Le blocage potentiel des exportations de céréales françaises vers des pays hors Union européenne (UE), à la suite de l’interdiction de l’usage d’un traitement phytosanitaire par l’Anses, n’aura pas lieu. C’est du moins l’engagement pris lors d’une réunion à Matignon dans la matinée du 12 avril, et confirmé au Moci par le ministère en charge du Commerce extérieur. Revue de détail.
Olivier Becht l’avait assuré aux députés dès le 11 avril, lors de la séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale au cours de laquelle son collègue en charge de l’Agriculture, Marc Fesneau, et lui-même avaient été interpellés : « il y a encore des clarifications juridiques à apporter, mais je puis vous garantir que d’ici au 25 avril, des décisions seront prises pour que les exportations puissent se poursuivre » avait notamment déclaré le ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères en charge du Commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger.
Un petit retour sur les origines du problème s’impose.
Pour rappel, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail), agence autonome, a décidé, le 22 octobre 2022, d’interdire l’usage de la phosphine par fumigation au contact direct des céréales pour traiter les cargaisons stockées avant expédition, interdiction qui doit prendre effet le 25 avril. Plus précisément, elle exige que les tablettes de phosphure d’aluminium, qui permettent cette fumigation des céréales à la phosphine dans leur lieu de stockage, soient désormais utilisées avec un emballage.
Or, ce traitement phytosanitaire est exigé sous sa forme initiale par de des pays importateurs clients de la France, notamment en Afrique du Nord mais aussi en Afrique de l’Ouest et au Moyen-Orient. Il vise en effet à éliminer des cargaisons les ravageurs type rongeurs, ainsi que les insectes indésirables, afin d’éviter leur prolifération et la diffusion de maladies. The last but not the least, ce traitement reste autorisé, à l’échelle de l’Union européenne (UE), par un règlement de la Commission européenne.
De quoi provoquer un tollé chez les producteurs et négociants français, qui n’ont pas manqué de monter au créneau depuis quelques jours pour médiatiser l’affaire à quelques semaines de l’échéance. En termes de commerce extérieur et d’exportation, l’enjeu est loin d’être négligeable. D’après Les Echos, qui cite les chiffres de l’AGPB (Association des producteurs de blé et autres céréales) -dont le site était inaccessible le 12 avril en fin de journée-, sur les 68 millions de tonnes (Mt) de céréales produites en France, environ 30 Mt sont exportées, dont 13 Mt dans les pays tiers, hors UE, principalement en Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie, Egypte) et en Afrique de l’Ouest. « Cette interdiction compromet donc l’exportation d’environ un quart des céréales françaises, selon l’AGPB, pour une valeur approchant les 4 milliards d’euros » écrit notre confrère.
Matignon a arbitré en faveur d’une poursuite des exportations
L’affaire est remontée jusqu’à Elisabeth Borne, Première ministre, et une réunion sur ce sujet a eu lieu dans la matinée du 12 avril à Matignon. D’après des informations confirmées par le ministère en charge du Commerce extérieur, le gouvernement a bien décidé de trouver un moyen légal de contourner la décision de l’Anses après le 25 avril.
« Notre objectif est clair : permettre de continuer à exporter des céréales, notamment vers les pays du Maghreb, souligne-t-on dans l’entourage d’Olivier Becht. C’est une question de sécurité alimentaire mondiale mais aussi de géopolitique dans le contexte de la guerre en Ukraine et de notre capacité exportatrice vers ces pays ». Les exportations concernées vers le Maghreb, l’Égypte et certains pays d’Afrique sub-saharienne « représentent plus de 11 millions de tonnes pour une valeur approchant les 4 milliards d’euros » confirme-t-on de même source.
Reste à trouver la manière. Elle viendra de la règlementation européenne.
« Le droit européen est clair : il existe un régime juridique spécifique qui permet l’application de phytosanitaires sur les produits agricoles exportés, quand c’est une exigence du pays d’accueil, à partir du moment où la molécule n’est pas interdite au niveau européen, indique-t-on de même source. Or, la phosphine n’est pas interdite au niveau européen. Ce cadre juridique permettant l’export des céréales peut donc s’appliquer pleinement ».
C’est donc cette voie juridique européenne que va emprunter le gouvernement pour régler le problème, un contournement sans pour autant remettre en cause l’autorité des décisions de l’Anses, qui est une agence publique indépendante. « Cela nécessite concrètement une clarification juridique, complète-t-on au ministère en charge du Commerce extérieur. Nous la ferons avant l’échéance du 25 avril de façon à ce que l’export de céréales puisse se faire normalement ».
A suivre…
Christine Gilguy