Dès mars 2022, le déficit commercial de la France a atteint les 100 milliards d’euros (Md EUR), soit plus de 3,7 % du PIB, et ça ne s’est pas amélioré en avril. Si des facteurs conjoncturels pèsent sur cette évolution (hausse des prix de l’énergie, notamment), le Cepii (Centre d’études prospectives et d’informations internationales) pointe la détérioration structurelle du solde commercial français depuis deux décennies. Dans une note intitulée « Les multinationales françaises, fer de lance du commerce extérieur français, mais aussi de sa dégradation »*, publiée début juin, les auteurs, Pierre Cotterlaz, Sébastien Jean et Vincent Vicard, invoquent notamment les stratégies d’internationalisation des grands groupes tricolores.
Hors facteurs conjoncturels, cette « détérioration » extrême du solde commercial est « difficile à comprendre », selon les auteurs de la note. Dans les années 2000, elle a pu s’expliquer certes par une « hausse rapide des coûts unitaires du travail par rapport à l’Allemagne », entraînant une mauvaise performance de l’exportation française. Mais, depuis 2012, cet écart avec l’Allemagne a été « complètement résorbé », sans que cela améliore la balance commerciale des biens.
L’Hexagone connaît même aujourd’hui une « position atypique » au sein de la zone euro de part la stratégie d’internationalisation de ses grands groupes.
Un modèle d’internationalisation pointé du doigt
Les experts du Cepii soulignent ainsi l’importance de leurs investissements à l’étranger : les multinationales françaises comptent aujourd’hui plus de 6 millions de salariés hors de l’Hexagone, soit un chiffre largement supérieur aux entreprises allemandes, italiennes ou espagnoles.
Résultat : en 2019, les revenus perçus par les résidents français sur leurs investissements à l’étrangers s’établissaient à 88 Md EUR ; au niveau de la balance des paiements, ce solde tombe à 54 Md EUR (2 % du PIB), si l’on enlève les revenus touchés par des étrangers sur leurs investissements en France. Avec l’excédent des services, ces IDE des multinationales françaises contribuent donc à compenser le déficit des échanges de biens. Du moins jusqu’à un certain point.
Pour les chercheurs du Cepii, l’internationalisation des multinationales n’est pas forcément néfaste pour le commerce extérieur d’un pays. Tout dépend du modèle.
« Si les investissements directs à l’étranger permettent de fabriquer plus efficacement certains intrants utilisés ensuite dans la production national, ils peuvent améliorer les performances à l’exportation des multinationales. C’est également le cas s’ils servent à développer une nouvelle activité de ventes sur les marchés étrangers » expliquent ils.
En revanche, « si cette activité à l’étranger des multinationales correspond à une délocalisation de production de biens finaux auparavant réalisée en France, cela pèse sur les exportations et peut gonfler les importations à destination des consommateurs français ».
Or, au vu de la contribution des multinationales françaises à la dégradation du déficit commercial, les auteurs penchent pour une dominante du second modèle dans le cas français.
D’une contribution positive à une contribution négative
En 2018, globalement, les grands groupes français réalisaient 46 % des exportations et 31 % des importations de produits manufacturés, soit une contribution plutôt positive au commerce extérieur. Des résultats opposés aux entreprises exclusivement nationales ou celles étrangères, qui affichaient un solde commercial global négatif, à l’instar, par exemple, des constructeurs automobiles étrangers (en particulier allemandes), gros importateurs mais très petits producteurs sur le sol national.
Pour autant, le bilan est plus négatif si l’on s’intéressent aux filières. Ainsi, pour démontrer que la dégradation structurelle du solde commercial français est fortement liée aux activités des multinationales françaises à l’étranger, les auteurs du Cepii expliquent qu’il faut faire une « comparaison entre produits plutôt qu’entre entreprises ». Et voir comment ont évolué les soldes commerciaux pour certaines filières.
Que constatent ils ?
- La France perd en moyenne plus de part de marché à l’exportation pour les produits à forte présence initiale des multinationales françaises (2,7 points de pourcentage contre 1,6).
- L’importation des produits à forte présence initiale des multinationales françaises recule moins (1,2 p.p. contre 1,6p.p.).
La note du Cepii ajoute que la performance commerciale de la France est « mauvaise » en fonction des produits où la présence initiale des multinationales étrangères est faible, « avec des parts de marché à l’exportation qui se dégradent davantage, et des parts de marché à l’importation qui baissent moins ».
Ainsi, un déficit commercial qui se creuse, couplé à une balance des paiements quasi à l’équilibre démontre « une spécialisation qui fait la part belle aux services et aux investissements à l’étranger », au détriment d’une industrialisation sur le sol français.
Les experts du Cepii appellent donc à une réindustrialisation de la France, à commencer par ses multinationales. « Les pertes de part de marché couplées à la hausse plus rapide des importations des multinationales françaises sont cohérentes avec un modèle d’internationalisation s’appuyant au moins en partie sur la délocalisation de certains pans de production, pour servir les consommateurs étrangers comme nationaux », constatent-ils. Et de conclure : « le défi de la réindustrialisation de la france ne relève donc pas tant d’un rééquilibrage macroéconomique du solde courant que d’une réorientation des choix d’internationalisation de ses entreprises. A commencer par ses multinationales. »
C.P.
Pour accéder à la note du Cepii sur son site, cliquez ici