financiers (SPFS), mis au point par la Banque centrale de Russie pour neutraliser l’effet des mesures restrictives. Les entités de l’UE opérant en dehors de la Russie n’auront pas le droit de se connecter au SPFS ou à des messageries équivalentes. Le Conseil a également opté pour l’interdiction des transactions en crypto-actifs pour la fourniture, la vente, le transfert ou le transport vers la Russie de biens sous sanctions, l’interdiction pour les partis et fondations politiques, les ONG ou les médias de l’UE de recevoir des financements provenant de l’Etat russe.
Indemnisation des entreprises européennes
Enfin, l’UE a lancé une mesure permettant aux opérateurs de l’UE de demander une indemnisation pour les dommages causés par les entreprises russes en raison de la mise en œuvre des sanctions et de l’expropriation.
Figurent également dans ce nouveau train de sanctions des restrictions à l’acceptation des demandes d’enregistrement dans l’UE de certains droits de propriété intellectuelle par des ressortissants et des entreprises russes ainsi que l’interdiction d’acheter, d’importer, de transférer ou d’exporter des biens culturels ukrainiens et d’autres biens d’importance archéologique, historique, culturelle, scientifique ou religieuse rare, lorsqu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que ces biens ont été sortis illégalement d’Ukraine.
La Russie est le quatrième producteur mondial de GNL, avec des exportations de 32,6 Mt en 2023, dont seulement 1,9 Mt ont été rechargées dans les ports de l’UE pour être exportées vers l’Asie, selon la société d’analyse de données Kpler. Selon ses experts, une interdiction des transbordements de GNL aurait un impact limité en raison des faibles volumes, mais augmenterait les coûts pour les entreprises russes et perturberait la logistique.
A noter que ce durcissement des sanctions européennes intervient quelques jour après une action similaire engagée par les Etats-Unis et visant précisément les systèmes de contournement.
Sophie Creusillet