Longtemps débattu, ce titre de propriété intellectuelle est une réalité depuis le 1er juin. En offrant une protection dans dix-sept pays via une procédure simplifiée et moins coûteuse il devrait permettre aux entreprises de développer plus facilement leur portefeuille de produits innovants, un avantage non négligeable à l’international. Explications grâce aux échanges qui ont animé le forum Europe du 19 juin de la CCI de Paris Ile-de-France.
La JUB (juridiction unifiée du brevet) est enfin opérationnelle ! Après plus de 25 ans de tergiversations, le brevet unitaire européen est devenu une réalité.
Mais quels changements implique-t-il exactement ? Les brevets déposés en Europe n’étaient-ils pas déjà valables sur tout le territoire de l’Union européenne ? Que nenni ! Le système du brevet européen « classique » implique d’abord l’obtention d’un titre national suivant les procédures en vigueur dans chaque pays, puis des dépôts auprès des offices nationaux ou bien une demande d’extension territoriale à l’Office européen des brevets (OEB) pays par pays.
Conséquence : au terme de processus longs et coûteux, répétés dans chaque pays, les entreprises disposent finalement d’un catalogue de brevets nationaux impliquant autant de dépenses en traductions et en taxes… ainsi qu’une gestion au cordeau de la protection de chaque produit, marché par marché.
Depuis le 1er juin, le brevet dit « à effet unitaire » protège une innovation en un seul dépôt simultanément dans 17 pays de l’UE, et non 27.
Une procédure simplifiée
En 2012, un accord sur le fonctionnement de la Juridiction unifiée du brevet (JUB) avait été voté par le Parlement européen, mais il a fallu attendre, comme prévu, que les trois plus gros pays déposants ratifient ce texte pour qu’il entre en vigueur. C’est chose faite depuis le 17 février et la signature de l’Allemagne.
A terme, ce nouveau titre de propriété intellectuelle pourrait être adopté par d’autres pays européens. L’accord de 2012 a en effet été signé par 24 États membres, seuls la Croatie, la Pologne et l’Espagne faisant exception ; mais sept pays de ne l’ont pas encore ratifié (Chypre, la République tchèque, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, la Roumanie et la Slovaquie).
En pratique, l’obtention préalable d’un brevet européen auprès de l’OEB reste de mise. La demande doit être effectuée en anglais, français ou en allemand avec une traduction dans l’une de ces trois langues. A la réception de la notification et au plus tard un mois après la publication au Bulletin européen des brevets, l’entreprise devra effectuer « une demande d’effet unitaire » pour bénéficier d’une protection dans dix-sept pays.
Un guide pratique
En avril 2022, l’Office européen des brevets a publié un guide complet du brevet unitaire européen. Pour le télécharger, cliquez ici !
Baisse des frais financiers
En attendant que d’autres pays les rejoignent, cette réforme devrait considérablement baisser la charge financière que représentent les brevets pour les entreprises. « Le coût moyen du maintien d’un brevet unitaire pour un an sera désormais de 5 000 euros au lieu de 29 000 euros », a précisé Merete Clausen, directrice de la direction générale du Marché intérieur, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des PME à la Commission européenne.
Pour le rendre attractif auprès des plus petites entreprises, l’UE a en effet convenu que le coût de ce titre de propriété intellectuelle correspondrait à une protection dans les quatre pays champions européens du dépôt de brevets à savoir l’Allemagne, la France, les Pays-Bas et Italie.
La JUB assurera le règlement des litiges. C’est une magistrate française, Florence Butin, qui a été élue à la présidence du tribunal de première instance de la JUB, dont le siège est à Paris, tandis que la cour d’appel et un greffe seront installés à Luxembourg.
Un atout dans la relance de l’industrie et la compétitivité à l’export
Si ce nouveau cadre simplifiera la vie des entreprises, en particulier des plus petites, il arrive également à point nommé à l’heure où l’Europe s’engage dans le redéploiement de son tissu industriel.
« Avoir un régime de propriété intellectuelle fort est très important pour l’innovation qui est au cœur de la réindustrialisation, estime Thomas Courbe, directeur de la direction générale des Entreprises du ministère de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle. De nouvelles filières industrielles comme l’hydrogène, un secteur dans lequel le nombre de brevets a augmenté de 4,5 % l’an dernier, s’appuient sur le système de propriété industrielle. Ce nouveau cadre doit également faciliter l’accès des PME aux brevets et d’en recueillir les fruits. Selon une étude de l’OEB, elles ont en effet 33 % de chances supplémentaires de se développer si elles disposent d’un bouquet de titres de propriété. Elles représentent 20 % des brevets mais 50 % du PIB. »
Autre atout de ce nouveau brevet mis en avant lors du forum de la CCI : le renforcement du commerce extérieur de l’UE. « Les produits brevetés représentent un excédent commercial de 224 milliards d’euros », rappelle ainsi Merete Clausen. Selon une étude de l’Office européen des brevets parue en octobre 2022, les industries ayant un usage supérieur à la moyenne des droits de propriété intellectuelle génèrent 6 400 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit la moitié du PIB de l’UE, et représentent 75 % du commerce intracommunautaire.
« Le retour des entreprises sur le brevet unitaire européen est unanime : il s’agit d’un véritable game changer, y compris pour les entreprises étrangères », témoigne Gilles Requena directeur de la recherche et des politiques des brevets à l’OEB. « Vue d’Asie ou depuis les États-Unis, la propriété intellectuelle en Europe est complexe et fragmentée, cet effort de cohérence est donc important en termes d’attraction des investissements étrangers », ajoute Max Brunner, chargé de mission JUB au ministère de la Justice.
Si la nouvelle juridiction doit rassurer les investisseurs extra-européens, « les Européens doivent rester maîtres sur leur marché primaire, a insisté Gilles Requena. Il y a dix ans le premier déposant en Europe était Siemens, c’est aujourd’hui Huawei qui dépose huit fois plus que Valeo, le premier déposant français. »
Sophie Creusillet