Parmi les nombreuses évaluations de l’impact de la guerre en Ukraine sur le commerce international et les risques pays, l’ « Unctad Rapid Assesment »* publié le 16 mars est particulièrement intéressante pour les exportateurs, car elle livre l’essentiel, avec d’utiles infographies, sur trois points particulièrement sensibles pour les marchés émergents et en développement : les produits de base (énergie et alimentation), les transports et les investissements. En voici l’essentiel.
Fait déjà connu, la Russie et l’Ukraine sont deux acteurs clés des échanges mondiaux dans les secteurs des hydrocarbures et des produits alimentaires, ce qui explique le regain de flambée des cours depuis le début de l’invasion, le 24 février.
La Fédération de Russie est notamment le deuxième exportateur mondial de pétrole (5 millions b/j) et un fournisseur important de divers produits chimiques (dont les fertilisants), métaux et bois.
Et dans les produits agricoles, ils représentent à eux deux 53 % des exportations mondiales d’huile et graines de tournesol (36 % pour l’Ukraine, 17 % pour la Russie), 27 % pour le blé (18 % Russie, 9 % Ukraine), 23 % pour l’orge (12 % Russie, 11 % Ukraine), 16 % pour les graines de colza (6 % Russie, 10 % Ukraine), 14 % pour le maïs (1 % Russie, 13 % Ukraine).
La réduction ou l’arrêt de leur fourniture et la flambée des prix sont donc un risque majeur pour les pays qui en sont fortement dépendants à l’importation, accroissant les risques d’émeutes et d’instabilité politique.
Produits alimentaires :
risques d’émeutes et d’instabilité politique
C’est de loin la problématique la plus épineuse. D’après les calculs de la Cnuced, de nombreux pays en développement ou émergents sont exposés à des ruptures d’approvisionnement ainsi qu’à la flambée des prix par leur dépendance aux importations en provenance de Russie ou d’Ukraine pour une liste de produits comprenant le blé, le maïs, l’orge, le colza, l’huile et les graines de tournesol.
Parmi les pays les plus exposés sur cette liste de produits, et de loin, la Turquie, la Chine, l’Egypte et l’Inde.
Le top 4 des pays dépendants
–Turquie : 25,9 % de ses importations pour ces produits proviennent de Russie (22 %) et d’Ukraine (3 %).
–Chine : 23 % de ses importations, dont 5,6 % de Russie et 17,4 % pour l’Ukraine.
–Egypte : 22,6 % de ses importations, dont 15,1 % de Russie, et 7,5 % d’Ukraine.
– Inde : 14 % de ses importations, dont 3,2 % de Russie et 9,8 % d’Ukraine.
La Cnuced donne le détail pour 15 autres pays dans une infographie* mais leur dépendance est relativement moindre. Le 5ème pays le plus exposé est ainsi les Pays-Bas (8,9 % de ses importations proviennent d’Ukraine). Cependant, selon les calculs de la Cnuced, en moyenne, plus de 5 % du panier importé par les pays les plus pauvre est constitué de produits susceptibles de connaître de fortes hausses des prix contre moins de 1 % pour les pays les plus riches.
Le blé est à cet égard un cas d’école. Avec l’Afrique comme zone la plus exposée aux flambées de prix. Ainsi, sur la période 2018-2020, l’Afrique a importé près de 3,7 milliards de dollars (Md USD) de blé de Russie et 1,4 Md USD d’Ukraine, respectivement 32 % et 12 % de la valeur de ses importations de ce produit.
Mais 25 pays africains, dont de nombreux pays parmi les plus pauvres, dépendent à plus d’un tiers de la Russie et de l’Ukraine pour leurs importations de blé. Citons par exemple le Bénin, l’Egypte encore, le Soudan, la RDC, le Sénégal, la Tanzanie, le Rwanda, Madagascar, le Congo, le Burkina Faso, la Tunisie, le Togo*….
Or, pointe la Cnuced, « s’il est difficile de prédire les effets à long terme de la hausse des prix des produits alimentaires », l’analyse des données passées montrent qu’en général « l’instabilité politique et l’augmentation des prix des produits alimentaires de base sont fortement corrélés ». Et de citer, entre autres, le déclenchement des « printemps arabes » au début de la décennie 2010.
L’impact sur les transports :
nouvelles tensions sur les capacités et les prix du fret
La Cnuced note à juste titre que les sanctions internationales qui frappent la Russie ne touchent pas les produits de première nécessité. Mais encore faut-il pouvoir transporter les produits à bon port.
Or, les mesures restrictives frappant le secteur aérien ainsi que l’incertitude et l’insécurité régnant dans toute la zone touchée par le conflit « compliquent l’ensembles des routes commerciales traversant la Fédération de Russie et l’Ukraine », deux pays clés sur l’axe eurasiatique, pointe la Cnuced.
Les routes aériennes de la Russie sont coupées avec 36 pays dans les deux sens. Les routes terrestres sont également fortement perturbées : 1,5 million de conteneurs empruntait la route ferroviaire sur l’axe Chine-Europe, aujourd’hui à l’arrêt. Cela représenterait 5 à 8 % d’augmentation de trafic s’ils devaient être reportés sur le maritime. Mais ce dernier, encore engorgé, pourra difficilement compenser la disparition de ces routes commerciales aériennes et terrestres.
Si la Cnuced relève que la guerre n’a pas eu jusqu’à présent d’impact à la hausse sur les taux de fret à l’échelle mondiale, ceux-ci étant plutôt en phase de légère baisse, ce n’est pas le cas pour le marché des tankers de petite capacité en Mer noire et en Mer baltique, qui ont affiché des hausses de 400 % de leur taux de fret fin février.
Une nouvelle hausse des taux de fret aurait un impact non négligeable sur les prix des approvisionnements, notamment pour les pays les plus vulnérables. D’après les simulations de la Cnuced, la hausse des taux de fret durant la pandémie a généré 1,5 point d’augmentation des prix pour les consommateurs à l’échelle mondiale, et bien plus cher pour les pays les plus vulnérables (2,2 points pour les pays les plus pauvres).
Finance, investissement et transition énergétique
Ce que craint par-dessus tout la Cnuced en matière d’investissement, c’est le déclenchement d’un cercle vicieux marqué par la fuite des capitaux des pays émergents et en développement vers des cieux plus cléments, entraînant, pour les pays les plus fragiles, une spirale de dévaluation monétaire et d’augmentation du poids de la dette.
Ce scénario est d’autant plus plausible que face au regain d’inflation généralisée, les banques centrales des pays développés ont amorcé l’augmentation de leur taux d’intérêt, créant des appels d’air pour les investisseurs.
Autre effet pervers à craindre : le regain d’investissement dans les énergies fossiles dont les prix flambent, au détriment des énergies renouvelables.
Au total, la guerre en Ukraine a sérieusement douché les espoirs d’une reprise post-Covid qui s’annonçait sous de bons hospices pour le commerce mondial. La Cnuced a d’ailleurs révisé à la baisse sa prévision de croissance du PIB mondial pour 2022 (à 2,6% contre 3,6% en novembre 2021), comme la plupart des prévisionnistes. Pour les exportateurs une vigilance accrue est requise dans les marchés particulièrement exposés aux augmentations des prix des denrées alimentaires et de l’énergie.
C.G
*La note de la Cnuced intitulée « The impact on trade and development of the war in Ukraine »-Unctad Rapide Assessment, 16 mars 2022, est téléchargeable ci-après.