Le groupe Ouvry, PME industrielle de la région lyonnaise spécialisée dans les équipements de protection individuels NRBC de haute technicité, fête cette année ses 20 ans. Elle savoure aujourd’hui les fruits de 10 ans d’effort de diversification qui lui permette aujourd’hui d’avoir un carnet de commande bien rempli, et d’exporter les trois quarts de son chiffre d’affaires.

Ouvry porte le nom de son fondateur et président, Ludovic Ouvry (notre photo de couverture). Cet ingénieur textile de formation a eu l’idée de miser sur les textiles techniques et leur vertus protectrices après une expérience dans le textile pour le secteur spatial. Toujours aux manettes aujourd’hui, il n’a pas à le regretter : bien installée sur cette niche, son entreprise dispose de trois sites de production en France (Saint Germain, Lyon et Saint Alban de Roche) et s’apprête à en développer un nouveau en partenariat avec un industriel pour produire des pièces en caoutchouc.
De fait, son activité est florissante même si Ludovic Ouvry rechigne à donner des chiffres précis. Le chiffre d’affaires se situe « entre 10 et 30 millions d’euros » pour un effectif de 200 ETP (postes équivalent temps plein), précise-t-il tout de même. Soit un doublement de taille par rapport au début des années 2010. Et 75 % des ventes sont générées par l’export.
Entre 95 % et 100 % de Made in France

A ses débuts focalisée sur les besoins des armées françaises, l’entreprise s’est diversifiée tout en restant sur sa niche technique. Elle propose aujourd’hui tout un catalogue de vêtement de protection et masques respiratoires « NRBC » (pour nucléaire, radiologique, biologique et chimique), pour le secteur de la défense et, de plus en plus, civil, avec cinq grands segments de marché : les forces armées, les forces de l’ordre, les sapeurs-pompiers, les personnels hospitaliers, la remédiation (décontamination de site).
L’ensemble des équipements affiche un niveau très élevé de « Made in France », « plus de 95 % et sur certains 100 % » se félicite Ludovic Ouvry. Pour parvenir à un tel résultat, la PME a misé sur le développement de tout un écosystème de sous-traitants et fournisseurs dont les bases avaient été posées en 2005, grâce au lancement d’un gros programme de modernisation de l’armée de terre dénommé Félin (Fantassin à équipements et liaisons intégrés). « Cet écosystème industriel est né assez naturellement », se souvient le dirigeant.
Avec une forte culture de coopération interentreprise – en 20 ans, Ouvry n’a fait qu’une seule croissance externe en France, Sulitec en 2021, spécialisée dans la protection contre les hautes températures-, cet écosystème né du programme Félin « a permis de relocaliser en France la fabrication de produits qui étaient jusqu’à présent achetés aux États-Unis » relate le dirigeant.
Cette culture de la coopération industrielle fait désormais partie de l’ADN de cette PME : Ouvry est ainsi un membre fondateur du cluster Eden, qui rassemble les PME innovantes de la sécurité, et fait partie de plusieurs organisations professionnelles, dont le Gicat (Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres).
Au sein de son écosystème, l’entreprise assure pour sa part la production de composants spécifiques telles que les pièces moulées, une partie de l’assemblage des équipements, et développe grâce à sa R&D des innovations telles qu’un media filtrant breveté, le MFE ®. Ouvry possède une vingtaine de marques déposées, un portefeuille d’une dizaine de brevets et des licences pour certains produits.
L’export pour réduire sa dépendance à la commande publique tricolore
La nécessité de s’internationaliser s’est imposée au tournant des années 2010. « Jusqu’à 2013, nous dépendions trop de la commande publique, en particulier de l’armée française, raconte Ludovic Ouvry. La décision d’aller à l’export a été prise en 2009-2010 et, à partir de 2012-2013, nous avons commencé à diversifier nos marchés à l’export ».
A l’époque, la PME utilise le levier des aides à l’export régionales et nationales pour accélérer et réduire les risques financiers : bonne cliente de l’assurance prospection, elle a bénéficié des services d’accompagnement à l’international de l’agence régionale Erai -disparue depuis- et a même installé un VIE au Maroc. « Aujourd’hui, nous utilisons moins ces dispositifs mais ils nous ont beaucoup aidé comme primo-exportateur » souligne Ludovic Ouvry.
Et ça marche. Le cap des 50 % a été franchi dès 2015, et le développement des ventes internationales s’est accéléré, franchissant le palier de 70 % à partir de 2021. Les commandes du secteur de la défense génèrent près de 80 % de ces ventes export, contre 30 % en France, où la diversification sectorielle a porté ses fruits.
Ouvry exporte dans 46 pays en Europe, Moyen-Orient, Asie centrale, Asie du Sud Est et Afrique. L’Europe représente 30 % des ventes, et le grand export 70 %, avec comme principales zones le Moyen-Orient et l’Asie centrale (environ 50 %).
Un réseau commercial structuré et étendu
Le réseau commercial à l’étranger, étoffé au fil des années, compte aujourd’hui 20 partenaires, dont trois sont des industriels sous licence, le reste se partageant entre les agents commerciaux (60 %) et des distributeurs, dont certains sont aussi des intégrateurs. « Pour les commandes liées à la défense, nous passons de plus en plus par des partenariats », souligne Ludovic Ouvry.
Un des industriels partenaires est justement une coentreprise créée par Ouvry avec un acteur local pour honorer des engagements d’offset à la suite d’une grosse commande du secteur de la défense. Pour les deux autres, leur connaissance du marché local et leur savoir-faire s’avérait précieux pour entrer sur le marché. « En matière de tenues de camouflage par exemple, ils maîtrisent bien le marché local », illustre le dirigeant.
Si Ouvry a réduit sa trop forte dépendance économique aux commandes de l’armée française, cette dernière reste une formidable référence à l’international, étant l’une des rares au monde à être déployée sur des zones de conflit, à l’instar de ses forces spéciales. « A l’export, nous capitalisons sur ces références de clients très prestigieux, ce sont nos meilleurs ambassadeurs » souligne le dirigeant.
« Un carnet de commande à faire pâlir nos confrères »
« C’était l’objectif qu’on s’était fixé au tournant des années 2010 : réduire notre dépendance aux commandes du ministère français des Armées » se réjouit Ludovic Ouvry. Avec la diversification sectorielle et géographique, la PME a renforcé son assise : un marché peut trébucher ou connaître un passage à vide, d’autres permettront de compenser. Simple et efficace.
Aujourd’hui, l’horizon est plutôt dégagé. Avec la guerre en Ukraine, intervenue après deux ans d’une pandémie de Covid-19, ces trois dernières années ont mis en exergue la fragilité de certaines supply chains trop dépendantes de fournisseurs lointains, et la faiblesse des stocks en équipements de protection. La constitution de stocks et la sécurisation des supply chains sont devenus des priorités des planificateurs.
Un changement de paradigme dont bénéficie la PME grâce à ses choix industriels. « Nous avons un carnet de commande à faire pâlir nos confrères » se réjouit Ludovic Ouvry. C’est « 10 ans de visibilité avec l’armée française » et « 3 ans de visibilité sur le carnet de commande export ». « C’est ce qui nous permet d’investir » souligne Ludovic Ouvry.
La feuille de route est tracée depuis cinq ans, et l’entreprise la met en œuvre pas à pas. Pour l’avenir, il s’agit de reproduire la stratégie qui lui a si bien réussi en France : diversifier ses clients sur le plan sectoriel afin de réduire sa dépendance au secteur de la défense. « Tout cela reste encore à développer à l’export et c’est un levier de croissance incroyable » souligne Ludovic Ouvry.
Deuxième orientation : augmenter sa pénétration des marchés étrangers sur lesquels la PME a déjà des références. « 5 pays génèrent 80 % du chiffre d’affaires export : il y a un important potentiel de croissance dans les 41 autres, déroule le dirigeant. Et cela pourra passer par de l’implantation locale ».
Il y a un an, la PME a créé une filiale en Belgique pour desservir le Bénélux. Et elle a ouvert un bureau commercial à Abu Dhabi. Des acquisitions de sociétés locales ne sont pas exclues.
Christine Gilguy