Nouvelle illustration de l’usage que peut faire le gouvernement du dispositif de contrôle des investissements étrangers en France (IEF) : il vient de mettre son veto au transfert de la PME industrielle Segault, sous-traitante de l’industrie d’armement basée dans l’Essonne, sous pavillon américain.
Mis à jour le 31/05/23
L’activité de Segault est sensible : cette PME de 80 salariés installée à Mennecy, dans l’Essonne, fabrique de la robinetterie de pointe pour le secteur nucléaire et produit notamment les systèmes qui équipent les chaufferies des sous-marins nucléaires de l’armée française.
Elle est une filiale du groupe canadien Velan Inc., un spécialiste international des robinetteries pour l’industrie, via son entité française Velan SAS basée à Lyon, héritage d’une co-entreprise avec Alstom (dont il avait racheté la part de 50 % en 2000, prenant le contrôle total de la société). Segault était sur le point de passer sous pavillon américain à la suite du projet de rachat de la maison mère canadienne par le groupe américain Flowserve Corporation, spécialiste des systèmes de régulation des flux basé à Dallas, dans le cadre d’une OPA lancée en février dernier et valorisée à 245 millions de dollars (329 millions de dollars canadiens).
Segault étant un fournisseur de la Défense française, et risquant en outre, dans l’éventualité de ce rachat, de passer sous le cadre juridique des législations américaines sur le contrôle des exportations de biens et technologies stratégiques, le dossier était suivi de prêt par le gouvernement français. D’autant qu’un certain nombre de voix s’étaient élevées pour inciter le gouvernement à, cette fois-ci, user de son droit de véto et bloquer l’acquisition de Segault, en vertu de la législation sur contrôle des investissement étrangers en France (IEF), réformée par la Loi Pacte en 2019 et encore renforcée en 2020.
La défense et la sécurité font bien évidemment partie des secteurs hautement stratégiques couverts par cette législation. Les directives clarifiant ses modalité pratiques avaient d’ailleurs été publiées par Bercy en septembre dernier. Ce qui n’avait pas empêché le gouvernement de laisser faire, début janvier 2023, le rachat par le groupe américain Heico d’une autre pépite française, le fabriquant de composants électroniques Exxelia, également fournisseur de la défense, certes en imposant de conserver un contrôle sur les activités de l’entreprises. De quoi alimenter la polémique.
Un veto du ministère des Armées
L’ancien ministre de l’Industrie Arnaud Montebourg, chantre du Made in France et auteur du décret de 2014 ayant renforcé cette législation une première fois, avait écrit au ministre de l’Économie Bruno Le Maire dès fin mars pour réclamer ce veto dans le dossier Segault, contribuant à médiatiser l’affaire. Il a même tenté de monter une offre de rachat alternative en s’alliant au fonds d’investissement français Otium Capital. Dans un post sur Linkedin le 26 mai, Arnaud Montebourg précise ne pas avoir eu de réponse de Bercy, posant l’hypothèse « qu’une solution de rachat par l’État et ses opérateurs semble avoir la préférence du Gouvernement ». Mais il indique réitérer « notre proposition de possible rachat étendu à la société-mère de Segault, Velan Lyon, en raison des menaces de contrôle d’une puissance étrangère pesant sur son activité ».
Interpellé sur ce dossier le 24 mai à l’Assemblée nationale, dans le cadre des débats autour de la Loi de Programmation militaire 2024-2030, le ministre de la Défense Sébastien Lecornu avait assuré que le gouvernement avait mis son veto à la prise de contrôle de Ségault, dans le cadre de la procédure de contrôle des IEF, qui passe par tout un processus d’examen interministériel. « Les conditions que mes équipes avaient mises sur la table n’ayant pas été satisfaites, le ministère des Armées a opposé son veto, entraînant celui du ministère de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique » avait-il précisé aux députés.
Le ministre avait aussi expliqué que le processus d’examen des dossiers passant par un circuit interministériel, il demande du temps, « mais que le ministère des armées a bien soumis les cessions de Segault et d’Exxelia à des conditions, de nature différente pour chacune ; dans les deux cas, l’État est intervenu et les a encadrées ».
Reste au gouvernement à préciser l’option choisie pour permettre la pérennisation de l’activité de Ségault. Selon le bilan publié par la DG Trésor, qui gère la procédure de contrôle des IEF, en 2022, un total de 325 dossiers lui ont été soumis. Sur ce total, 131 opérations d’investissements étrangers ont été autorisées par le ministre de l’Economie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, dont 53 % ont été assorties « de conditions pour préserver les intérêts nationaux », proportion qui atteint 76 % pour le secteur de la défense. A l’inverse, 194 projets d’IEF ont donc été recalé dans une série de secteurs considérés comme sensibles.
CG