Depuis son lancement en 2019, le spécialiste des solutions de dessalement d’eau de mer et d’eau saumâtre fonctionnant à l’énergie solaire croule sous les commandes… 100 % à l’export. Son entrée en bourse réussie en juillet dernier lui permet aujourd’hui de changer de braquet, notamment en se dotant d’un réseau d’implantations à l’international. Il vient de faire sa première opération d’envergure en créant une coentreprise au Maroc.
« Nous ne travaillons qu’à l’international, et en plus, nous sommes entrés en bourse cette année ». Tout sourire, Quentin Ragetly, président d’Osmosun depuis 2019, dresse le profil et le bilan de cette jeune PME innovante et en pleine croissance basée à Gellainville, en Eure-et-Loir, spécialisée dans les systèmes de dessalement d’eau de mer et d’eau saumâtre fonctionnant à l’énergie solaire.
Elle a levé 10 millions d’euros lors de son entrée sur le marché Euronext Growth, en juillet dernier, avec l’objectif d’accélérer son déploiement, notamment à l’international, où elle réalise 100 % de son chiffre d’affaires (4,6 millions d’euros en 2022) : « un tiers va être consacré à l’internationalisation, un tiers à l’innovation et un tiers aux opportunités de croissance externe ou d’investissement » égrène le dirigeant. L’effectif devrait atteindre 30 personnes d’ici la fin de l’année, mais de nouveaux recrutements sont dans les tuyaux pour l’année prochaine.
Osmosun vient d’ailleurs de réaliser sa première opération d’envergure à l’international en investissant au Maroc, dans une coentreprise à 50-50 avec le groupe industriel marocain PCS, pour mieux se positionner sur les projets de dessalement du Plan national eau (PNE) marocain. Nous y reviendrons.
Cinq ans pour développer et breveter le système Osmosun
Le chemin a été long pour en arriver là, la stratégie menée pas à pas. Lorsque Quentin Ragetly a pris ses fonctions, en 2019, l’entreprise comptait une dizaine de personnes à peine. Mais elle était mûre pour entrer dans la phase de commercialisation à grande échelle des solutions innovantes développées depuis 2014 par ses deux fondateurs, Marc Vergnet et Maxime Haudebourg, au sein de leur startup Mascara NT.
« L’histoire d’Osmosun a vraiment démarré comme celle d’une startup, dans un garage, et avec le soutien de business angels », relate Quentin Ragetly, recruté à l’époque par les deux dirigeants pour son savoir-faire en matière de stratégie de développement d’entreprises.
Une histoire qui mérite qu’on s’y arrête. L’idée de départ des deux fondateurs, encore aux manettes de l’entreprise aujourd’hui, est limpide comme de l’eau de source : pour faire face à la multiplication des stress hydriques que va provoquer le changement climatique partout dans le monde, la plus importante ressource en eau disponible est celle des océans, de l’eau salée à 35g/litre en moyenne. On en trouve aussi dans les nappes phréatiques, sous forme d’eaux saumâtres, dont le taux de salinité est moins important mais varient (de 5 à 16g/litre).
Et pour être vertueux, le système de dessalement à mettre au point devait aussi être bas carbone : d’où l’option prise par les deux fondateurs de n’utiliser que des énergies renouvelables, en l’occurrence le solaire.
Cinq ans de R&D plus tard, le système breveté Osmosun® est prêt. Il se décline en installations pour des unités de taille diverses en termes de capacités de traitement, de 1m3/jour, pour les plus petites, jusqu’à 50 000 m3/jour, pour les usines. Les premières, légères, sont proposées pour répondre aux besoins de communautés isolées, les secondes, plus lourdes, pour les besoins de zones économiques ou urbaines plus denses. « Une unité compacte peut entrer dans un seul conteneur et être installée aisément en mode plug & play » explique Quentin Ragetly. Les grosses usines nécessitent, elles, de l’ingénierie et des équipements plus complexes.
65 projets en cours,
54 unités installées dans 27 pays
En 2019, la société change donc de nom pour prendre celui de la marque de son système exclusif. La même année, une levée de fonds de 2 millions d’euros auprès d’investisseurs (fonds d’impact et institutionnels) et du public (crowdfunding), permet de financer ce premier changement de braquet, qui vise à entrer dans la phase de commercialisation.
La société mobilise aussi tous les leviers des aides publiques à l’export auprès de la Team France Export (TFE) et de Bpifrance : assurance prospection, cautions, garantie de préfinancement, prêts… « Nous les avons tous utilisés, précise Quentin Ragetly. Nous sommes très connectés avec la TFE ». Des outils qu’il recommanderait aujourd’hui à toutes les PME qui se lancent : « quand on les connaît, se sont de vrais soutiens. »
Pour les marchés cibles, ils se sont imposés d’eux-mêmes : « en priorité, nous avons adressé les zones géographiques qui connaissent des stress hydriques » indique le dirigeant. Stratégie judicieuse. Si la Covid-19 en 2020 a pu freiner l’expansion, les contrats tombent au fur et à mesure de la concrétisation des projets. De 500 000 euros en 2020, le chiffre d’affaires quadruple à 2 millions d’euros en 2021 puis double encore à 4,6 millions d’euros en 2022. De 10 personnes en 2019, l’effectif double pour atteindre 23 en 2022, et bientôt 30 cette année. A l’heure actuelle, 54 unités de dessalement Osmosun fonctionnent dans 27 pays.
« Nous prenons aujourd’hui des projets de plus grandes tailles » constate Quentin Ragetly. Si les petites unités, facturées entre 100 000 et 200 000 euros avec un délai de réalisation court (4 à 5 mois), représentent 80 % des projets engrangés, en valeur, c’est l’inverse : les usines, qui peuvent être facturées jusqu’à plusieurs millions d’euros et nécessitent des délais plus longs (12 à 24 mois) pèsent pour près de 80 % du chiffre d’affaires. Mais malgré l’augmentation des gros projets, Osmosun compte maintenir cette diversité d’offres : « en Afrique, les deux types d’installations sont demandées » commente le dirigeant.
La répartition géographique des ventes valide a posteriori la priorité mise sur les zones à stress hydrique : un tiers des projets sont localisés sur la zone Afrique de l’Ouest-Maghreb-Moyen-Orient, un autre tiers en Afrique australe-océan Indien, et un tiers en Asie du Sud-Est-Pacifique, principalement Philippines et Indonésie.
Se doter d’un réseau international
En 2023, face à cette demande en forte croissance, il était donc temps de changer à nouveau de braquet, ce qui a été réalisé grâce à la nouvelle levée de fonds sur Euronext Growth, déjà évoquée. Objectif, financer le renforcement de l’entreprise tout en accélérant son internationalisation. « Jusque-là, nous n’avions pas de présence locale, les commerciaux se partageaient les zones géographiques et se déplaçaient fréquemment, explique Quentin Ragetly. L’étape d’après était d’assurer une continuité, de s’ancrer localement. »
La récente implantation au Maroc grâce à la création d’une coentreprise avec l’industriel marocain PCS, Osmosun MA, est la première concrétisation de cette stratégie. « Le Maroc était une priorité pour nous, souligne le Quentin Ragetly. L’enjeu de cette implantation en joint-venture avec PCS est en premier lieu le développement commercial non seulement au Maroc mais dans toute la sous-région, au Maghreb et en Afrique de l’Ouest où nous avons des projets en cours dans des pays comme la Tunisie, la Guinée, le Sénégal ».
Les deux entreprises sont entrées en contact il y a deux ans, alors que PCS cherchait des partenaires dans le domaine de l’eau et du dessalement pour se positionner sur les opportunités du Plan national eau du pays. De fil en aiguilles, a émergé ce projet de coentreprise, qui pérennisera leur partenariat. « Nous voulons aller plus loin dans la chaîne de valeur », développe Quentin Ragetly. L’idée est d’être plus efficace en alliant l’expertise du français en matière d’innovation et le savoir-faire industriel de PCS, qui sait construire, installer, entretenir et exploiter des infrastructures. « Nous avons d’ores et déjà commencé à travailler sur des offres conjointes à des acteurs marocains comme l’OCP ».
Le Maroc est une première étape. Dans les trois ans qui viennent, Osmosun a l’intention d’ouvrir des bureaux dans les zones géographiques où elle est active. Elle souhaite aussi ouvrir de nouveaux marchés géographiques, en Europe, et en… France. Mais pas question de se précipiter. « Nous gérons notre croissance en bon père de famille » souligne Quentin Ragetly. Même la nouvelle augmentation des effectifs, prévue en 2024, sera effectuée « de façon graduelle ».
Christine Gilguy