Le Président français Emmanuel Macron entame le 5 avril en Chine, quelques semaines après sa réouverture, une visite d’État de trois jours, qui coïncidera avec celle de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, signe que le contenu sera avant tout politique et diplomatique. Néanmoins, dans un contexte de creusement du déficit commercial bilatéral avec la deuxième économie mondiale, il emmène avec lui une importante délégation gouvernementale ainsi qu’une soixantaine d’entreprises. Au programme : redynamisation des échanges commerciaux et guerre en Ukraine.
Mis à jour le 5 avril 2023
Signe de l’importance de la Chine pour le commerce extérieur français, le chef de l’État avait promis de s’y rendre tous les ans lors d’un voyage officiel en novembre 2019 (notre photo de couverture). Une pandémie de Covid-19 plus tard, force est de constater que c’est avec ce pays que le déficit commercial tricolore s’est le plus creusé ces dernières années. Plombé par l’envolée des importations de plus de 20 % en 2022 (après + 12,8 % en 2021), le déficit bilatéral est en effet passé de -32,3 milliards d’euros (Md EUR) en 2019 à -38,9 Md EUR en 2020 et –39,6 Md EUR en 2021.
En 2021 pourtant, les exportations françaises avaient enregistré de bons résultats grâce au dynamisme de l’agroalimentaire, de la maroquinerie, de la chimie et de la pharmacie, et ce malgré des ventes aéronautiques en-deçà de leur niveau pré-pandémique. Mais en 2022, elles ont baissé de 1,3 %, à 24,1 Md EUR selon les statistiques des douanes françaises. Une contre-performance que la DG Trésor explique par un effet de base (les ventes françaises avaient bondi de +37,3 % en 2021) et la baisse des exportations agricoles et agroalimentaires sous l’effet d’une baisse de la consommation.
Celles de céréales se sont en effet effondrées de 38,3 %, à 731 millions d’euros (M EUR) en raison des mauvaises récoltes et les ventes de viande ont chuté de 29,1 % à 358 M EUR du fait de la baisse vertigineuse des cours du porc. Les exportations de vins se sont quant elles plutôt bien maintenues, accusant une baisse de seulement 4,8 % à 532 M EUR malgré une consommation domestique en repli.
Les ventes aéronautiques devraient se redresser en 2023
Autre facteur mis en avant par la DG Trésor dans son analyse de la baisse des ventes tricolores, celles de l’aéronautique, de loin le premier poste des exportations françaises avant la pandémie avec 7,4 Md EUR en 2019. Elles ont connu une reprise moins dynamique qu’espéré l’an dernier, enregistrant une hausse de 2,4 %, à 4,6 Md EUR. Airbus a livré 112 appareils (contre 142 en 2021), dont 92 appareils de la famille A320 (issus des usines de Tianjin, Hambourg et Toulouse) et 16 A350.
Même si certaines livraisons restent conditionnées à la signature d’un general terms agreement, l’annonce en juillet dernier de commandes d’Airbus par trois compagnies chinoises pour un montant de plus de 37 Md EUR, avec des livraisons étalées entre 2023 et 2027, devrait avoir un effet positif sur la balance commercial du secteur. En outre, le constructeur européen Airbus négocierait actuellement une nouvelle série de commandes portant sur des dizaines d’aéronefs selon une dépêche de Reuters citant « des sources gouvernementales et industrielles ».
A rebours de ces secteurs, celui du luxe se porte en revanche à merveille et bénéficie de la frénésie de consommation des catégories les plus aisées de la population chinoise après quasi trois années de confinements et d’absence de voyages à l’étranger. Dans ce secteur qui ne connaît pas la crise, les ventes ont augmenté de 2 % en 2022 à 6,3 Md EUR et ont plus que doublé par rapport à 2019.
La France perd du terrain mais reste leader dans certains secteurs
Dans ce contexte, la part de marché de la France a encore diminué l’an dernier à 1,3 %, selon les douanes chinoises, alors qu’elle était de 1,5 % en 2021 et de 1,6 % en 2019. Elle est loin derrière celle de l’Allemagne (4,1 %, en baisse également).
Malgré ce constat, les entreprises françaises restent tout de même bien positionnées dans les vins et spiritueux (1er fournisseur), l’aéronautique (2e derrière les Etats-Unis), les cosmétiques (2e derrière le Japon) et les produits pharmaceutiques (4e derrière l’Allemagne, l’Irlande, et les Etats-Unis).
Du côté des investissements directs, la France arrive en pole position avec 2085 entreprises (essentiellement des grands groupes) employant 307 000 personnes, selon les données d’Eurostat. En termes de chiffre d’affaires généré, c’est en revanche l’Allemagne qui fait la course en tête avec 192 Md EUR en 2020, contre 72 Md EUR pour l’Hexagone. D’après la Banque de France, le stock des investissements français en Chine est passé de 27 Md EUR en 2019 à 30 Md EUR en 2020, puis 32 Md EUR en 2021.
Sur place, les entreprises tricolores dans l’expectative
Avec la fin de la politique zéro-Covid, les milieux d’affaires français ont davantage le moral mais demeurent circonspects sur la pertinence de nouveaux investissements, d’après les conclusions d’une étude de la Chambre de commerce et d’industrie France-Chine (CCIFC). Son président Christophe Lauras confiait ainsi au site de France Info, le 3 avril, qu’il en ressortait « un optimisme, mais un optimisme mesuré et quelque peu méfiant » de la part des entreprises tricolores.
« C’est-à-dire que même si l’optimisme est là, nos entrepreneurs et nos entreprises ont été malmenés ces trois dernières années, a-t-il expliqué. On a vu clairement l’idéologie prendre le pas sur le pragmatisme économique. On a vu des décisions extrêmement brutales sur la liberté, sur l’environnement économique et des secteurs entiers qui ont été fermés du jour au lendemain. Et donc aujourd’hui, effectivement, c’est une embellie. C’est la fin des restrictions. Il y a des messages extrêmement positifs de la part du gouvernement, mais nos entrepreneurs, quelque part, ont été un peu traumatisés et sont certes optimistes, mais ils attendent de voir si vraiment ce pragmatisme économique est de retour tel qu’on nous l’annonce. »
C’est dans ce contexte, que le président français se rend dans l’ancien Empire du Milieu accompagné d’une importante délégation ministérielle et d’une soixantaine d’entreprises françaises dont Veolia, EDF et Airbus.
Mais les enjeux économiques ne seront pas les seuls à être mis en avant. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen sera également à Pékin au même moment et ils rencontreront ensemble le président Xi Jinping. Une manière d’affirmer une certaine unité européenne sur le front diplomatique et politque. «Nous devons être francs : la manière dont la Chine continuera de réagir face à la guerre de Poutine sera un facteur déterminant de l’avenir des relations entre l’UE et la Chine », a-t-elle déclaré le 30 mars depuis Bruxelles, confirmant que cette visite en tandem sera avant tout très politique dans le contexte de la guerre en Ukraine.
Sophie Creusillet