Mises à rude épreuve par la crise sanitaire, les chaînes de valeur mondiales ont finalement plutôt bien résisté, selon un récent rapport* de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Elles demeurent un élément central de la mondialisation et la volonté de certains pays de les réorganiser pour des raisons de souveraineté nationale se heurte à un principe de réalité, estime l’organisation.
Ebranlée, mais toujours debout. La mondialisation, qui préside aux échanges commerciaux depuis plus de trente, a beau avoir été remise en question par les effets de la pandémie de Covid-19 sur les chaines d’approvisionnement, elle continue de reposer sur les avantages concurrentiels. La guerre en Ukraine, le conflit au Proche-Orient et les tensions géopolitiques croissantes entre les États-Unis et la Chine semblent ne rien y changer jusqu’à présent.
Selon les calculs de l’OMC, les intrants importés ont en effet représenté 28 % des exportations mondiales de marchandises en 2022, un point haut historique. De plus, les taux de participation des chaînes de valeur mondiales de presque toutes les économies ont atteint cette même année des niveaux supérieurs à ceux observés en 2018, avant la pandémie.
Des chaînes vulnérables aux tensions géopolitiques
Cette analyse particulièrement optimiste des chaines de valeur est cependant à nuancer. L’OMC souligne ainsi leur vulnérabilité face aux tensions commerciales croissantes (Chine vs États-Unis en tête), aux guerres et aux préoccupations géopolitiques qui occupent désormais le devant de la scène mondiale.
Dans l’énergie, par exemple, le rapport de l’OMC rappelle que les tensions commerciales sino-américaines et la guerre en Ukraine ont eu des impacts sans précédent sur les supply chains énergétiques mondiales, plaçant la géopolitique au cœur des politiques commerciales dans l’énergie. Dans ce contexte, l’organisation craint qu’une militarisation du commerce et des sanctions commerciales n’entraîne une fragmentation régionale de l’approvisionnement avec une chaîne UE-États-Unis et une autre en Eurasie.
Dans les semi-conducteurs, qui font l’objet de vives tensions entre Washington et Pékin, l’étude de l’OMC montre que ce secteur dispose de chaînes de valeurs mondiales complexes et bien intégrées, impliquant de nombreux pays, de sorte qu’aucun ne peut à lui seul prétendre les contrôler où les monopoliser.
Le modèle « fabs everywhere » ne serait pas la panacée
Toujours est-il que le modèle fabless de ce secteur, qui dissocie la conception et la fabrication à la fois géographiquement et sur le plan organisationnel, a fait l’objet de virulentes critiques. Des États, dont la France, souhaitent avoir leurs propres usines pour des raisons de souveraineté industrielle et de protection de l’environnement.
« Néanmoins, nous notons que cette quête de « fabs everywhere » par le biais de la souveraineté technologique n’est probablement pas réaliste en raison de l’organisation complexe de l’industrie des semi-conducteurs, prévient l’OMC […] Il en résultera probablement un marché mondial des semi-conducteurs fragmenté plutôt qu’intégré, ce qui nuirait inévitablement aux économies d’échelle et aux relations de confiance dans le secteur et, pire encore, à la compétitivité de l’industrie. »
Si la mondialisation telle que nous l’observons depuis plusieurs décennies résiste aux crises, comme l’avance l’OMC, il n’est pas sûr que les politiques mises en place par les gouvernements pour contrecarrer ses dérives soient particulièrement efficaces.
Sophie Creusillet
*Pour consulter l’intégralité du rapport de l’OMC (en anglais), cliquez ici !