Cet article signé d’Alain Bentéjac, vice-président du Think Tank La Fabrique de l’exportation, ancien président des Conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF), fondateur et administrateur d’Artelia, donne un éclairage argumenté et documenté sur les facteurs qui ont conduit au rejet par le Sénat français, le 21 mars, du projet de Loi de ratification de l’accord AECG-CETA. Ce que déplore l’auteur. Il a été mis en ligne sur le compte Linkedin de la Fabrique de l’Exportation et nous en publions des extraits avec son aimable autorisation.
Le rejet par le Sénat du CETA, après un débat très polémique et assez superficiel, a remis au premier plan de l’actualité les interrogations sur les accords de libre-échange négociés par la Commission européenne. En réalité, le CETA en lui-même ne mérite un tel déferlement de controverses, car son impact économique est limité et les risques qu’il comporte sont surévalués. Mais ce débat est révélateur de craintes et de fractures plus profondes, qui portent sur la politique commerciale de l’Union européenne.
Le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement, ou Accord Economique et Commercial Global – AECG, comme nous devrions le nomme à l’instar des francophones canadiens) a fait l’objet d’un débat artificiellement amplifié, alors que les enjeux de cet accord sont en réalité assez faibles. Il ne méritait « ni cet excès d’honneur, ni cette indignité », car il n’est pas plus un danger mortel pour l’économie française, son agriculture en particulier, qu’il n’est une opportunité exceptionnelle pour nos exportateurs.
L’examen des chiffres du commerce bilatéral montre clairement l’impact limité du traité : l’augmentation des échanges entre la France et le Canada, souvent mise en avant par les défenseurs du traité, n’est en fait que légèrement supérieure à celle de l’ensemble de notre commerce extérieur : nos exportations vers ce pays ont certes progressé de 39% entre 2016 et 2023, mais nos ventes à l’étranger dans leur ensemble augmentaient de 35%…Mais l’accord n’a pas non plus provoqué un raz-de-marée d’importations ( hausse de 45% contre 42% pour le total de nos achats ). Au demeurant, le poids du Canada dans nos échanges reste faible : ce pays n’est que notre 28ème partenaire commercial et les importations du Canada représentent 0,5% du total de nos achats à l’étranger (statistiques douanières de 2022).
Au-delà des chiffres, irréfutables, les détracteurs du CETA mettent en avant les risques qu’il présente, et à cet égard, deux sujets, partiellement liés, concentrent les attentions : l’agriculture et l’environnement.
S’agissant des échanges agricoles, force est de constater que le déferlement d’importations redouté ne s’est pas produit, notamment pour la viande bovine, dont les ventes, très faibles en valeur absolue, sont de surcroît en déclin. Il est vrai, comme ne manquent pas de le souligner les opposants, que le Canada est loin d’avoir utilisé la totalité de ses contingents, et qu’il dispose donc d’une réserve d’exportations importante. Ce risque existe, mais il est plutôt de l’ordre du fantasme. Il est en effet difficile d’imaginer que les exportateurs de bœuf canadien, qui n’ont pas exploité cette possibilité depuis 2017 vont soudainement inonder le marché. Sur ce sujet comme sur celui du CETA plus généralement, il est évident que la crise agricole actuelle en France a joué un rôle déterminant dans les différentes prises de position, et que les réalités du commerce bilatéral sont passées au second plan. Les chiffres montrent d’ailleurs que les difficultés de l’agriculture française sont avant tout dues aux échanges intra-communautaires, et nullement à la concurrence canadienne.
Les préoccupations environnementales ont également beaucoup pesé et chacun a pu citer certaines substances chimiques qui seraient autorisées au Canada et interdites en Europe ou en France. Il s’agit là, selon le mot de Pascal Lamy, d’une nouvelle manifestation du « protectionnisme de précaution » qui s’ajoute au traditionnel « protectionnisme de production ». Des différences de réglementation existent, bien sûr, mais est-il raisonnable de penser que l’échange international ne peut se faire qu’entre des partenaires ayant exactement les mêmes règles environnementales ou sociales ? Dans ce cas, le commerce international se réduirait comme une peau de chagrin…
Cet argument est surtout très méprisant pour nos amis canadiens, qui sont traités comme s’ils n’avaient pas le moindre souci de l’environnement et de la santé. La réalité est que ce pays, dans certains domaines, est probablement plus soucieux d’écologie que nous, et qu’il l’est moins dans d’autres, ou sous des formes différentes. Il est illusoire de vouloir appliquer la même norme à tous, et il est vrai que le Canada, pays à haut niveau de développement, membre de l’OCDE et de toutes les institutions internationales, n’a pas grand-chose à apprendre de nous en matière d’écologie. Si nous rejetons le Canada, quel pays sera digne de commercer avec nous ? […]