La pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont mis en lumière les fragilités des chaînes d’approvisionnement. Après la prise de conscience, vient le temps de leur reprise en main alors que les risques géopolitique et climatique ont fortement progressé. Les pénuries constitueront cependant la principale menace cette année, selon le baromètre annuel des risques supply chain du cabinet Kyu, présenté le 26 janvier. Revue de détail.
Entre la résurgence du risque politique, le retour de l’inflation, l’explosion des coûts de l’énergie, les perturbations du fret et la menace d’une récession mondiale, la gestion de l’approvisionnement vire depuis trois ans au casse-tête pour les entreprises. Et cette année ne devrait pas faire exception à en croire la 4e édition du baromètre des risques supply chain réalisé par Kyu, en partenariat avec les Arts et Métiers, France Supply Chain et l’Association pour le management des risques et des assurances de l’Entreprise (Amrae).
Malgré la montée en puissance des impératifs de décarbonation et le retour de la guerre en Europe, 55 % des répondants estiment que le top 10 des risques en 2023 sera dominé par les pénuries. Voici, dans l’ordre, le détail de ce top 10.
1. Manque de capacités
Qu’elles soient de matières premières, de composants ou de travailleurs, les pénuries continueront de donner des sueurs froides aux responsables des chaînes d’approvisionnement. En octobre dernier, rappelle Kyu, l’Insee et l’Ifo allemand indiquaient que la part des entreprises déclarant des goulots de production était de 49 % en France et de 64 % outre-Rhin.
65 % des chefs d’entreprises français et 87 % des entreprises familiales allemandes déclaraient rencontrer des difficultés de recrutement. En outre, la pénurie de semi-conducteurs devrait perdurer, l’offre ne satisfaisant pas une demande en forte croissance, tirée par l’IoT, la 5 G et les véhicule électriques.
2. Hausse des coûts
L’inflation (+ 9,2 % dans la zone euro fin décembre 2022 dont 25,7 % pour l’énergie) a provoqué un choc de rentabilité dans les secteurs les plus énergivores. Conséquence : les défaillances d’entreprise, reparties à la hausse en 2022 devraient dépasser leur niveau d’avant la pandémie.
Selon l’assureur Allianz, leur progression devrait atteindre 19 % , après + 10 % en 2022. Kyu estime que l’Europe sera particulièrement touchée ainsi que les États-Unis (+ 38 %), tandis que les défaillances augmenteront de 15 % en Chine.
3. Attaques cyber
Selon l’éditeur de solutions e cybersécurité Trend Micro, 52 % des entreprises internationales ont déjà relevé une attaque par rançongiciel dans l’organisation de leur chaîne d’approvisionnement.
« De plus, la digitalisation croissance de la supply chain « physique » autour d’une grande hétérogénéité de solutions plus ou moins interopérables va amplifier les menaces en créant de multiples vulnérabilités exploitables par les cybercriminels via la supply chain « informatique » des éditeurs de logiciels pour affecter chaque maillon et se propager à l’ensemble », explique l’étude.
4. Crise géopolitique
Conséquences de la guerre en Ukraine sur l’énergie, l’agroalimentaire et la métallurgie, des tensions entre la Chine et Taïwan sur les semi-conducteurs, le risque géopolitique est au plus haut et les conflits et tensions ont des répercussions bien au-delà des régions où ils naissent.
Ainsi, selon Dun&Bradstreet, 370 000 entreprises dans le monde dépendent de fournisseurs russes et 240 000 de fournisseurs ukrainiens, réparties dans 25 pays. Taïwan assure 65 % de la production mondiale annuelle de semi-conducteurs et 90 % de celle des puces. L’île fournit 35 % des besoins du secteur automobiles et 70 % des smartphones. Pour Kyu, cette interdépendance devrait favoriser le friend-shoring (les partenariats de long terme dans des pays « amis »).
5. Logistique
Congestion des ports, manque de chauffeurs dans le transport routier… La logistique est mise à rude épreuve depuis le début de la crise sanitaire et, conséquence de la baisse de la consommation en Europe et aux États-Unis au second semestre 2022, les entreprises doivent gérer le surstockage.
A quoi s’ajoute une flambée de prix de l’emballage, en particulier en carton du fait de l’envolée de l’e-commerce et de l’arrêt progressif du plastique.
6. Volatilité de la demande
Elle n’a jamais été aussi importante et prévoir le comportement des consommateurs à court terme relève des arts divinatoires.
« Ce qui est certain néanmoins, c’est que les modèles historiques qui constituent encore jusqu’ici le fondement de la planification des activités des entreprises sont faux et que les comportements des distributeurs pour se prémunir des pénuries alimentent l’effet « bullwhip« , tant redouté », souligne Kyu. « L’effet coup de fouet » (une augmentation des stocks quand la demande faiblit ou une pénurie quand la demande repart) est en effet difficilement gérable. Les analystes de Kyu relèvent néanmoins que « la tendance au passage d’un modèle en flux tendu à un modèle avec plus de stocks semble s’installer ».
7. Rareté des sources
Le mantra de la diversification des sources d’approvisionnement se heurte parfois à la réalité : il n’existe pas toujours d’alternative soutenable financièrement. De fait, la globalisation a concentré dans des zones de production à bas coût des capacités et des compétences qui font aujourd’hui défaut dans les pays développés.
La tendance, « plus qu’une relocalisation industrielle fantasmée » est au near-shoring depuis la Chine vers des pays proches des grands bassins mondiaux de consommation. Un processus long après 30 ans de mondialisation avec la Chine comme « atelier du monde ».
8. Crise climatique
Sécheresses intenses en Europe, en Inde, au brésil et en Chine, inondations en Chine et au Pakistan… L’année 2022 aura été extrême pour le climat, avec des conséquences mondiales, à l’instar de la sécheresse au Canada qui a provoqué une pénurie mondiale de moutarde.
Selon Swiss Re, l’impact économique des catastrophes naturelles a atteint l’an dernier 268 milliards de dollars, dont 45 % ont été couverts par les assureurs.
9. Pandémie
Bien que Pékin ait annoncé la fin de sa politique zèro-Covid, les déplacements effectués par des millions de citoyens à l’occasion du Nouvel An chinois font craindre une explosion des cas, en particulier dans les villes-usines, sur lesquelles a été fondé le modèle économique chinois.
Un récent rapport de de la société hongkongaise d’affrètement indique que plus de la moitié des effectives des usines sont contaminés.
10. Controverse RSE
Face à la pression de l’opinion publique, les gouvernements poussent les entreprises à revoir leurs chaînes d’approvisionnement. En témoigne, la mise en place en France de la loi CSDD qui contraint les entreprises de plus de 1000 personnes à identifier les risques sociaux et environnementaux sur l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement. « Les enjeux RSE deviennent plus que concrets après des années d’engagements Développement Durable à géométrie variable », constate Kyu.
Pour les analystes de ce cabinet, « les modèles de supply chain actuels avaient été bâtis pour un monde de certitudes, celui de la globalisation (naïvement) heureuse et de la prévisibilité de la demande. La succession de crises depuis 3 ans nous a fait entrer dans une nouvelle ère de tensions et oblige à revisiter des organisations construites pour temps calme et devenues désormais bien trop rigides ».
Sophie Creusillet