Au terme de négociations marathon, les 164 États membres de l’OMC sont parvenus, dans la nuit du 16 au 17 juin, à se mettre d’accord sur une série de mesures qualifiés de « sans précédent » par sa directrice générale Ngozi Okonjo-Iweala. Revue de détail.
Le pari était loin d’être gagné. Alors que, mercredi 15 juin, le ministre français du Commerce extérieur Franck Riester déclarait lors d’un point presse que « sur un certain nombre de sujets, nous ne sommes pas optimistes, même si nous sommes déterminés », les ministres du Commerce des États membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont finalement adopté à l’unanimité (et après une prolongation de 36 heures) une série d’accords qui remettent le multilatéralisme sur le devant de la scène du commerce international.
Cette 12e conférence ministérielle (CM 12) à Genève, qui devait initialement se tenir en juin 2020 au Kazakhstan et a été repoussée deux fois en raison de la pandémie de Covid-19, a abouti à une série de mesures concrètes qui devraient permettre à 164 pays de relever des défis aussi brûlants que la sécurité alimentaire ou la propriété intellectuelle des vaccins contre la Covid-19.
Le serpent de mer de la surpêche
Lancées il y a plus de 20 ans, les négociations sur la pêche, sujet phare de cette conférence, ont donné lieu à un accord, certes en-deçà des ambitions de l’OMC, mais ayant finalement eu raison des résistances de l’Inde qui demandait à être dispensée de cet accord pendant 25 ans.
Faute de consensus sur une solution globale, les subventions à la pêche seront interdites pour seulement certaines espèces. Les États qui mettront en place des mesures de préservation des stocks pourront néanmoins les maintenir. Les pays en développement bénéficient d’un délai supplémentaire de deux ans pour mettre en application cet accord a minima. « C’est le premier accord de l’OMC dont l’objectif premier est la préservation de l’environnement », souligne un communiqué de Franck Riester.
Pas de restrictions aux exportations de nourriture
Face au risque de famine après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ces deux pays réalisant 30 % des exportations mondiales de blé, les 164 ministres se sont entendus pour « ne pas imposer de prohibitions ou de restrictions à l’exportation » sur ce produit. Les éventuels gels des exportations devront être « temporaires, ciblées et transparentes ».
Les achats de produits alimentaires destinés au Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU ne pourront pas faire l’objet de restrictions à l’exportation. Cette décision vient renforcer le programme FARM (Food & Agriculture Resilience Mission), une initiative mise en place par l’Union européenne pour contenir les conséquences de la guerre en Ukraine sur les approvisionnements en denrées alimentaires.
Levée temporaire des brevets sur les vaccins contre la Covid-19
Cet accord, qui a donné lieu à d’âpres négociations, était réclamé par les pays en voie de développement depuis deux ans afin d’étendre leur couverture vaccinale (qui n’est que de 16 % sur le continent africain).
Les brevets sur les vaccins contre la Covid-19 sont levés pendant cinq ans pour ces pays. Les pays membres ont six mois pour décider d’étendre ou non cet accord aux outils de diagnostic et aux traitements anti-Covid.
Par ailleurs, les pays s’engagent à « faire preuve de modération dans l’imposition de restrictions à l’exportation » de vaccins, traitements, outils de diagnostic et autres produits médicaux essentiels liés à lutter contre la Covid-19.
Cet accord risque de provoquer le mécontentement de l’industrie pharmaceutique, réticente à toute idée de lever les brevets, perçue comme atteinte aux droits de propriété intellectuelle et comme néfaste pour les investissements dans la R&D.
Prolongation du moratoire sur l’e-commerce
Les droits de douane sur les transactions électroniques devront attendre. Les ministres de la CM12 ont en effet estimé que leur introduction aurait pu entraîner une hausse de prix à la consommation.
Rappelons qu’en 1998, la deuxième conférence ministérielle de l’OMC avait donné lieu à une déclaration sur le commerce électronique mondial qui exhortait le Conseil général de l’OMC à établir un programme de travail pour examiner toutes les questions liées à l’e-commerce. Depuis, les taxes sur l’e-commerce faisaient l’objet d’un moratoire que les 164 ministres du Commerce viennent de prolonger jusqu’à la prochaine conférence ministérielle. Il expirera au 31 mars 2024 si la CM13 est reportée au-delà.
L’Organe de règlement des différends (ORD) devra attendre
Bloqué depuis 2016 en raison de l’opposition des États-Unis à la nomination de nouveaux juges, l’ORD cristallise la crise du fonctionnement de l’OMC.
Si aucune décision n’a été prise pour remettre en route cet organe d’appel du gendarme du commerce mondial, un texte appelle néanmoins à le rendre pleinement opérationnel d’ici à 2024. « Tous les pays, y compris les États-Unis veulent avancer mais sous quelle égide et selon quelle méthode, cela reste à déterminer, rapportait Franck Riester dans son point presse du 15 juin. Nous avons déjà un accord politique sur ce sujet et c’est déjà beaucoup ! »
Sophie Creusillet
Les textes définitifs de ces accords n’ont pas encore été publiés sur le site de l’OMC. Vous pouvez retrouver les documents préparatoires en cliquant ici.