L’accord de libre-échange signé en décembre 2021 par le Royaume-Uni et l’Union européenne ouvre de belles perspectives aux entreprises françaises. Pourtant, elles tardent à en saisir toutes les opportunités. Un effet durable du Brexit ou une simple période de transition, alimenté par une mauvaise conjoncture économique outre-Manche ? La réponse n’est pas simple, des pistes ont été fournies lors d’une table ronde de la journée annuelle Accès au marché le 4 avril, consacrée aux perspectives post Brexit du marché britannique.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les exportations françaises de biens vers le Royaume-Uni sont en recul, elles sont passées de 34 à 28 milliards d’euros entre 2019 et 2021. Certes il y a eu un phénomène de stockage d’anticipation de la part des Britanniques en 2019 et 2020, et l’effet de la crise sanitaire. Mais le solde commercial, traditionnellement excédentaire, s’érode : il a atteint + 7,6 milliards d’euros en 2021, mais était à + 12,6 milliards d’euros en 2019.
Zéro droit de douane sur 87 % des produits échangés
Pourtant, le Royaume-Uni et l’Union européenne ont signé un accord de libre-échange et de coopération de grande ampleur en décembre 2020.
D’après Lionel Mesnildrey, ministre Conseiller à la Délégation de l’UE au Royaume-Uni, c’est même un des « accords les plus aboutis », créant « une zone de libre-échange sans précédent » tout en intégrant des exigences normatives élevées dans les domaines de l’environnement, des conditions de travail, des aides d’Etat. Plus ambitieux que les autres accords commerciaux sur le plan douanier, « il a éliminé pratiquement tous les tarifs », a-t-il rappelé. De fait, 87 % des produits échangés entre les deux blocs sont exemptés de droits de douane.
Assiste-t-on a une désaffection des entreprises françaises pour un marché britannique qui reste le cinquième partenaire commercial de la France, à l’export comme à l’import ?
Une chose est sûre, si l’accord commercial maintient une très grande ouverture pour les échanges de biens entre les deux blocs, le rétablissement des formalités douanières aux frontières a désorienté nombre d’opérateurs qui n’y étaient pas préparés, d’autant plus que l’administration britannique a brillé par ses retards.
Le « Big Bang » des formalités douanières
Selon Jean-Michel Thillier, pour les services douaniers français, le Brexit a été un vrai « Big Bang » dès la première année : délivrance de titres de transit en hausse de 60 %, déclarations d’importation en hausse de 30 %, nombre de déclarations douanières multiplié par 6.
Les achats anticipés, côté britannique, ont permis toutefois d’éviter les embouteillages monstres au moment de l’entrée en vigueur du Brexit, le 1er janvier 2021 : « le trafic est à la normal, avec 3,6 millions de camions à l’année ». Et la mise en place du nouveau système douanier électronique côté français a été un succès : « la frontière intelligente a bien fonctionné » a souligné Jean-Michel Thillier.
En revanche, côté britannique, le manque de préparation a causé bien des soucis aux opérateurs. « La mise en œuvre n’a pas été équilibrée », a estimé Jean-Michel Thillier. Les Britanniques ont été en retard pour mettre en place leur dispositifs de traitement des déclarations et de contrôles douaniers.
Témoin, les reports successifs des nouveaux contrôles douaniers sur les marchandises en provenance de l’UE. Les contrôles sanitaires et phytosanitaires, aujourd’hui attendues pour juillet 2022. Et la rumeur d’un nouveau report circule. Même le nouveau marquage obligatoire britannique UKCA, qui succède à l’ancien marquage CE, a été reporté deux fois : son entrée en vigueur est à présent prévu pour le 1er janvier 2023.
« Il existe encore des entreprises qui payent des droits de douanes »
Au-delà de ces « couacs » administratifs, le manque d’expérience et de savoir-faire en matière de formalités douanières a été un frein pour de nombreuses PME des deux côtés de la Manche. « 30 000 entreprises françaises exportent au Royaume-Uni, mais trois quarts seulement avaient déjà exporté hors de l’UE », a expliqué Frédérique Lefèvre, directrice général adjointe du bureau de Business France à Londres. Pour le quart restant, l’apprentissage des formalités douanières et réglementaires a pu avoir un effet rédhibitoire ou prendre du temps.
De fait, le taux d’utilisation des préférences commerciales contenues dans l’accord de libre-échange conclu en décembre 2021 entre l’UE et le Royaume-Uni stagne à 76 %. « Il existe encore des entreprises qui payent des droits de douanes alors qu’elles pourraient en être exemptées » a observé Frédérique Lefèvre. Si les entreprises présentes depuis longtemps sur le marché britannique étaient bien préparées à ce choc réglementaire, celles qui opéraient via des acteurs locaux ont parfois eu de mauvaises surprises, ceux-ci étant parfois inexpérimentés en matière de commerce international.
Concernant les Incoterms, les EXW (dans lequel l’acheteur s’occupe de tout, y compris des formalités) ou DDP (dans lequel c’est le vendeur qui s’occupe de tout) qui étaient fréquemment utilisés avant le Brexit doivent être urgemment abandonnés au profit d’Incoterms plus adaptés au commerce avec un pays tiers, non membre de l’Union douanière, comme on a eu l’occasion de le souligner dans nos colonnes (cliquez ICI). Mais les habitudes ont parfois la vie dure.
Phase transitoire ?
Hausse des frais administratifs, nécessité de se réorganiser, absence de compétence en matière douanière ou de fiscalité, mauvaise maîtrise des Incoterms, nouvelles règles de marquage des produits britanniques, retards britanniques dans la mise en œuvre de leur nouveau système de déclaration douanier…
A l’instar de Mark & Spencer, même de grands acteurs ont préféré jeter l’éponge. « Sur un an, un quart des colis en BtoC revient à l’expéditeur » a encore souligné Frédérique Lefèvre. Dans l’agroalimentaire, notamment, le rôle des importateurs sur le marché britannique est devenu clé pour assurer le bon fonctionnement des opérations.
Reste que cela n’est peut-être qu’une phase transitoire, le temps que les opérateurs des deux côtés se rodent aux nouvelles règles du commerce et s’emparent de toutes les possibilités offertes par l’accord commercial UE / Royaume-Uni. « Les entreprises ont commencé à faire jouer l’origine préférentielle », a notamment observé Jean-Michel Thilier.
Alors que côté britannique, le cadre réglementaire n’est pas encore stabilisé, ce dernier conseille aux entreprises exportatrices de « sécuriser les contrats » avec, notamment, un soin particulier à apporter au choix de l’Incoterm et à la clause d’origine du produit. Les cellules de conseil aux entreprises de la Douane peuvent être de bon conseil dans ce domaine, y compris les aspects préférences commerciales.
Pour les entreprises françaises qui ont cessé d’exporter vers le Royaume-Uni, il n’est que temps de s’y mettre.
Christine Gilguy