Loin de l’image glamour véhiculée par ce secteur phare du commerce extérieur français, l’industrie cosmétique s’appuie sur un minutieux travail de formulation chimique. A l’international, les aspects réglementaires sont déterminants pour conquérir de nouveaux marchés.
« On se fait des nœuds à la tête. » En charge des affaires réglementaires des laboratoires Gilbert, Christine Guérin doit s’assurer de la conformité des produits cosmétiques exportés dans quelque 80 pays, dont la Chine, bête noire de tous les acteurs du secteur. « La réglementation y est très contraignante : on peut avoir de l’agilité sur d’autres marchés mais pas en Chine ».
Depuis le 1er janvier 2021, l’Empire du Milieu applique en effet un nouveau règlement sur la surveillance et l’administration des cosmétiques remplaçant le Cosmetic Hygiene Supervision Regulation de 1989. Baptisé CSAR (Cosmetic Supervision and Administration Regulation), il introduit de nouvelles définitions, champs d’application et classifications, modifie la gestion de nouveaux ingrédients, ajoute de nouvelles exigences en matière d’allégations sur l’efficacité des produits et auprès des évaluateurs de la sécurité.
Le casse-tête chinois
« Cette réglementation chapeaute des réglementations secondaires qui changent tous les six mois, explique Christine Guérin. Il faut donc attendre qu’elles soient fixées. Il y a deux ans, nous avons déclaré tous nos ingrédients, mais certains fabricants de matières premières ont changé depuis, ce qui impacte le produit fini, et toute modification suppose un nouvel enregistrement. Si on veut aller en Chine, il faut réfléchir à la réglementation dès la phase de développement du produit. »
Pour Brigitte Closs-Gonthier, directrice générale déléguée à la R&D et qualité de Silab, une ETI corrézienne de 400 personnes spécialisée dans les actifs naturels pour l’industrie cosmétique, « le marché asiatique est un important levier de croissance et si la Chine a mis en place une nouvelle réglementation, on se doit d’y répondre ». Pour enregistrer ses produits dans la base de données mise en place par les autorités chinoises, le laboratoire fait appel à des agents locaux, « sinon ce serait une vraie usine à gaz ! »
Un frein à l’innovation
Le travail de veille réglementaire est donc crucial dans cette industrie. « C’est une étape du processus de conception , constate Sylvie Chopin, directrice de l’innovation et du développement de Gilbert, où une vingtaine de personnes travaillent sur ces questions de conformité aux différentes réglementations. Dans notre groupe, plus de la moitié des projets concernent le retravail de formules pour rester en conformité ».
Chez Silab, les spécialistes des questions réglementaires travaillent également en étroite collaboration avec la R&D. « Nous sommes très conscients de cette problématique et nous anticipons la faisabilité réglementaire en amont, ce qui ne va pas sans une perte d’innovation », regrette Brigitte Closs-Gonthier.
Comparé à la Chine, le marché indien, pourtant réputé compliqué, apparaît nettement plus simple. Dans ce pays où une classe moyenne est actuellement en plein essor, les procédures d’enregistrement des ingrédients sont par exemple plus fluides. « C’est un pays complexe, mais y travailler n’est pas non plus insurmontable à condition de bien respecter les prérequis, confirme Christine Guérin. La liasse de documents à fournir pour les enregistrement, par exemple, n’a rien d’extravagant, et c’est un consultant sur place qui s’en occupe pour nous. Et si la liste d’ingrédients est compatible avec la législation européenne, elle le sera avec celle de l’Inde. »
La réglementation européenne,
important avantage comparatif
Idem pour les États-Unis, autre importante destination de la filière cosmétique tricolore. Si un produit respecte toutes les réglementations européennes, il respectera celles en vigueur au pays de l’Oncle Sam. « Les normes européennes sont les plus exigeantes au monde et l’ISO BPF [Ndlr : bonnes pratiques de fabrication] des produits cosmétiques est reconnu à l’étranger », souligne Sylvie Chopin.
« Le marché américain est beaucoup plus simple car il repose sur l’autodéclaration, même si des évolutions vers le déclaratif sont en cours », précise Christine Guérin. Des spécificités restent à connaître comme la classifications dans les médicaments des crèmes solaires.
Reste que cet avantage comparatif européen est peut-être encore plus prégnant en France, selon Sylvie Closs-Gonthier : « Le savoir-faire français est reconnu dans le monde entier et la pandémie de Covid-19 laisse à penser que cette stratégie est la bonne ».
A tel point, sourit Sylvie Chopin que « des entreprises chinoises viennent en France faire fabriquer des produits destinés à leur marché domestique ». Cette spécificité française, mêlant créativité, innovation et une réglementation au cordeau, se heurte aujourd’hui à un problème de poids : le recrutement de spécialistes de la réglementation du secteur de la cosmétique. « Il n’y a qu’un master en France spécialisé sur ce sujet et toutes les entreprises de la filière puisent dans ce même vivier », regrette la directrice de l’innovation de Silab.
Sophie Creusillet