L’arsenal de défense commerciale de l’Union européenne (UE) vient de s’enrichir d’un nouvel instrument. Depuis le 12 janvier, date d’entrée en vigueur du nouveau Règlement sur les subventions étrangères (RSE), les entreprises étrangères candidates à des rachats d’entreprises ou concourant à des appels d’offres de marchés publics doivent monter patte blanche en matière de subvention de leur État d’origine. Un nouvel instrument dans l’arsenal de défense commercial de la Commission européenne. Revue de détail.
Cette nouvelle série de règles vise à remédier aux distorsions de concurrence causées par les subventions publiques que peuvent recevoir des entreprises étrangères des autorités de leur pays d’origine. Compatible avec les règles de l’OMC, le RSE vise à permettre « à l’UE de rester ouverte au commerce et aux investissements, tout en garantissant des conditions de concurrence équitables pour toutes les entreprises opérant dans le marché unique » explique un communiqué de la Commission.
Concrètement, le RSE pourra s’appliquer à toute activité économique dans l’UE dès lors que sont impliquées des entreprises de pays tiers : il couvre les concentrations (fusions et acquisitions), les procédures de passation des marchés publics et « toute autre situation de marché ». « Les nouvelles règles confèrent à la Commission le pouvoir d’enquêter sur les contributions financières accordées par des pays tiers à des entreprises exerçant une activité économique dans l’UE et de remédier, si nécessaire, à leurs effets de distorsion » précise encore le communiqué de Bruxelles.
Si la Commission se défend de viser les entreprises d’un pays en particulier, tout le monde a bien évidemment en tête la Chine.
Une définition large des subventions
Quels types de subvention sont visés par ce règlement ?
« Toute contribution financière fournie directement ou indirectement par un pays non-membre de l’UE, qui est limitée à une ou plusieurs entreprises ou à un ou plusieurs secteurs et qui confère un avantage à une entreprise exerçant une activité économique dans l’UE » précise-t-on dans un dossier de présentation en ligne sur le site de la Commission.
L’interprétation du terme « contribution financière » est large, allant bien au-delà du cas classique de la subvention directe : prêts à taux d’intérêt nul et d’autres financements à perte, garanties illimitées, compensations, crédits à l’exportation non conformes à l’arrangement de l’OCDE sur les crédits à l’exportation bénéficiant d’un soutien public, traitements fiscaux préférentiels, crédits d’impôt ou subventions directes. De quoi couvrir les nombreuses formes de subvention apparues ces dernières années.
A noter que le nouveau règlement, très soutenu par la France qui a présidé l’UE au premier semestre 2022, a été adopté en un temps record, signe qu’il y avait un sentiment d’urgence : la Commission a soumis un projet en mai 2021, et le nouveau règlement a été approuvé le mois suivant, en juin, par le Parlement européen et le Conseil.
Une obligation de notification
En pratique, la Commission pourra décider de mener des enquêtes anti-subvention en s’appuyant sur trois nouveaux outils prévus dans le règlement et dont elle aura le contrôle :
-une obligation de notification ex ante (préalable) par l’acquéreur des contributions financières reçues de gouvernements et de pouvoirs publics de pays non-membres pour les concentrations lorsque : 1) le chiffre d’affaires dans l’UE de l’entreprise à acquérir, d’au moins une des parties à la fusion ou de l’entreprise commune, est d’au moins 500 millions d’euros ; et 2) la contribution financière étrangère totale concernée est d’au moins 50 millions d’euros;
-une obligation de notification ex ante par les soumissionnaires contributions financières reçues de gouvernements et de pouvoirs publics de pays non-membres pour les procédures de passation de marchés publics lorsque : 1) la valeur estimée du marché est d’au moins 250 millions d’euros ; et 2) l’offre comprend une contribution financière étrangère d’au moins 4 millions d’euros par pays non-membre de l’UE;
-pour toutes les autres situations de marché, la Commission peut ouvrir des enquêtes ex officio (de sa propre initiative), et notamment demander des notifications ad hoc pour les concentrations et les procédures de passation de marchés publics de moindre ampleur.
La Commission sera également habilitée à enquêter sur des contributions financières octroyées par des autorités de pays non membres de l’UE à des entreprises exerçant leur activité dans l’UE. Si la Commission constate l’existence de subventions étrangères qui faussent la concurrence dans l’UE, elle peut remédier à leurs effets de distorsion.
Des outils contraignants
Les deux outils de notification obligatoire sont très contraignants : tant que l’examen de la Commission n’a pas eu lieu, les opérations (concentration ou passation de marché public), sont suspendues. En outre, un manquement à cette obligation de notification fait courir à l’entreprise concernée le risque de se voir infliger une amende pouvant aller jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires annuel total. De quoi refroidir les velléités de les contourner.
En dehors de ces cas, la Commission pourra également demander des notifications ad hoc pour les concentrations et les procédures de passation de marchés publics inférieures aux seuils applicables, « si elle soupçonne l’existence de subventions étrangères dans l’opération et si cette dernière n’est pas encore conclue ». Dans les procédures de passation de marchés publics, cela s’applique également si la Commission reçoit de nouvelles informations qui l’amènent à soupçonner qu’une notification ou une déclaration soumise était incomplète, ou lorsqu’une telle notification ou déclaration n’est pas transmise à la Commission.
Enfin, l’outil général d’enquête (ex officio) permettra à la Commission d’examiner, de sa propre initiative, tout type d’activités économiques et de situations de marché, comme les investissements entièrement nouveaux ou la prestation de services, lorsqu’elle suspecte l’existence d’une subvention étrangère.
Un temps d’adaptation pour les entreprises
Côté calendrier, quelques mois sont laissés aux entreprises pour digérer leurs nouvelles obligations.
Le RSE commencera à s’appliquer dans six mois, à partir du 12 juillet 2023. À partir de cette date, la Commission pourra ouvrir des enquêtes ex officio, c’est-à-dire de sa propre initiative.
À partir du 12 octobre 2023, les entreprises seront obligées de notifier à la Commission des concentrations et des participations à des procédures de passation des marchés publics impliquant une contribution financière d’un gouvernement non membre de l’UE, au-delà de certains seuils.
C.G
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