Attention à la prolifération des systèmes de tarification du carbone et des normes de décarbonation, véritable jungle réglementaire en gestation à l’échelle mondiale ! C’est l’un des messages que l’on peut retenir du dernier rapport de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) publié le 7 novembre, à l’occasion de la COP 27 à Charm El-Cheikh, en Egypte (6-18 novembre). L’Institution, qui plaide pour le maintien d’un commerce international ouvert pour les biens et services « verts », appelle à une meilleure coordination dont elle pourrait être un acteur majeur.
Ngozi Okonjo-Iweal, la directrice générale de l’OMC, résume bien, en ouverture du rapport annuel de l’OMC intitulé « Changement climatique et commerce international »*, le cap que l’institution qu’elle dirige entend tenir en matière d’ouverture du commerce international : elle prône certes une « re-globalisation », mais il ne s’agit pas de stratégie « reshoring », « nearshoring » ou « friend-shoring », allusions aux politiques de relocalisations émergeant depuis la crise Covid, dont certaines ont des relents de nationalisme économiques.
Il s’agit plutôt, de son point de vue, de repenser la globalisation pour promouvoir une production de biens et services plus diversifiée et déconcentrée, plus proches des marchés locaux, et contribuant à esquisser un meilleur environnement des affaires pour les marchés et communautés marginalisés.
De fait, sans nier la contribution passée et actuelle du commerce international au réchauffement climatique et à la destruction de l’environnement, le rapport annuel de l’OMC démontre qu’il peut aussi être une solution pour servir les politiques de lutte contre le et d’adaptation au changement climatique, notamment pour les pays les plus fragiles.
Un facteur de réduction des prix des énergies renouvelables
Côté négatif, le commerce international a, par les canaux de la production et du transport, incontestablement une part dans la détérioration du climat : la part des biens et services exportés dans le monde dans les émissions de gaz à effet de serre (GES) a été estimée à 30 % en 2018.
Côté positif, le commerce a aussi permis l’accélération de la diffusion des technologies bas carbone, selon l’OMC. Ainsi, du coût de l’électricité d’origine solaire, qui a plongé de 97 % depuis 1990 : 40 % de cette réduction drastique des prix a été permise par les économies d’échelles obtenues sur le plan mondial et aux chaînes de valeur internationales. La capacité cumulée des panneaux solaires commercialisés à travers les frontières en 2017 a ainsi atteint 80 GW, environ 9 % de la génération électrique globale.
On pourrait faire mieux, estime l’OMC. Réduire les droits et taxes à l’importation sur les biens verts – des semences plus résistantes au changement climatique aux énergies renouvelable en passant par les système d’alertes précoces – pourrait permettre d’accroître substantiellement leurs exportations d’ici 2030 : + 5 % (soit 109 milliards de dollars supplémentaires) pour les équipements d’énergie renouvelable, + 14 % (10,3 Md USD supplémentaires) pour les équipements destinés à la protection de l’environnement.
Dans le même temps, leur installation dans les pays destinataires contribuerait à une réduction nette des émissions de CO2 de 0,6 % sur la période, selon les calculs de l’OMC. Et ce serait créateur d’emplois : l’Agence internationale de l’énergie estime que le basculement dans les énergies propres génèrera 14 millions de nouveaux emplois dans ces nouveaux secteurs, et 16 millions dans les secteurs liés.
Coopérer dans la tarification du carbone et les normes
Autre enjeu mis en exergue par le rapport de l’OMC : comment prévenir les futures tensions commerciales qui pourraient naître de la multiplication des systèmes de tarification du carbone et de normes de décarbonation dans le monde, alors que les engagements climat dans le cadre des Cop reposent sur des engagements nationaux de réduction d’émission de GES.
Une façon de mettre les pieds dans le plat. Les exemples ne manquent pas : à l’instar d’autres puissances, l’Union européenne, qui dispose de son marché carbone et est en train de développer sa taxinomie (son système de critères de référence) pour déterminer, dans de multiples secteurs, ce qui peut être considéré comme bas carbone ou pas, s’apprête à mettre en place un système de taxation carbone aux frontières pour des produits comme l’acier et le ciment.
Dans la réalité, c’est une jungle réglementaire qui est en train d’émerger. D’après l’OMC, quelque 70 systèmes de tarification du carbone sont actuellement opérationnels dans le monde. Et plus de 20 normes de décarbonation existent pour le seul secteur de l’acier !
L’OMC se positionne à cet égard pour jouer un rôle en tant que forum international, pour promouvoir des approches communes et garantir la transparence de ces systèmes, comme elle le fait déjà dans d’autres domaines, et éviter ainsi que cette nouvelle jungle ne prolifère, rendant les choses incompréhensibles et coûteuses pour les entreprises.
Le rapport relève d’ailleurs que la prise en compte du climat et de l’environnement commence à faire son apparition dans les accords de libre-échange régionaux : entre 2009 et 2020, un nombre croissant – quoique limité avec 64 sur 349– d’accords de libre-échange régionaux contenaient explicitement des dispositions sur le changement climatique. On peut noter que l’Union européenne a été en avance sur ce point.
Quant au financement pour aider les pays en développement et émergents à s’adapter au changement climatique, il demeure autant nécessaire que motif de friction au sein de la communauté internationale : en 2009, les pays développés s’étaient engagés à mettre 100 milliards USD par an pour les aider à s’adapter, promesse non tenue -on est très loin du compte- aujourd’hui. L’OMC pour sa part fait une proposition : que les fonds de l’initiative Aid for Trade, qui aident les pays en développement à monter en compétence et moderniser leur commerce, pourrait servir à construire des infrastructures de commerce plus respectueuses de l’environnement.
Christine Gilguy
*World Trade Report 2022, Climate change and international trade. Le rapport, d’une longueur de 140 pages, sera en ligne sur le site de l’OMC le 7 novembre : https://www.wto.org/