Le renouvellement de l’accord sur le transport de céréales en mer Noire mi-mars dernier ne suffira pas à réduire les tensions sur les marchés mondiaux, estime l’assureur-crédit Coface dans une note publiée le 5 avril. Alors que la réduction de l’offre menace la sécurité alimentaire de pays d’Afrique et d’Asie, l’afflux de céréales ukrainiennes bon marché en Europe centrale provoque le mécontentement des producteurs locaux.
Un répit supplémentaire de deux mois, mais pas une solution durable. Telle est, en résumé, l’analyse par Coface de l’accord sur les céréales en mer Noire, conclu en juillet 2022 sous l’égide de la Turquie et des Nations Unies par la Russie et l’Ukraine, deux pays qui à eux seuls concentraient 25 % des exportations mondiales de blé avant le début de la guerre.
Objectif de cette initiative : instaurer un corridor maritime malgré le blocus naval décrété par la Russie et, en réaction, l’installation par l’Ukraine de mines au large de ses ports. Un centre de coordination conjointe (CCC) accueillant des représentants des quatre parties signataires a été créé à Istanbul afin d’inspecter les cargaisons des navires, à l’aller comme au retour.
30 % des cargos ont pour destination des pays émergents
Âprement négocié, cet accord a permis d’exporter les 25 millions de tonnes de blé, mais aussi d’orge, de maïs et d’oléagineux stockés dans les ports ukrainiens. Des livraisons particulièrement attendues par des pays menacés d’insécurité alimentaire. Selon les données du CCC, 30 % des cargos avaient en effet pour destination « des pays à faibles revenus ou à revenus intermédiaires inférieurs », notamment d’Afrique de l’Ouest qui représentent 17 % des livraisons.
Cependant, selon Coface, l’extension de cet accord « apporte une bouffée d’air aux marchés mais elle ne résout pas les problèmes d’approvisionnement à long terme ». Les flux maritimes en mer Noire, essentiels aux expéditions de céréales, demeurent en effet inférieurs de moitié à leur niveau d’avant-guerre. « La réduction de la disponibilité des céréales pèse fortement sur certains pays très dépendants des importations notamment en Afrique de l’Ouest, en Asie du Sud-Est, et en Asie centrale », observe l’assureur-crédit.
Un approvisionnement trop faible et des cours toujours au plus haut
Aux problèmes d’acheminement s’ajoute celui de l’approvisionnement. L’Ukraine a en effet vu ses surfaces cultivées diminuer de 25 % en 2022, selon l’Association ukrainienne des céréales (UGA), et malgré le renouvellement de l’accord sur les céréales en mer Noire, le risque de rupture d’approvisionnement de certains pays est toujours présent.
De plus, la faiblesse de l’offre fait grimper les prix des denrées alimentaires. « L’indice des prix alimentaires de la FAO qui a atteint sa valeur la plus élevée depuis 2011 en mai dernier s’est d’ailleurs stabilisé à un niveau élevé », rappelle Coface.
Conséquence de la baisse de la production céréalière mondiale : la concentration des stocks dans des pays clés devrait s’accentuer. « Ces dernières années, la Chine a régulièrement augmenté ses stocks de céréales, et détient désormais plus de 50 % des stocks mondiaux de blé. A l’inverse, les pays exportateurs de céréales constituent de moins en moins de stocks (7,3 % des stocks en 2022, contre 11,3 % en 2010). Cette plus forte concentration se fera nécessairement au détriment de la fluidité du commerce international de céréales, surtout dans un marché en tension. »
L’UE débloque 56,3 millions d’euros pour soutenir l’Europe centrale
Le communiqué de Coface, qui porte uniquement sur l’accord maritime du corridor de la mer Noire, ne l’évoque pas, mais cette crise céréalière a également de lourdes conséquences pour les producteurs céréaliers d’Europe centrale, en particulier la Roumanie, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la Bulgarie.
La suppression des droits de douanes à l’importation sur les céréales ukrainiennes par l’Union européenne UE) lors de la création des « corridors de solidarité » routiers et ferroviaires a en effet provoqué un afflux massif de blé, d’orge, de maïs et d’oléagineux à des prix défiant toute concurrence locale sur ces marchés.
Face au mécontentement de ces pays, la Commission européenne a annoncé le 20 mars dernier le déblocage de 56,3 millions d’euros (M EUR) d’aide destinés aux agriculteurs polonais (29,5 M EUR), bulgares (16,75 M EUR) et roumains (10,05 M EUR). Selon une information du site polonais Iteria les Premiers ministres de ces trois pays ainsi que leurs homologues slovaque et hongrois ont adressé une requête conjointe à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen réclamant des ressources supplémentaires.
Ils proposent également le recours au Programme alimentaire mondial de l’ONU pour acheminer ces céréales ukrainiennes dans des pays tiers et évoquent le retour de l’application de droits de douane pour protéger leurs marchés domestiques.
Cette crise des céréales, dont Coface nous dit qu’elle est appelée à durer au moins toute cette année, provoque donc à la fois une raréfaction de l’offre et une flambée des cours dans les pays émergents d’Afrique et d’Asie, et une surabondance de de céréales bon marché en Europe centrale qui destabilise la production locale. Une situation que ne manquera sûrement pas d’exploiter politiquement Moscou, qui a déjà à plusieurs reprises accusé l’Occident de mettre en danger la sécurité alimentaire mondiale. En Bulgarie et en Hongrie, le désarroi des agriculteurs pourrait nourrir des sentiments pro-russes et anti-européens déjà présents dans l’opinion publique.
Sophie Creusillet