Pendant le mandat de Jair Bolsonaro, la relation bilatérale au niveau politique a été congelée mais les entreprises françaises ont continué à investir à bon rythme et la coopération avec les collectivités territoriales a été poursuivie. L’arrivée au pouvoir de l’ancien président Lula devrait permettre de relancer le « partenariat stratégique ».
« C’est pour nous une formidable nouvelle » a déclaré Emmanuel Macron, le 31 octobre dernier, lors d’un bref entretien téléphonique avec le président élu du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, dit Lula. Le président français a appelé à la relance d’un « partenariat stratégique à la hauteur de notre histoire et des défis qui sont devant nous ».
Une page se tourne dans la relation bilatérale après plus de 3 ans de gel complet. Un acteur privé de la relation bilatérale franco-brésilienne évoque la fin du « rideau de fer entre les deux pays ».
Un retour attendu
Emmanuel Macron s’était violemment opposé à son homologue brésilien, Jair Bolsonaro, lors du G7 de Biarritz de 2019, à propos de la gestion des feux de forêt en Amazonie. Il avait même reçu le cacique indien Raoni, ennemi déclaré du président brésilien. Depuis, les choses n’ont fait qu’empirer, prenant même un ton personnel et de bas étage lorsque Jair Bolsonaro s’était moqué publiquement du physique de l’épouse du président français, Brigitte Macron, qualifiée de « vraiment moche ».
En août dernier, lors d’un congrès de chefs d’entreprise de la restauration, le ministre de l’Économie, Paulo Guedes avait rajouté une couche en affirmant que la France était en train de devenir « insignifiante » au Brésil. Il se basait sur la forte progression des échanges avec la Chine (de 77 à 135 Md USD entre 2011 et 2021) et le recul de ceux avec la France (de 7,8 à 7,3 Md USD). Il avait adopté le langage grossier de son président, en affirmant à propos des Français : « vous avez intérêt à bien nous traiter, sinon on va vous envoyer vous faire foutre ».
Dans ce contexte singulier, la réélection de Lula, après deux mandats consécutifs (de 2003 à 2010), était très attendue et pas seulement dans l’Hexagone. Le 17 novembre 2021, l’ancien président brésilien, qui n’avait pas encore fait acte de candidature, avait été reçu à déjeuner à l’Élysée par Emmanuel Macron, avec les honneurs rendus à un chef d’État. Lula avait reçu un traitement similaire à Berlin, Bruxelles et Madrid.
Outre l’impact de la crise sanitaire, la conversation entre Emmanuel Macron et l’ancien président brésilien avait porté sur les enjeux environnementaux, la question climatique et la question de la lutte contre la déforestation.
Le nouveau partenariat
devra comporter un volet économique
Si les conditions pour l’écriture d’un nouveau chapitre de la relation bilatérale franco-brésilienne sont réunies, reste à savoir quel en sera le contenu exact. « Il est trop tôt pour le savoir, on attend » affirme la source citée précédemment.
Du côté français, on affirme la volonté d’ « avancer ensemble sur plusieurs axes prioritaires », comme le souligne un communiqué du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères en date du 31 octobre dernier. Il s’agit de renforcer le dialogue politique pour relever les grands défis contemporains de la planète, en particulier le climat et l’environnement, et de coopérer sur les enjeux que sont le multilatéralisme, la paix et la sécurité internationales. Le nouveau partenariat devra comporter un volet économique afin de développer les échanges commerciaux et les investissements croisés.
La France souhaite également réintroduire la coopération transfrontalière puisque les deux pays ont une frontière terrestre commune en Amérique du sud, entre la Guyane et le Brésil, dans une logique « plateau des Guyanes ». Le Brésil est également voisin du Surinam, pays frontalier de la Guyane, et du Guyana.
La détérioration de la situation sécuritaire dans le département français, liée à l’orpaillage clandestin et aux agissements des mafias, font de ce dossier un enjeu essentiel de la relation bilatérale, dont l’administration Bolsonaro s’est totalement désintéressée. « Il ne suffira pas d’envoyer davantage de gendarmes, il faut un accord de nature politique avec le Brésil » glisse une source proche du dossier.
Des inconnues du côté brésilien
Du côté brésilien, la situation est plus complexe. L’investiture du nouveau président du Brésil aura lieu le 1er janvier 2023 et on ne connaît pas encore les membres du futur gouvernement brésilien, en particulier le nom du futur ministre de l’Économie.
Aucune visite officielle d’un côté comme de l’autre n’est inscrite dans les agendas. Et surtout, personne ne sait exactement quelle sera la stratégie qui sera mise en œuvre par Lula lors de son 3ème mandat. Ce dernier a gagné l’élection présidentielle de justesse (50,9% des suffrages exprimés) et le pays est fortement polarisé. Le futur locataire du palais de l’Alvorada n’aura pas de majorité au parlement.
Ce qui est sûr à ce stade, c’est qu’il y a une volonté claire de faire revenir le Brésil sur la scène internationale après quatre années de repli volontaire. La meilleure preuve en est fournie par le déplacement du président Lula à la COP-27 à Charm el-Cheikh.
Mais des inconnues subsistent. Sur l’épineux dossier de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur, la nouvelle équipe souhaite obtenir des « ajustements » du texte signé mais la Commission de Bruxelles refuse de rouvrir la négociation qui a péniblement abouti en 2019. Sur l’Amazonie et la déforestation, il y a une volonté claire de changement sans que toutefois la « souveraineté du Brésil » soit remise en cause.
Une moisson de contrats pour les entreprises tricolores
La reprise du partenariat devrait intervenir alors que les relations économiques et commerciales connaissent un rebond, n’en déplaise à l’ancien gouvernement.
Après une contraction de 26 % des échanges commerciaux bilatéraux entre la France et le Brésil en 2020, due à la crise économique et sanitaire, l’année 2021 est celle de la reprise, le commerce bilatéral s’établissant à 6,2 milliards d’euros (Md EUR) selon les douanes françaises, en hausse de +15,6 % par rapport à l’année précédente. Les exportations tricolores ont progressé de + 13,3 %, à 3,3 Mds EUR.
Mais les chiffres de la balance commerciale ne reflètent qu’un aspect de la relation. Les entreprises françaises sont très bien implantées au Brésil et, pour certaines d’entre elles, depuis très longtemps. On compte plus d’un millier d’entreprises tricolores présentes sur place, dont la quasi-totalité des sociétés du CAC 40 (39 sur 40). Et celles-ci ont engrangé une moisson impressionnante de contrats au cours de la période récente.
Helibras, filiale d’Airbus, a signé en septembre dernier un contrat de livraison de 27 hélicoptères monomoteurs H125 aux forces armées brésiliennes. Engie, fortement implanté au Brésil, a gagné le contrat pour l’éclairage public de la ville de Curitiba (2 millions d’habitants) dans le cadre d’un PPP (partenariat public privé) qui a fait l’objet d’une vive concurrence.
En octobre, Vinci, qui opère déjà 8 aéroports au Brésil, a gagné deux gros contrats de construction et d’exploitation de lignes de transmission, via sa filiale espagnole Cobra IS. TotalEnergies et le développeur d’énergie renouvelable brésilien Casa dos Ventos (CDV) ont annoncé la création d’une joint-venture, appartenant à 34 % à TotalEnergies et à 66 % à CDV. Elle a pour but de développer, de construire et d’exploiter le portefeuille de projets renouvelables de Casa Dos Ventos (6 GW en opération ou en construction). Quant à Carrefour, sa filiale brésilienne a doublé de taille depuis 2017 grâce à l’expansion des ventes et au rachat réent du réseau local de Wal-Mart.
« La relance du partenariat stratégique pourrait être une excellente occasion pour élargir la présence française en attirant des ETI, PME et des startup en forte croissance. Les secteurs des nouvelles technologies et de la transition énergétique et écologique seront certainement encouragés par l´évolution favorable de la relation bilatérale et il y aura des opportunités d’affaires pour ces entreprises » note Frédéric Donier, président du cabinet de conseil Crescendo, basé à São Paulo.
De fait, les inepties du président Bolsonaro et de son ministre de l’Économie n’ont pas dissuadé les entreprises et les acteurs de la relation bilatérale sur place à poursuivre leur travail. Parfois, de façon différente, comme l’Agence française de développement (AFD), qui a concentré son activité sur les collectivités territoriales, en finançant des projets de développement urbain (transport, eaux usées, etc.) avec un encours de créances de 1,34 Md EUR à fin 2021. Autrement dit, on n’attend plus qu’une concrétisation de la relance du « partenariat stratégique » pour donner un nouveau coup d’accélérateur.
Daniel Solano