Les sanctions contre la Russie, après le déclenchement de son invasion de l’Ukraine le 24 février, et leurs répercussions sur les entreprises ont donné un coup de projecteur sur les problèmes de conformité -compliance en anglais- auxquels sont confrontées les entreprises depuis déjà quelques années. Elles touchent aussi des domaines sociaux et environnementaux, comme l’attestent les projets de nouvelles législations de l’Union européenne en matière de travail forcé ou de déforestation. Quelles conséquences sur les entreprises ? Gwladys Beauchet et Jean-Marie Salva, avocats associés de DS Avocats (notre photo), donnent leur éclairage.
La crise sanitaire puis la crise ukrainienne ont mis en avant la résilience des chaines d’approvisionnement en même temps que l’exposition médiatique plus forte des entreprises du fait de leurs relations avec les tiers.
L’attente déjà très significative en matière de compliance, telle qu’issue des réglementations plus sécuritaires que sont le contrôle export des biens et technologies double usage et les sanctions économiques, s’accentue aujourd’hui au travers de la responsabilité sociale des entreprises (RSE).
Les sanctions visant la Russie ont donné une acuité particulière à ces sujets. En outre, à l‘horizon se profilent de nouveaux sujets de conformité qui pourraient rapidement bouleverser le management des chaines d’approvisionnement.
Les sanctions contre la Russie, inédites
Les sanctions liées à la crise ukrainienne se singularisent en effet tout d’abord à plusieurs titres :
- leur évolution constante (la succession à un rythme soutenu de 8 trains de mesures sans cesse renforcées),
- leur caractère massif incluant des modes opératoires inédits (Swift ban …),
- la parfaite coordination des grands régulateurs que sont les Etats-Unis, l’UE, la Suisse et le Royaume-Uni, fait d’autant plus remarquable que l’ONU n’a pris aucune autre décision que celle de son Assemblée Générale de suspendre la Russie du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies),
- la volonté affichée de toutes parts de faire assurer strictement le respect de ces mesures. Si les Etats-Unis sont connus pour infliger de lourdes sanctions aux opérateurs (notamment étrangers atteints par l’extraterritorialité) qui se risqueraient au contournement, l’Union européenne dont les mesures restrictives ne disposent de la même portée extraterritoriale laisse en outre aux Etats membres le soin de fixer et d’infliger les pénalités éventuelles. Or, la volonté répressive a été jusqu’à présent très variable parmi eux. Cette fois ci, on a entendu un discours unanime sur la volonté d’assurer le respect des mesures et la promesse d’une extrême sévérité ;
- enfin, les efforts cette sévérité annoncée explique aussi le souci pédagogique plus affirmé (cf les FAQ de la Commission et celles des administrations nationale comme la DG Trésor) …
Nouvelles exigences de contrôle des fournisseurs
Par ailleurs, la multiplication des lois exigeant des entreprises la mise en œuvre de diligences raisonnables à l’égard leurs fournisseurs et sous-traitants rappelle l’importance que revêt l’évaluation des tiers dans la politique de conformité des entreprises.
Peuvent ainsi être citées la loi dite «Sapin II» (1) imposant une évaluation des fournisseurs de premier rang et intermédiaires et la loi sur le devoir de vigilance (2) qui exige des procédures d’évaluation régulière de la situation des sous-traitants ou fournisseurs. Ou encore la déclaration de performance extra-financière (3) qui doit comprendre une description des principaux risques créés par ses relations d’affaires et incite les entreprises à tenir compte dans leur politique d’achat des enjeux sociaux et environnementaux et de la démarche RSE de leur fournisseur et sous-traitants.
Travail forcé et déforestation dans le viseur de l’UE
L’entreprise doit maîtriser les risques liés à sa chaine d’approvisionnement et les enjeux en cette matière ne cessent de s’accroître : pour preuve la proposition de règlement européen du parlement et du conseil visant à interdire la mise sur le marché de l’Union et l’exportation depuis le territoire européen de produits issus du travail forcé.
Cette interdiction viserait autant les produits fabriqués localement que ceux importés. Ce projet annoncé par la présidente de la Commission dès le 15 septembre 2021 dans son discours sur l’état de l’Union est particulièrement ambitieux et s’inscrit directement dans le champ de la « corporate sustainability due diligence ». Les chaines d’approvisionnement déjà soucieuses de garantir l’origine et la destination de leurs produits à des fins diverses liées à des questions de développement durable vont désormais devoir intégrer le respect des droits de l’homme dans les conditions de production des mêmes produits.
De même, la proposition de loi européenne visant à lutter contre la déforestation déposée par la Commission européenne le 17 novembre 2021. Le but est de garantir aux consommateurs que les produits disponibles sur le marché de l’Union ne sont pas liés à la déforestation dont l’accélération joue un rôle majeur dans les changements climatiques et les reculs de la biodiversité. C’est une composante essentielle du Green Deal européen.
Le texte vise six commodités : soja, huile de palme, cacao, café, bœuf et bois. L’approche est similaire à celle du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières qui démarre en janvier 2023 et restera dans un premier temps limité à certains secteurs …
Renforcer l’évaluation des tiers
L’évaluation des tiers doit donc être renforcée et permettre aux entreprises d’anticiper tout manquement grave à la probité, à l’environnement ou aux droits humains. L’accroissement des contentieux initiés par les ONG au titre du devoir vigilance ne fait que conforter cette tendance.
Face à la multiplication des risques et au volume de données à traiter, des efforts considérables de mise en conformité seront exigés des entreprises.
La réponse des entreprises pour faire face à ce « millefeuille » règlementaire doit être recherchée dans la mutualisation des outils : une cartographie permettant d’identifier, évaluer, hiérarchiser les risques liés aux tiers en tenant compte de l’ensemble des enjeux économiques, sociaux et environnementaux, une catégorisation des tiers en fonction du niveau de risque ainsi identifiée et la mise en œuvre de procédure adaptées à chaque catégorie de risque.
Sans être tenue responsable du comportement fautif des tiers, l’entreprise doit être en mesure de justifier d’un comportement « prudent et diligent » dans la maitrise de sa chaine d’approvisionnement.
Gwladys Beauchet & Jean-Marie Salva, associés DS Avocats
1/- Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
2/- Loi n°2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre
3/- Article L225-102-1 et R225-105 du Code de commerce.