Créée en 1981, ESII, PME montpelliéraine de solutions de gestion de file d’attente, s’est lancée dans l’aventure canadienne en 2015, avec le recrutement d’un responsable des ventes sur place, pour accélérer à l’international. Aujourd’hui, la filiale emploie 3 personnes. L’export représente désormais 30 % du chiffre d’affaires global de l’entreprise (2021). Laurent Ventura, directeur-général adjoint et directeur marketing international d’Esii, nous en dit plus sur cette stratégie.
Le Moci. Pourquoi avoir créer une filiale au Canada pour faire de l’export ?
Laurent Ventura. C’est souvent compliqué pour une PME de faire de l’export. Il faut se donner du temps. Avant 2020, il y a eu des hauts et des bas. Il a fallu être patient pour se faire connaître. La stratégie de l’entreprise est de commencer à travailler avec un distributeur. Au Canada, on a travaillé avec deux distributeurs, l’un au Québec, l’autre à Ontario. On ne travaille plus avec ce dernier, d’ailleurs.
Nous avons décidé de créer la filiale une fois le volume de marché suffisant, avec une personne sur place : un responsable des ventes. Ce dernier anime le réseau des distributeurs, commence à faire connaître la marque et répond aux appels d’offre.
« Nos prévisions sont de doubler cette part d’ici cinq ans »
Le Moci. Que représente l’export aujourd’hui ? Quelles sont vos prévisions à plus ou moins long terme ?
Laurent Ventura. En 2021, l’export représente 30 % du chiffre d’affaires global de l’entreprise. Nos prévisions sont de doubler cette part d’ici cinq ans. Le Canada représente 16 % du marché mais devrait passer à 20 % l’année prochaine.
Le Moci. Quels sont vos clients au Canada ?
Laurent Ventura. Nous avons gagné un appel d’offres avec le CHU de Montréal, pour un montant d’environ 150 000 dollars. C’est assez faible mais c’était une première étape. Nous avons équipé d’écrans les différents services de l’hôpital. Puis, c’est au tour des Caisses Desjardins, basée à Montréal également. On équipe la moitié du réseau bancaire via notre distributeur avec des solutions de gestion de file d’attente.
Le Moci : Quelle est la durée de ce dernier contrat ?
Laurent Ventura. Ils achètent une solution de gestion de file d’attente avec une borne. C’est couplé à un contrat de maintenance de trois ans, qui peut être prolongé. C’est notre distributeur qui est en charge de la maintenance car nous n’avons pas les équipes techniques sur place. Le bon compromis pour nous est de travailler avec un distributeur et notre filiale.
Puis nous avons gagné plusieurs mairies. En premier, en 2020, on a gagné Edmonton, située au centre du Canada, à environ 4 000 km de Montréal. C’est une ville anglophone d’environ 1 million d’habitants. On les a équipés de bornes avec des solutions de gestion d’accueil.
Quasi en même temps, la ville de Montréal nous a fait confiance. Les Montréalais peuvent prendre rendez-vous en ligne via notre solution sur le site internet de la ville. On est en train de les accueillir également avec des solutions physiques pour les 19 annexes de la mairie. On vient tout juste de finir de déployer toutes ces solutions en 2022. Ça a été un tremplin.
Puis on a gagné le service Ontario, dépendant du ministère des Services au public et aux entreprises au Canada, en charge notamment des permis de conduire. C’est l’équivalent des préfectures en France. C’était un gros marché pour nous, avec une enveloppe d’environ trois millions de dollars. On est en train d’installer les premiers sites avec nos solutions. Il y a eu du retard en raison du Covid, avec des problèmes de logistique.
« Une façon de penser nord-américaine, très pragmatique »
Le Moci. Quelles sont les spécificités du Canada ?
Laurent Ventura. Même si les québécois parlent français, la mentalité n’est pas la même. C’est plus une façon de penser nord-américaine, très pragmatique. C’est souvent plus facile pour une PME de démarrer parce qu’ils vous laissent une chance, même si vous n’avez pas de grosses références. Avec un bon contact commercial et des références ailleurs, alors il est possible de travailler ensemble. Ils sont très à l’écoute du ROI (retour sur investissement) dans tous les secteurs d’activité, y compris dans les administrations. Ils veulent tout de suite savoir les apports, les bénéfices de vos solutions et les économies qu’ils pourront faire grâce à cela.
Le Moci. Comment mesure-t-on le ROI pour un service administratif ?
Laurent Ventura. Par exemple, pour le service Ontario, s’il y a un pic de fréquentation, le responsable reçoit une alerte sur son smartphone ou son ordinateur. Il pourra mettre en face le nombre d’agents nécessaires et faire face sereinement à l’afflux de visiteurs. A l’inverse, s’il n’y a personne, il pourra déplacer des collaborateurs vers d’autres services.
Le ROI permet également de mesurer la qualité de l’accueil. C’est assez international sur ce point dans les administrations, il y a pas mal d’attente. Il est important d’avoir une attente sereine, que ce soit pour le citoyen ou l’agent d’accueil. Nos systèmes permettent de gérer tout cela et de fluidifier au mieux le flux avec des créneaux, des temps d’attente respectés, le nombre de personnes qu’il faut. C’est de l’optimisation des flux.
Le Moci. Comment avez-vous réussi à gagner le 1er contrat avec Edmonton ?
Laurent Ventura. Ce n’est pas évident car c’est une ville un peu perdue au milieu de nulle part. Il faut savoir être mobile. Nous avons gagné ce contrat juste avant le Covid. Ensuite, le commercial a fait pas mal de visio ; les Canadiens ont plus l’habitude de ne pas voir le commercial en physique.
« La filiale respecte notre stratégie commerciale »
Le Moci. Quels sont les avantages d’un distributeur par rapport à une filiale ?
Laurent Ventura. La filiale respecte notre stratégie commerciale. Un distributeur, c’est un indépendant et fait ce qu’il veut. Si vous lui dites d’aller sur tel marché, s’il n’a pas d’appétence pour ce marché, alors, il ne va pas y aller. Notre responsable commercial au Canada a la même stratégie que nous, en Europe. On a quatre marchés ciblés : la santé, le retail, l’administration et la finance.
Le Moci. Comment trouver des clients sur chaque secteur ?
Laurent Ventura. Sur la partie publique et la santé, notre priorité est de répondre aux appels d’offre. On se focalise dessus car on a une équipe dédiée associé au responsable des ventes. Nos chefs de projets, doivent monter une équipe pluridisciplinaire et suivent les commerciaux pour préparer ces appels d’offre.
On cible également les petites mairies qui ne sont pas équipées. Le commercial les a choisi géographiquement. Les plus proches de Montréal puis il s’éloigne de plus en plus. Le bouche à oreille marche bien également. Quand vous avez de bons services, même avec une petite entreprise, les gens ont confiance. Nous avons signé cette année avec la mairie de Sherbrooke, à une centaine de km de Montréal, grâce à la responsable d’accueil qui était dans une mairie que l’on avait déjà équipée.
Pour le retail, le commercial fait un travail de chasse, c’est-à-dire du porte à porte. Nos solutions de file unique sont vraiment adaptées pour ce marché. Notre priorité, ce sont les chaînes de magasins. Nous avons décroché un contrat avec une chaîne pas très connue ici qui possède 5 magasins.
Le Moci. Comment avez-vous réussi à vous diversifier sur ces quatre domaines ?
Laurent Ventura. Nos solutions sont très généralistes mais notre communication est très verticale, très métier. On adapte notre discours et aux besoins du clients. Dans la santé, par exemple, on parle de parcours patient ; dans le retail, on parlera plutôt de parcours client.
Nous avons également fait un mini-site internet dédié au marché canadien, en plus de notre site corporate pour le monde entier. Toujours dans un but de mieux s’intégrer, de faire du local.
« Un VIE pour prospecter les États-Unis »
Le Moci. Avez-vous embauché une personne pour épauler le responsable commercial avec tous ces contrats gagnés ?
Laurent Ventura. Oui, le contrat avec le service Ontario nous a permis d’embaucher un technicien sur place également. Il est chargé d’installer les bornes et logiciels. Nous avons également fait appel à un VIE (volontaire international) depuis septembre 2021. Ce dernier aura la charge de prospecter aux États-Unis.
Le Moci : Les États-Unis, votre nouvelle cible ?
Laurent Ventura. Notre stratégie est que le Canada nous serve de tête de pont pour le marché américain. C’est un très gros marché avec pas mal de concurrents.
En janvier 2022, nous avons fait le salon NRF (Ndlr : National Retail Federation est un événement pour les fournisseurs de solutions technologiques et services pour la grande distribution et les marques) à New York, avec Business France. La fréquentation n’était pas au rendez-vous à cause du Covid. Malgré tout, on a eu quelques contacts. On avait fait le CES de Las Vegas, avant le Covid. En 2015, on avait embauché un commercial Américain pour pénétrer ce marché. Il était basé à Montpellier. Il a eu des soucis personnels. Ce n’était donc pas la bonne période pour investir là-bas. On a arrêté mais on avait déjà fait une première étude de marché.
Le Moci. Cela faisait donc déjà partie de votre stratégie. Est-ce le bon moment, au regard du contexte actuel ?
Laurent Ventura. Comme la filiale canadienne marche bien, c’est le bon moment pour aller aux États-Unis, et trouver un distributeur. On cherche plutôt sur la côte Est, donc Boston, New York, Washington. On va même descendre plus bas car on a gagné un contrat en janvier avec une première mairie située en Floride. On équipe également une vingtaine de boutiques Nespresso avec différents types de solutions, un peu partout dans le monde. Et depuis cette année, on a ouvert trois premières boutiques sur le sol américain. On espère que cela va avoir de l’impact sur ce marché. La santé et le retail seront d’abord nos priorités.
Le Moci. D’autres pays en ligne de mire ?
Laurent Ventura. On va reprendre le Mexique. On avait équipé les pharmacies San Pablo avec nos logiciels de file d’attente mais avec le Covid, on avait arrêté de prospecter cette zone. Nos distributeurs, qui sont des PME, ont assez souffert ces deux dernières années. On va également étendre à toute l’Amérique Latine. On est toujours en contrat avec Idemia, entreprise spécialisée dans la reconnaissance faciale. C’est un grand groupe qui nous emmène avec eux sur de gros contrats. C’est également un très bon moyen pour une PME de percer un marché.
Propos recueillis
par Claire Pham