Qui aurait cru qu’une pépite française pourrait à nouveau émerger sur le marché de l’électroménager ? Daan Tech n’est déjà plus une startup six ans après sa création : ses petits lave-vaisselle autonomes et innovants Made in France cartonnent sur le marché européen où ils révolutionnent les usages. Alors que la PME cible à présent l’Asie, elle prépare déjà la sortie d’un autre produit. Revue de détail sur une nouvelle pépite de l’industrie française.
Installée dans un site de 2500 m2 à Cugand, à 40 km de Nantes, Daan Tech est un petit poucet par rapport aux géants mondiaux de l’électroménager, qui inondent le marché mondial depuis l’Asie. Mais ses fondateurs sont sans complexes, car sûrs de leurs atouts, et leurs ambitions clairement internationales.
« Nous avons créé cette entreprise en 2016 avec la volonté de créer une gamme de produits électroménagers Made in France, éco-responsable, avec des innovations dans le design et les usages, et conçues pour durer au moins 10 ans, donc réparables », souligne d’entrée Antoine Fichet, 33 ans à peine, et jeune président de Daan Tech, dans une interview en visio assurée depuis son téléphone portable.
C’est lui qui a eu, à la fin des année 2000, l’idée de créer « Bob », le nom de ce joli petit lave-vaisselle au design rétro et coloré mais utilisant des technologies high tech, qui se pose n’importe où et fonctionne sans arrivée d’eau grâce à un réservoir intégré. Idéal pour les petits appartements et les usages quotidiens d’une ou deux personnes. « Le vieux rêve de quelqu’un né dans une famille qui n’avait pas de lave-vaisselle, qui a vécu étudiant dans un petit appartement sans arrivée d’eau, confie le jeune dirigeant. C’est comme ça que m’est venu l’idée de créer un lave-vaisselle autonome ».
La performance industrielle,
second atout pour faire du Made in France
Un petit retour en arrière s’impose car l’histoire mérite le détour.
Après avoir décroché un DUT de génie mécanique à 20 ans et un master en école de commerce à 25 ans, Antoine Fichet se met donc en quête d’un industriel à même de transformer son idée en une machine qui fonctionne. A l’époque, il s’associe avec le cofondateur de Daan tech, Damian Py, un jeune entrepreneur qui participera activement à l’aventure en tant que président de l’entreprise jusqu’à ce qu’une mésentente sur la stratégie et la gouvernance ne les séparent en juin 2022.
C’est au cours de cette quête initiale que se fait la rencontre avec le troisième homme clé, Nicolas Ravallec, actuel directeur général de l’entreprise. Ce dernier travaillait chez S20 industrie, basée à La Roche sur Yon, une PME industrielle qui avait repris une activité de sous-traitance industrielle de Brandt. Pour lui qui avait été en responsabilité dans des usines de 200 à 300 personnes chez Brandt, l’industrialisation d’un lave-vaisselle, d’un sèche-linge ou d’un lave-linge n’avait aucun secret. « On est devenu assez vite amoureux de ce produit » se souvient Nicolas Ravellec.
Selon lui, « Bob » n’avait pas d’équivalent sur le marché. A l’époque, se souvient-il, innover dans le lave-vaisselle, c’était passer de 13 à 15 couverts, mais il n’y avait jamais eu une telle rupture d’usage. Autre point de rupture, le design soigné : un peu rétro, un peu futuriste en même temps, fini la monotonie des machines traditionnelles blanches : 14 couleurs différentes possibles.
En l’occurrence, cette déferlante d’innovations dans une industrie taillée depuis longtemps pour une production de masse mondiale est un atout pour fabriquer en France : « Pour faire du Made in France, il faut créer de la valeur » souligne Antoine Fichet. Il ne faut pas essayer de faire ce que fait la Chine car c’est impossible d’être concurrentiel face aux usines villes qui produisent les lave-vaisselle ». Plus de 80 % des clients utilise Bob de façon autonome.
Pour Nicolas Ravallec, le coup de cœur est tel que lorsque S20 dépose le bilan en 2019, il rejoint sans hésiter le projet Daan Tech avec quelques techniciens, ce qui facilitera la reconstitution d’un outil industriel. C’est grâce à sa contribution que le produit est conçu pour être simple à fabriquer, un autre de ses points forts. « La performance industrielle est un deuxième point essentiel pour réussir à faire du Made in France : il faut pour cela que le produit soit facile à fabriquer, explique Nicolas Ravallec. C’est ce que nous avons fait pour Daan tech ».
Une pré-vente record de 1,2 millions d’euros valide le concept
Pour réaliser tout ça, là encore l’esprit startup des débuts, tournée vers l’innovation, permet de réaliser un coup audacieux sur le financement. « On a fait une campagne de pré-commande en 2018 sur Bob depuis notre site Internet et on a réalisé en un mois le record français avec 1, 2 millions d’euros », souligne Antoine Fichet, qui reconnaît toutefois que comme l’opération a été menée sur leur propre site Internet, ce record n’a pas été homologué dans le monde du crowdfunding.
Peu importe, concrètement, 6000 « Bob » sont achetés en un mois sur le marché français, certes à un prix réduit, mais sans promesse de livraison à 6 mois ou 1 an. « Cela a permis de prouver que le produit était attractif et qu’il avait un potentiel très important » insiste Nicolas Ravallec.
En un temps record, Daan tech est ainsi passé d’une startup de 2 personnes avec une idée, à quelque chose de concret et sérieux. « C’était aussi l’objectif : faire une entreprise qui soit rentable d’entrée », souligne Antoine Fichet. S20, encore en activité à l’époque, est définitivement convaincu, Nicolas Ravallec aussi. Des business angels rejoignent le projet, ainsi que Bpifrance.
Entre la pré-vente et la levée de fonds de l’époque, 3 millions d’euros sont ainsi mobilisés, qui permettent de financer l’installation et toute la partie outillage, dont les moules, la fin des études et le début de la commercialisation. Concrètement, le bâtiment du site est loué, en quelques mois les lignes d’assemblage et les bans de contrôles sont installés, pendant la première saison du Covid. La production de « Bob » démarre en octobre 2020.
Les deux associés reconnaissent toutefois que le Made in France n’est pas à 100 %, faute de trouver localement certains composants comme les moteurs ou les pompes, ou parce que dans certains domaines, certains fournisseurs asiatiques sont plus performants que les producteurs français. Mais le taux d’intégration est déjà très élevé : actuellement, pour 30-35 % de la valeur ajoutée encore en Asie, 70 % est réalisé en France (dont 50 % en Vendée). Sur son site Internet, la PME présente une quinzaine de sous-traitants français dans la plasturgie, les moules, les joints, les détergents, des composants en inox… « Notre stratégie est d’intégrer tout ce qu’on peut à des coûts acceptables » souligne Nicolas Ravallec.
Déjà 60 % à l’export, et une volonté d’accélération
Il aura donc fallu quatre ans de R&D, et le dépôt de quelques brevets au passage, pour sortir Bob. Le succès initial obtenu sur le marché français a très vite fait tache d’huile hors des frontières : à raison de 30 000 unités par an, dont 60 % à l’export, le petit lave-vaisselle génère déjà un chiffre d’affaires de l’ordre de 10 millions d’euros cette année, en progression de 400 % sur un an en Europe, et les associés espère doubler à 18-20 millions d’euros en 2023. Côté effectif, 45 personnes travaillent dans l’entreprise.
« On fabrique en France et on veut exporter, on a toujours eu cette volonté d’exporter, insiste Antoine Fichet. On a très rapidement traduit notre site Internet dans toutes les langues européennes avec différentes régions et on a commencé des démarches pour aller en Asie ».
Actuellement, son premier marché à l’export est l’Allemagne, qui représente 20 % des ventes et une croissance de 150 % du chiffre d’affaires sur un an. L’Europe du Nord (Suède, Finlande, Danemark, Pays-Bas) génère pour sa part 25 % des ventes et Daan Tech compte accélérer son développement sur cette zone avec le recrutement prévu fin 2022 de trois directeurs pays dédiés. En Asie, Dann tech a commencé à poser des jalons : elle vend déjà un peu à Taiwan grâce à un distributeur local.
Fort de cette première réussite, les dirigeants de Daan tech veulent réitérer l’opération pour le nouveau produit qu’ils veulent lancer en 2024, un petit four « tout en un » dénommé Joe, là encore pour les usages quotidiens d’une à deux personnes. Joe, dont le prototype a été présenté début septembre au dernier salon international IFA de Berlin (2-6 septembre), sera capable de faire toasteur, vapeur, grill, chaleur tournante. Le produit est en cours de tests « focus group », auprès de consommateurs et consommatrices.
Même mode opératoire pour valider l’attraction et le marché, mais cette fois-ci avec une ambition européenne d’entrée : « On veut lancer les pré-commande l’année prochaine, directement en Europe, souligne Antoine Fichet. On veut avoir une vision export dès le lancement du produit ».
C’était l’objectif de la participation au salon IFA, la plus importante foire internationale d’Europe pour les nouvelles technologies. Une manière de tester le marché tout en faisant du teasing. « On a compris beaucoup de choses » explique Antoine Fichet. Si le design a bien fonctionné, les concepteurs ont été challengés sur certains aspects des usages comme les dimensions, la taille du hublot, la manière de présenter le produit aux consommateurs … « On s’était donné jusqu’à la fin de l’année pour finaliser le concept, valider les technologies, ce déplacement à l’IFA nous a permis de retravailler sur certains aspects » poursuit le jeune dirigeant.
Vente directe en Europe, via des distributeur au grand export
Côté commercialisation, la PME a aussi testé plusieurs canaux avant de fixer sa stratégie.
Au tout début, c’est la vente directe au consommateur – dans le jargon DTC, Direct to consumer – via son site Internet que Daan tech a privilégiée avec succès. Elle continue à le faire non sans avoir testé, notamment en France, le BtoB avec les grandes enseignes de la distribution tels que Boulanger ou Darty. « Mais faire les deux en même temps est compliqué car on risque de se faire concurrence sur les prix » souligne Nicolas Ravallec.
D’où une clarification de la stratégie. Pour les prochaines années, un seul canal de commercialisation sera privilégié en fonction des marchés : « dans les pays où ça marche bien avec notre site Internet, on ne commercialisera que par ce canal, et dans les pays où nous sommes peu connu, on s’appuiera sur des distributeurs ou des entreprises qui peuvent nous aider à diffuser le produit » résume Antoine Fichet. Au grand export, le canal indirect s’impose d’autant plus que la mise en place de stocks au niveau local est nécessaire.
Autrement dit, pour la France et les marchés européens proches, Daan tech mise avant tout sur le DTC grâce à son site Internet, et pour les marchés plus lointains, sur des partenaires. Une parfaite stratégie de « Digital Native Vertical Brand ». Pour cette partie, elle peut d’ailleurs compter sur l’expertise et le savoir-faire d’Antoine Fichet en matière de webmarketing, de référencement, de partenariat et de communication en ligne. A Paris, une équipe de 8 personnes s’occupe du marketing et de la stratégie d’acquisition des clients en ligne.
« La valeur de la marque est quelque chose d’important : on a plus de 40 000 personnes qui nous suivent sur Instagram » se réjouit Antoine Fichet. Pas mal en effet pour un lave-vaisselle. « On est perçu comme une marque cool, avec notre design coloré, notre éco-conception, notre côté Made in France ; et on veut appuyer sur ce levier dans les années à venir » complète-t-il.
Outre l’Europe, Daan tech a l’ambition de déployer ses ventes en Asie, avec des marchés cibles comme la Corée du Sud, le Japon et potentiellement la Chine. « On a une vraie volonté de passer à 80 % du chiffre d’affaires à l’export » souligne Antoine Fichet.
La PME estime avoir toute ses chances compte-tenu des innovations qu’elle apporte, toutes brevetées. Quant au risque de copie, Antoine Fichet est confiant : « il y a déjà des copies qui circulent mais elles ne sont pas au niveau de Bob sur les usages, par exemple concernant le format des couverts et assiettes, et le côté éco-responsable est totalement absent ».
Christine Gilguy