Quelques semaines après des manifestations d’agriculteurs qui s’en sont notamment pris aux partenariats économiques conclus par l’Union européenne, les accords de libre-échange (ALE) étaient au programme de la conférence « accès aux marchés » qui a ouvert le 25 mars les Journées Export Agro. Avec l’objectif d’en défendre les bénéfices réels, et d’en expliquer le mode d’emploi.
« Business France ne peut que regretter le vote du Sénat sur le CETA », a commenté Laurent Saint-Martin, en référence au rejet du Comprehensive Economic and Trade Agreement, l’ALE entre l’Union et le Canada, par la chambre haute le 21 mars dernier. Les intervenants conviés à cette matinée d’ouverture d’une semaine de promotion de l’export dans l’agriculture et l’industrie agro-alimentaire ont tous partagé le regret exprimé par le directeur de Business France.
Entré partiellement en vigueur en 2017, le CETA (AECG pour le sigle en français) s’attire en effet les foudres des syndicats d’agriculteurs et d’une partie de la classe politique française qui y voient une menace pour l’agriculture européenne. Pourtant, « les exportations européennes ont augmenté de 66 % depuis sa mise en place et celles de la France sont passées de 600 à 900 millions d’euros », a rappelé Denis Redonnet, le responsable des enquêtes et sanctions du commerce extérieur européen (il a notamment la charge de l’enquête sur les véhicules électriques chinois).
Le CETA en ligne de mire
Les Canadiens sont accusés d’exporter des bœufs élevés aux hormones de croissance ? Faux, répond Denis Redonnet. « Le Canada n’exporte pas de bœufs aux hormones dans l’UE justement parce les normes européennes s’appliquent, a-t-il rappelé. Sept ans après la mise en œuvre de cet accord, les Canadiens n’ont utilisé que 3 % de leur quota d’exportation de viande bovine ». Autre précision apportée par Muriel Lacoue-Labarthe, directrice générale adjointe de la DG Trésor : « Ce sont les normes de consommation de l’Union européenne qui doivent être respectées et, actuellement, on ne peut pas imposer des normes de production ».
Enfin le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, revenant implicitement sur l’initiative du Parti communiste de mettre le CETA au vote au Sénat, a appelé « à ne pas instrumentaliser le commerce » à des fins politiques. En outre, le ministre s’est inquiété de la portée de cette polémique française (le CETA ne fait pas débat au Canada). « Il faut faire attention à la façon dont on parle : le Canada n’est pas notre ennemi mais notre partenaire, a-t-il rappelé. Si les Canadiens utilisent des hormones pour élever des bœufs, c’est leur droit. Nous mangeons bien du foie gras ! »
Les ALE, des opportunités pour les entreprises tricolores
Si le CETA a récemment fait couler beaucoup d’encre, les accords de libre-échange permettent à l’Union européenne de maintenir sa part de marché au grand export. « Dans les pays avec lesquels aucun accord n’a été passé, cette dernière a baissé en moyenne de 15 % en 15 ans, détaille Denis Redonnet. En revanche aves les accords de nouvelle génération on observe une augmentation des exportations européennes. En Corée du Sud, avec lequel un accord de libre-échange est en vigueur depuis 12 ans, les exportations de l’UE augmentent de 6 % à 7 % par an, et elles ont augmenté de 20 % par an au Vietnam. »
Selon une récente étude du Centre commun de recherche de la Commission européenne, la mise en place de dix accords de libre-échange, récemment conclus ou en cours de négociation (avec l’Australie, le Chili, l’Inde, l’Indonésie, la Malaisie, le Mercosur, la Nouvelle-Zélande, les Philippines et la Thaïlande) entrainerait une augmentation des exportations agroalimentaires comprise entre 3,1 et 4,4 milliards d’euros (EUR) d‘ici à 2032. Mais les ALE ont également des effets plus inattendus sur les marchés concernés.
Les PME et ETI ne sont pas en reste
Exemple, avec la Corée du Sud qui dispose d’un ALE avec l’Union européenne depuis 2009. Non seulement ce dernier a permis de mettre sur la carte ce petit pays à fort pouvoir d’achat, mais il a également modifié les habitudes de consommation de ses habitants. Exemple dans le secteur automobile. « L’accord a eu pour effet de faire baisser de 2000 euros en moyenne le prix des voitures exportées depuis l’Europe, témoigne Adeline-Lise Khov, cheffe du service économique de l’ambassade de France à Séoul. Aujourd’hui environ 20 % des voitures en circulation sont importées ce qui révèle un gros changement de mentalité de la part des Coréens. »
Ce surplus d’opportunités n’est pas réservé aux grandes entreprises. « En 10 ans les échanges de biens entre les deux pays ont été multipliés par 10, le nombre d’entreprises françaises exportant en Corée a augmenté de 23 % sur la même période et cette dynamique est essentiellement portée les PME et les ETI. » Un cadre stable et des règles négociées par les deux parties ont en effet de quoi rassurer les plus petites entreprises. Autre effet des ALE, ils permettent non seulement des suppressions de droits de douane mais également des facilitations administratives.
Les ALE en Afrique boostent le commerce
Ainsi de l’accord signé en décembre dernier par Bruxelles et Nairobi et qui doit entrer en vigueur en juin prochain. « Le Kenya s’est engagé à simplifier les procédures douanières et à créer un point de contact unique pour les exportateurs européens », rapporte Dora Correia, négociatrice en chef de l’accord à Bruxelles. Cet ALE constitue également pour les entreprises européennes la possibilité e rayonner au-delà des frontières kényanes. « Le Kenya est une porte ouverte sur les marchés d’Afrique de l’Est, constate Betty Cherwon, l’ambassadrice du Kenya en France. Des opportunités existent dans l’agriculture, les énergies renouvelables, les infrastructures et l’économie numérique. »
Toujours en Afrique, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), dont le Kenya est membre, a permis d’harmoniser les règles d’origine entre les 54 pays qui se sont engagés dans ce processus de création d’un cadre unique et commun sur le continent. Qu’il s’agisse de cet accord ou d’autres, passés entre l’UE et des pays africains, la mise en place de ces cadres des échanges commerciaux ont permis à des entreprises françaises d’accélérer leur stratégie sur des marchés réputés difficiles.
C’est le cas du groupe Pernod-Ricard qui exporte et produit également sur place. « Depuis l’accord de partenariat économique avec l’Afrique du Sud nous avons doublé nos exportations de spiritueux, se félicite Laurent Scheer, vice-président de l’alcoolier. Il y a des opportunités en Afrique ! En 10 ans notre chiffre d’affaires sur le continent est passé de 650 millions à 2,5 milliards d’euros. »
Sophie Creusillet
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