La présidente des Conseillers du commerce extérieur (CCE) depuis un an, Sophie Sidos-Vicat, a partagé son expérience lors d’un petit-déjeuner organisé par Le Moci dans le cadre de son Thema 2024 Risques & opportunités export* et animé par notre rédactrice en chef Christine Gilguy. Pour cette fine connaisseuse du développement à l’international, représentante de la 7e génération de dirigeants du cimentier Vicat (70 % de son chiffre d’affaires à l’étranger), les entreprises doivent oser à l’export, malgré le contexte géopolitique.
« Malheureusement, le ciment s’exporte », déplore Sophie Sidos-Vicat. Curieuse réflexion pour cette dirigeante rompue aux rouages de l’international ! C’est que l’entreprise, qui a réalisé un chiffre d’affaires consolidé de 3,9 milliards d’euros l’an dernier et compte 10 000 employés, tient à ses valeurs de RSE et ses efforts de décarbonation. Pourquoi, en effet, développer actuellement « un ciment carbone négatif » comme le fait Vicat, s’il doit être ensuite transporté par bateau sur des milliers de kilomètres ? Dans le même état d’esprit, le cimentier n’ouvre pas de carrière à l’étranger si son exploitation doit être inférieure à 100 ans.
« On parle beaucoup de décarbonation mais nous devons faire face à une multiplication des normes. La loi sur la CSRD, par exemple, qui demande de renseigner 1200 informations, a mobilisé 20 personnes et 1,5 million d’euros chez Vicat. L’écologie est importante, mais encore faut-il que les produits décarbonés soient compétitifs et achetés ! » Si les normes environnementales européennes sont régulièrement citées par les entreprises comme un frein à leur développement, la compétitivité des produits made in France n’est pas non plus une chimère selon la dirigeante qui croit à la réindustrialisation du tissu économique français.
La réindustrialisation et les relocalisations, une priorité
Car, pour reprendre la phrase de l’ancienne ministre déléguée au Commerce extérieur Christine Lagarde, « l’export commence en France ». « Un des derniers fabricants français de panneaux solaires a fermé ses portes en raison de la concurrence chinoises, regrette Sophie Sidos-Vicat. Ces entreprises doivent être soutenues par l’Etat. Il faut acheter français ! On me répond souvent qu’il faut acheter européen, mais nos voisins ne produisent pas dans les mêmes conditions. Le coût de l’énergie n’est pas le même en Espagne et en Allemagne. »
La réindustrialisation, que la dirigeante appelle de ses vœux, passe également par des relocalisations à l’instar de la récente décision d’Opinel de rapatrier sa production à Chambéry. C’est d’ailleurs Vicat qui lui a vendu un terrain pour construire une usine. « Sur les 54 milliards d’euros du programme France 2030, 36 ont déjà été dépensés. Ce qu’il reste doit être consacré aux relocalisations… S’il est maintenu, car après le tsunami des élections européennes et la dissolution de l’Assemblée nationale, qui produisent de l’insécurité et de l’instabilité, on ne sait pas sur quel pied danser » estime la présidente des CCE.
« On ne peut pas se passer des Etats-Unis et de la Chine…»
A l’international, le contexte est également pour le moins tendu en raison de la multiplication des tensions et conflits géopolitiques. Si « le climat des affaires est actuellement épouvantable », « il faut se lancer à l’export car les entreprises qui y vont augmentent leur chiffre d’affaires de 30 % en moyenne ». Y compris dans des pays réputés difficiles. « Il faut aller sur place pour se rendre compte » explique la dirigeante d’une entreprise qui possède des cimenterie dans des pays aussi divers que le Brésil, les Etats-Unis, le Kazakhstan et l’Inde.
Exemple avec l’Inde, où les CCE organiseront les 27 et 28 novembre prochain leur grand Forum APAC (Asie-Pacifique) avec, pour la première fois, des rendez-vous BtoB. « L’Inde, est un pays complexe, c’est vrai, reconnaît la dirigeante qui le connaît bien. Surtout, il faut connaître les codes. Nous nous sommes par exemple aperçus que les premiers contrats se faisaient attendre car le responsable sur place n’était pas de la bonne caste. »
Quid des Etats-Unis, dont l’Inflation Reduction Act (IRA) a été perçu en Europe comme un programme hautement protectionniste ? Vicat, qui est implanté sur place de longue date, en a profité pour décrocher une aide de 500 millions d’euros pour décarboner une usine. « Nous travaillons en France sur un projet similaire de capture et de stockage de carbone depuis quatre ans et il ne s’est toujours pas concrétisé. Aux Etats-Unis, tout va beaucoup plus vite. » Pour Sophie Sidos-Vicat, « on ne peut pas se passer des Etats-Unis et de de la Chine, comme on ne peut pas vivre qu’avec le marché chinois ou l’abandonner complètement ».
Reste que l’export est une aventure complexe pour des petites entreprises. D’où l’importance de réseaux comme celui des CCEF, à l’étranger comme en France, pour conseiller les entreprises, mais également les sensibiliser à l’export. « Je crois aux forums, aux réunions qui permettent de discuter des marchés et des opportunités. Ce n’est pas en restant tout seul dans son coin qu’on y arrive ! »
Sophie Creusillet
*L’interview live de Sophie Sidos Vicat a été enregistrée. La vidéo sera mise en ligne le 2 juillet sur le site lemoci.com, à l’occasion de la diffusion en direct du Thema Moci Risques et opportunités export 2024. Inscription gratuite mais obligatoire : cliquez ICI.