Malgré trois jours de prolongation, la treizième conférence ministérielle de l’OMC (MC13), qui a pris fin samedi 2 mars à Abou Dhabi, n’a finalement donné lieu ni aux accords espérés sur l’agriculture et la pêche, ni à un déblocage de l’organe de règlement des différends. Retour sur cet échec qui ébranle une institution multilatérale déjà affaiblie par ses divisions.
Les 4 000 participants de la MC13 sont repartis bredouille de la capitale des Émirats arabes unis, malgré la prolongation de trois jours des négociations. Ces dernières ont mis en exergue les profondes divisions entre les 164 membres de l’OMC dans un contexte de tensions géopolitiques et de ralentissement des échanges commerciaux sur fond de crise économique. Les espoirs étaient certes maigres d’aboutir à de grands accords, mais la déception est grande qu’il n’y ait eu aucun accord, même sur la pêche.
« Nous devons être clairs sur le fait que le résultat largement décevant de cette conférence n’est pas un échec de l’OMC, mais des gouvernements, qui ne font pas preuve de bon sens pour obtenir des accords d’amélioration du commerce, a ainsi commenté secrétaire général de la Chambre de commerce international (ICC), John Denton. La politique intérieure a pris le pas sur la coopération internationale, cette semaine, à Abu Dhabi. »
L’Inde fait cavalier seul sur l’agriculture
Aucun accord n’a été conclu sur l’agriculture. Sujet brûlant depuis le début de la guerre en Ukraine, il achoppe depuis des années sur la question des stocks publics de denrées alimentaires, question que l’Inde souhaitait régler lors de cette ministérielle. Selon des sources proches du dossier citées par l’Afp, New Delhi souhaitait établir des règles permanentes pour que les pays en développement puissent constituer des stocks afin de garantir la sécurité alimentaire de leurs populations. A l’inverse, la majorité des autres pays préféraient traiter tous les sujets agricoles lors d’un même round de négociations.
Celles sur la pêche n’ont également rien donné. Deux ans après un premier accord interdisant les subventions à la pêche illicite, à celle des stocks surexploités et à la pêche en haute mer non réglementée, les gouvernements n’ont pas pu se mettre d’accord sur de nouvelles interdictions de subventions. Les discussions ont notamment buté sur la période de transition accordée aux pays en développement, sur la pêche artisanale et sur les conditions de travail sur les navires. En outre, l’Inde demandait un moratoire de 25 ans sur les subventions à la pêche de longue distance.
Prolongation de deux ans du moratoire sur les échanges électroniques
« Dans les négociations sur la deuxième vague de subventions à la pêche, vous avez réduit certains écarts en suspens, mais plusieurs autres subsistent », a déclaré la directrice générale de l’OMC Ngozi Okonjo-Iweala dans le communiqué final de l’OMC. Au début de la conférence, 10 membres de l’OMC (l’Afrique du Sud, Brunéi, la Malaisie, la Norvège, les Philippines, le Rwanda, le Togo et le Tchad) ont déposé leurs instruments d’acceptation de l’accord de pêche, portant le nombre total de membres de l’OMC à 71 et ouvrant ainsi la voix à une entrée en vigueur. Finalement, les négociations sur ces deux grands dossiers reprendront à Genève.
Finalement, c’est au sujet de l’e-commerce transfrontalier qu’a eu lieu la plus grande avancée de cette treizième ministérielle. Alors que l’Inde et l’Afrique du Sud réclamait l’instauration de droits de douane, ces deux pays ont finalement accepter de prolonger le moratoire à ce sujet de deux années supplémentaires, jusqu’à la MC14 qui se tiendra le 31 mars 2026. Ce délai doit permettre aux gouvernements de s’adapter avant la fin annoncée du moratoire.
L’organe de règlement des différends toujours dans l’impasse
« Nous sommes bien sûr particulièrement préoccupés par la décision de ne pas renouveler explicitement le moratoire de longue date de l’OMC sur l’application des droits de douane aux flux de données transfrontaliers, a commenté John Denton. Préserver les protections qu’il offre jusqu’à la prochaine conférence ministérielle est certainement une mesure bienvenue pour éviter un scénario catastrophe. Mais la décision d’aujourd’hui introduit un degré d’incertitude qui risque de freiner les investissements dans un environnement économique déjà fragile. »
Enfin, concernant le fonctionnement de l’OMC, outre l’arrivée de deux nouveaux pays (Comores et Timor), les participants ont adopté une décision ministérielle envisageant la mise en place d’un système de règlement des différends qui fonctionne pleinement en 2024.
Les 164 participants, arc-boutés sur la défense de leurs propres intérêts, ont finalement repoussé à plus tard la signature de grands accords. Et buté sur la prise de décision par consensus, règle de mise à l’OMC.
Sophie Creusillet