Le rapport annuel de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) sur les échanges internationaux, publié le 12 septembre, constate une réorganisation du monde en blocs de pays réunis par les mêmes intérêts géopolitiques. Face à cette menace sur la croissance et le développement, il plaide en faveur d’une « remondialisation », un message que la directrice générale de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala (notre photo), ne manque pas une occasion de marteler.
Rarement les questions de politique internationale n’auront autant pesé sur les échanges transfrontaliers de biens et de services. Certes, la mondialisation a nettement décéléré depuis la crise de 2008 (à tel point que les économistes ont parlé de slowbalisation), mais les tensions géopolitiques de ces dernières années semblent avoir pris le dessus.
Ainsi des tensions sino-américaines qui se sont encore accrues depuis le début de la guerre en Ukraine, il y a 18 mois, et se cristallisent autour de Taïwan. Cette animosité entre deux des plus puissants moteurs de l’économie mondiale a donné lieu à une guerre commerciale qui atteint un point haut aujourd’hui, notamment sur la question des microprocesseurs, mais ne date pas d’hier. La premier hausse des tarifs douaniers entre les deux pays remonte en effet à 2018.
Une guerre commerciale, vraiment ? Les échanges entre les deux pays n’ont jamais été aussi importants qu’en 2022, atteignant 690 milliards de dollars (Md USD). Pourtant, force est de constater que la part de la Chine dans les importations américaines est passée de 22 % à 17 % entre 2017 et 2022, souligne l’OMC dans son rapport.
La guerre en Ukraine rebat les cartes
La guerre en Ukraine et les sanctions mises en place par l’Union européenne à l’encontre de la Russie ont évidemment modifié en profondeur ses échanges avec le reste du monde, notamment l’Union européenne. Une récente note du Cepii (le Centre d’études prospectives et d’informations nationales) souligne ainsi que les importations russes depuis les pays alignés a atteint 10 Mds USD en décembre 2022, soit « moins des deux tiers de la moyenne prévalant avant 2022 (16 milliards en moyenne, entre 2019 et 2021 ».
A contrario, les exportations russes vers des pays « amis » de Moscou ont grimpé en flèche : + 4 Mds USD en Inde, + 3 Mds USD en Chine et + 2,6 Mds USD en Turquie. Ironie de l’histoire : l’Inde a notamment importé d’importantes quantités de pétrole raffinées sur place et réexportée ensuite, y compris vers l’Union européenne. Ses exportations de produits raffinés ont ainsi bondi de 75 % en 2022 pour atteindre 94 Mds USD dont 5,6Mds USD aux Etats-Unis (+ 38 %) et 5,8 Mds USD à destination de l’UE (+ 109 %).
Augmentation du nombre des mesures de rétorsion
Cette réorientation géographique des flux mondiaux signifie-t-elle pour autant que les différents blocs se replient sur des échanges avec des pays amis ?
Pour le vérifier, les économistes de l’OMC ont ausculté les échanges commerciaux entre les deux principaux blocs géopolitiques en se basant sur les votes des pays à l’Assemblée générale de l’ONU. Résultat : les flux entre ces deux grands blocs ont enregistré en 2022 un taux de croissance inférieur de 4 % à 6 % à celui des échanges intra-blocs.
Autre signe d’un grippage des rouages du commerce international, les mesures de rétorsion se sont récemment multipliées. L’OMC en a dénombré 41 en 2021 (droits de douane en hausse, normes techniques…), un nombre sans précédent. En raison de la crise sanitaire, puis de la guerre en Ukraine, des pays ont en effet mis en place de telles mesures pour ne plus exportés certaines marchandises par crainte des pénuries. En outre, certains produits, comme les céréales, sont devenus l’enjeu d’âpres négociations entre la Russie et le reste du monde.
Pas de démondialisation pour l’instant
Cette situation a pu laisser croire que le commerce mondial s’acheminait vers une démondialisation, par ailleurs difficile à mesurer. Le rapport de l’OMC se contente de constater que la part du commerce dans le PIB mondial est stable depuis environ une quinzaine d’années, après avoir explosé dans les années 70, 80 et 90.
Reste que les économistes de l’OMC craignent que cette démondialisation, si elle venait à se confirmer, fasse obstacle à la croissance et mettent un frein au développement des pays qui en ont le plus besoin. Pour l’économiste en chef de l’OMC, Ralph Ossa, « la principale conclusion est que nous devons adopter le commerce au lieu de le rejeter si nous voulons relever les défis les plus pressants de notre époque ».
Sophie Creusillet