Aux premiers jours du Mondial de l’automobile, qui se tient à Paris Porte de Versailles (17-23 octobre), des voix se sont élevées pour défendre un protectionnisme européen sur le marché des voitures électriques afin de favoriser la réindustrialisation de l’Europe. Le gouvernement semble sur la même longueur d’onde, mais il faudra convaincre au niveau de l’Union européenne. Tour d’horizon.
Lors d’une intervention sur le plateau de RTL dans l’enceinte du Mondial de l’automobile, où les constructeurs chinois étaient présents en force cette année avec leurs véhicules électriques (BYD, ORA), Carlos Tavares, patron du groupe Stellantis, a été droit au but : « Il faut limiter les aides aux véhicules fabriqués en Europe ».
Dans sa ligne de mire, les constructeurs chinois qui ont pris plusieurs longueurs d’avance sur les industriels européens dans la filière électrique grâce au gigantesque marché chinois et aux investissements massifs dont ils ont bénéficié. Pour le patron du groupe français, au-delà d’un ciblage des aides, si l’on veut encourager la réindustrialisation de l’Europe, il faudra aussi en passer par des restrictions aux frontières : « Cette réindustrialisation de l’Europe est totalement incompatible avec l’ouverture du marché européen sans contraintes aux importations à partir de la Chine » a-t-il déclaré.
Des échanges extérieurs chroniquement déficitaires
Pour rappel, l’automobile française (véhicules + équipements) est devenue chroniquement déficitaire dans les échanges extérieurs ces dernières années, la crise sanitaire et les fortes perturbations des chaînes d’approvisionnement en composants ayant en plus contribué à freiner sa reprise en 2021 : au premier semestre 2022, le déficit des échanges commerciaux dans ce secteur a atteint -8,8 milliards d’euros (Md EUR), pour des exportations en recul de 8,8 % par rapport à la même période de l’année 2021 (22, 5 Md EUR).
Outre la crainte du rouleau compresseur chinois, qui avait laminé, dans le passé, toute velléité européenne dans des secteurs comme les panneaux solaires, un autre argument plaide en faveur d’un protectionnisme européen, sans doute davantage partagé en Europe : l’attitude résolument protectionniste des Américains quant à l’attribution de leurs aides au véhicule électrique.
Dans le plan climat de l’administration Biden présenté en août dernier, une mesure prévoit qu’un Américain pourra recevoir jusqu’à 7 500 dollars en crédits d’impôts pour l’achat d’une voiture électrique, à condition qu’elle soit construite sur le sol étatsunien et avec une batterie « Made in USA ».
Un marché en phase de décollage en Europe
En phase de décollage, les ventes de voitures électriques et électrifiées sont en forte croissance en Europe, et notamment en France, même si, avec quelques dizaines de milliers unités, elles sont encore loin d’atteindre les scores des véhicules à propulsion thermique.
Selon les statistiques diffusée lors du Mondial de l’automobile, sur les huit premiers mois de l’année (janvier-août), les ventes de voitures 100% électriques neuves ont représenté 12,2 % des immatriculations en France. Au top 3 des meilleures ventes : Peugeot e-208 (11 970 exemplaires), Fiat 500 (e : 11 185 exemplaires), Dacia Spring (10 852 exemplaires).
Elles ont été boostées par les aides gouvernementales pour l’achat d’une voiture électrique, ainsi que par la perspective de l’interdiction de la vente des véhicules thermiques en 2035 en Europe.
Le gouvernement doit passer par Bruxelles
Le gouvernement français est un peu sur la sellette sur la question des aides avec l’annonce le 17 octobre par le président Emmanuel Macron, dans une interview aux Echos, d’une augmentation de 6000 à 7000 euros de l’aide à l’achat d’une voiture électrique d’où qu’elle vienne. Autre mesure dont le président avait fait une promesse de campagne, le mécanisme de leasing à 100 euros par mois pour pousser les achats de petits véhicules électriques plus accessibles aux ménages plus modestes que les actuels acquéreurs de véhicules à 40 000 ou 50 000 euros pièce.
Pour le moment, les appels de l’industrie n’ont pas encore eu de réponse claire de la part des autorités françaises, qui ont toutefois affirmé leur volonté de défendre le dossier à Bruxelles. Le président Macron a ainsi évoqué son souhait de défendre « une préférence européenne », pointant du doigt nommément la Chine et les États-Unis : « Les Américains achètent américain et mènent une stratégie très offensive d’aide d’État. Les Chinois ferment leur marché » a-t-il justifié.
Bruno Lemaire, intervenant dans l’enceinte du Salon le 18 octobre, a appuyé dans le même sens : « Notre problème est que nos grands partenaires ont choisi des stratégies protectionnistes », a indiqué le ministre de l’Économie, cité par Les Echos. « L’Europe ne peut pas rester les bras croisés. La préférence européenne en matière d’automobile peut et doit faire partie de nos instruments », précisant que l’Europe doit « être capable de réserver nos bonus, payés par de l’argent public, aux véhicules construits en Europe. »
Pour l’heure, la seule mesure concrète annoncée par le gouvernement a été le report de mise en œuvre du mécanisme de leasing à fin 2023 ou début 2024, pour laisser un peu plus de temps aux constructeurs européens pour sortir des véhicules plus populaires.
Prochaine étape : défendre le dossier à Bruxelles, notamment au niveau du Conseil mais aussi du Parlement et de la Commission, car la politique commerciale et ses instruments relèvent de la compétence de l’Union européenne. Ce ne sera pas le moins compliqué. L’Allemagne, notamment, a de gros intérêts en jeu avec son industrie automobile très implanté en Chine et aux États-Unis.
C.G