Dans un rapport rendu public le 5 octobre, la Cours des comptes épingle le manque d’efficacité des dispositifs de soutien publics à l’exportation actuels, jugeant que la réforme de la gouvernance lancée en 2018 et ayant mené à la création de la Team France Export (TFE), « n’a pas été menée jusqu’au bout » et que leurs objectifs stratégiques sont peu clairs. Parmi ses recommandations les plus marquantes, elle suggère de réformer la gouvernance de la politique de soutien à l’export et certains de ses acteurs, et propose de rendre gratuite l’offre d’accompagnement aux entreprises jugées « prioritaires ».
Le contexte, c’est un déficit commercial devenu structurel car lié à une « compétitivité insuffisante ». Dans ce contexte, ces soutiens publics à l’export, « dont l’ampleur reste limitée » selon la Cour des comptes, « poursuivent l’objectif d’accompagner les entreprises souhaitant exporter et de leur fournir les outils financiers utiles ».
Mais en neuf points et huit recommandations mis en exergue dans ce rapport de 166 pages*, l’institution de la rue Cambon dresse un bilan très mitigé de l’efficacité de ces outils et pointe, à demi-mot, le manque d’objectifs stratégiques au niveau politique.
Absence de clarification des priorités stratégiques
D’abord la stratégie de soutien au commerce extérieur lancée en 2018 par l’ancien Premier ministre Edouard Philippe est restée inachevée. Rappelons qu’elle visait à redresser le solde commercial en misant sur des mesures améliorant la compétitivité des entreprises et en mettant la priorité sur les TPE/PME et ETI pour augmenter le nombre d’entreprises exportatrices.
A l’époque, il avait été annoncé la fixation de priorités sectorielles avec les principales filières et une priorité géographique, l’Afrique. Un guichet unique des aides, la « Team France Export » (TFE) devait être mis en place pour regrouper l’ensemble des acteurs publics de l’export et ainsi rendre leur offre « plus complémentaire, plus lisible et plus accessible ».
Cinq ans après, pour la Cour des comptes, on est encore loin du compte. « La politique de soutien à l’exportation peine à afficher clairement ses priorités géographiques », en partie « pour des raisons diplomatiques », sauf pour l’Afrique, pointe le rapport. Mais cette priorité « contraste avec la faiblesse des flux réels d’exportation », comparée aux échanges avec l’Europe et au potentiel de l’Asie et de l’Amérique.
Côté priorités sectorielles, même constat : « aucune priorité » fixée depuis 2018, et la Cour constate que « les acteurs demeurent divisés quant aux modalités permettant de déterminer ces priorités », entre ceux qui plaident pour le leadership des filières et ceux qui plaident pour un alignement sur d’autres politiques publiques (industrielle, innovation, plans France 2030, etc.).
Même la priorité donnée aux PME et ETI « primo-exportatrices » et à l’augmentation de leur nombre ne trouve pas grâce aux yeux de la Cour, qui estime que cela ne « permet pas d’agir sur la performance française à l’export, cette dernière impliquant un accompagnement plus ciblé sur les PME et ETI au plus fort potentiel d’internationalisation ». Et de pointer le contraste entre le nombre record d’exportateurs (136 100) et le déficit commercial record (-84,7 milliards d’euros) atteint en 2021.
Team France Export : une réforme inachevée
La création du guichet unique Team France Export (TFE) a elle bien été réalisée, ce qui est salué par la Cour des comptes. Elle « a amélioré la coordination entre les deux principaux acteurs de cette politique publique en France, Business France et les CCI » ainsi qu’avec les acteurs régionaux, les Agence régionales de développement, reconnaît le rapport.
Ce dernier relève également que des progrès ont été accomplis à l’étranger avec une meilleure coordination entre acteurs publics (ambassades, services économiques, business France) et une recherche de complémentarité avec les acteurs privés. Business France s’est notamment retiré de certains marchés et a mis en place des marchés de prestation de service et des concessions de service public confiés à des acteurs privés, notamment les Chambres de commerce et d’industrie françaises à l’international (CCIFI).
Mais cette réforme de la gouvernance « s’est arrêtée au milieu du gué » pointe la Cour des comptes. Il existe encore des problèmes de concurrence entre acteurs publics, la Cour citant les difficultés de coordination entre le ministère de l’Europe et des affaires étrangères -en charge du Commerce extérieur- et le ministère de l’Economie. D’autres, selon la Cour, sont moins impliqués dans la TFE, citant Bpifrance, « qui coordonne peu son action avec les autres acteurs publics ». Quant aux Régions, leur degré d’intégration dans la TFE varie.
Au cœur même de la TFE en France, pointe encore la Cour, les conseillers internationaux relèvent de chaînes hiérarchique et statut différents selon qu’ils sont des personnels des CCI ou de Business France. A cet égard, elle recommande une intégration pure et simple des conseillers relevant des CCI au sein de Business France.
A l’étranger, l’implication des ambassadeurs varie d’un poste à l’autre et les « phénomènes de concurrence avec les CCIFI » subsistent dans les zones où Business France n’a pas conclu de partenariat ou d’accord de concession.
Les huit recommandations de la cour des comptes
1-Charger le Conseil stratégique de l’export de veiller à l’articulation de l’offre de soutien à l’export avec les mesures de soutien à la compétitivité, la politique industrielle et l’évolution des conditions d’exportation ;
2- Transférer les conseillers internationaux gérés par les CCI au sein des effectifs de Business France ;
3-Définir d’ici 2023 les informations relatives aux clients de Bpifrance pouvant, dans le respect de la réglementation applicable, être transmises aux partenaires de la TFE via la plateforme numérique commune One team.
4-Réaliser un bilan complet des concessions de service public et des marchés de prestation de services [ndlr : par business France à l’étranger] avant de procéder, le cas échéant, à de nouveaux appels d’offres ;
5- Conclure des conventions de partenariat avec les principales organisations d’entreprises et fédérations afin qu’elles participent davantage à faire connaître la TFE ;
6- Définir et mettre en œuvre une offre de service gratuite de premier niveau, à destination de toutes les entreprises souhaitant exporter ;
7-Proposer une offre d’accompagnement personnalisée gratuite ou à coût modéré à destination des entreprises jugées prioritaires ;
8- Dans le prochain contrat d’objectifs de Business France, fixer une trajectoire d’évolution de la subvention de l’Etat et du plafond d’emplois cohérente avec la nouvelle offre de services, plus ciblée, de l’opérateur
Source : Cour des comptes, voir à la fin de cet article*
Aller au bout de la logique du guichet unique
Pour remédier à cette situation, la Cour des comptes émet plusieurs recommandations dont certaines sont très concrètes (voir également le résumé ci-dessus).
Côté gouvernance, elle épouse un point de vue assez répandu dans les milieux d’affaires, en faveur d’une réforme du Conseil stratégique de l’export (CSE), pour lui donner « un rôle plus stratégique ». Convoqué périodiquement par le ministre en charge du Commerce extérieur, cette instance où sont représentés tous les acteurs du soutien à l’export, publics et privés, fonctionne plutôt comme un organe formel de dialogue sans but opérationnel.
Au sein de la TFE en France, la Cour recommande une plus forte intégration de Bpifrance qui pourrait notamment partager certaine informations sur le CRM commun One Team.
A l’étranger, elle appelle à la réalisation d’un « bilan de la délégation par Busines France de tout ou partie de son activité dans certains pays au secteur privé » et estime qu’au vu des résultats obtenus depuis 2019 en termes de qualité de service, « il pourrait être envisagé de poursuivre ce mouvement et de concentrer les effectifs de Business France sur certains territoires, jugés plus stratégiques ».
Enfin concernant le site Internet de la TFE, la Cour estime qu’il « manque encore un numéro de téléphone et un formulaire uniques pour simplifier réellement le parcours des entreprises ».
Modestie du résultat
La Cour des comptes s’attaque aussi aux outils financiers de la politique de soutien à l’export. Si les acteurs publics bénéficient d’un financement de l’ordre de 1,1 milliard d’euro, les engagements de l’Etat sous la forme de garanties atteignent, eux, 61 milliards d’euros.
Là encore, c’est la modestie du résultat qui est mis en avant par la Cour : « si l’offre de soutiens financiers en France apparaît complète et très similaire à celle proposée par la plupart de nos principaux concurrents ses effets demeurent modestes : seuls 27 % des entreprises bénéficiaires estiment avoir constaté (…) une facilitation dans leur développement à l’international ». Mais, complète-t-elle, leur but est surtout de permettre à ces entreprises de bénéficier des mêmes facilités financières que leurs concurrentes étrangères.
En revanche, la Cour estime que l’offre de Bpifrance n’est pas encore « bien connue des entreprises » et que des progrès sont à faire dans la simplification des formalités de demande.
Idem pour les dispositifs d’accompagnement proposés par la TFE, du diagnostic export à la prospection en passant par l’étude de marché, des prestations souvent payantes mais qui peuvent bénéficier de subventions publiques (chèque relance, aides des régions). Leur taux d’impact est inférieur à 50 % « ce qui signifie que moins d’une entreprise sur deux a connu, à la suite de ces prestations, de nouveaux courants d’affaires ».
Mais la Cour s’étonne surtout de la méconnaissance par les entreprises qu’elle a interrogées de cette offre d’accompagnement. Elle estime nécessaire d’accroître « la notoriété de l’offre publique à l’export » et évoque, comme solution utile, des conventions de partenariat entre la TFE et les organisations et fédérations représentatives des entreprises.
A propos de Business France, la Cour pointe la fragilisation du modèle. « L’opérateur, signataire avec l’Etat d’un contrat d’objectifs et de moyens (COM) couvrant la période 2018-2022, se voit assigner des objectifs en termes de résultat net, l’incitant à maximiser ses recette commerciales » résume-t-elle. « Or, les prestations qu’il propose ne permettent pas de dégager des profits, à l’exception du VIE, sur lequel repose l’essentiel de l’équilibre financier de Business France. »
D’où une tendance à « vendre le plus de prestations possibles, sans nécessairement orienter son accompagnement sur les entreprises les mieux armées pour s’internationaliser », ni privilégier un accompagnement dans la durée.
Un accompagnement gratuit pour des entreprises prioritaires
Sur ce point, la Cour propose de reconfigurer l’offre d’accompagnement à l’export de la TFE et de faire évoluer le modèle de Business France pour redonner du corps à sa mission de service public.
Elle propose de créer de deux niveaux d’offre aux entreprises :
-une offre de premier niveau gratuite accessible à toutes les entreprises (en particulier PME et ETI) ; un accompagnement plus personnalisé, gratuit où à coût très modéré, pourrait toutefois être proposé à des entreprises prioritaires. Celles-ci « pourraient être sélectionnées, en lien avec les filières économiques, parmi les 8000 PME et ETI de croissance et au sein de secteurs stratégiques ». L’objectif pourrait être, selon la Cour, de 1000 par an.
-une offre payante pour les entreprises non prioritaires, où une orientation vers les acteurs privés.
Dans ce cadre, le modèle de Business France « reposerait moins sur des recettes commerciales et davantage, comme nombre de ses homologues à l’étranger, sur des ressources publiques ». Et les conseillers internationaux verraient leur activité recentrée sur l’accompagnement.
Alors que la politique de Commerce extérieur se cherche un second souffle après la parenthèse du Covid et du plan de relance, et que son nouveau ministre, Olivier Becht, commence tout juste à prendre ses marques, ce rapport tombe à point nommé pour alimenter la réflexion.
Christine Gilguy
*Les dispositifs de soutien à l’exportations – Une efficacité à renforcer, un modèle à repenser– Rapport public thématique- Cour des comptes- Octobre 2022. L’intégralité du rapport est accessible en ligne : cliquez ICI