Un mois après le début de la présidence française de l’Union européenne (PFUE), Franck Riester a réuni le 28 janvier dirigeants et experts pour une conférence sur la contribution du commerce international comme levier du développement durable. Une occasion de promouvoir les nouveaux instruments dont l’UE entend se doter pour lutter contre la déforestation, les fuites de carbone ou encore les mesures coercitives.
Comment faire du commerce international non pas une entrave mais un levier au service des ambitions européennes en matière d’environnement et d’équité sociale ?
Un an après la nouvelle stratégie de politique commerciale de l’UE et deux après le Pacte vert européen, le ministre en charge du Commerce extérieur Franck Riester a répondu dans l’introduction de cette conférence en citant Winston Churchill : « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne vous prenne à la gorge ».
L’UE se focalise sur les « instruments autonomes »
Et pour ce faire, doter l’Union européenne (UE) d’instruments autonomes lui permettant de « prendre par la main » ses partenaires commerciaux.
La France vise ainsi d’ici juin un accord sur la lutte contre la déforestation importée. Le principe : garantir que les produits achetés et consommés ne participent par à la dégradation des forêts ou à leur pure et simple destruction dans leur pays de production. La Commission propose un mécanisme dit de « diligence raisonnée » fermant le marché européen aux produits participant à la déforestation.
Dans la ligne de mire : le soja, la viande de bœuf (et le cuir), l’huile de palme, le bois (et les meubles), le cacao (et le chocolat) ainsi que le café.
Dans le même état d’esprit, la France soutient le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, dont l’entrée en vigueur est prévue en 2023 et qui doit permettre l’importation de produits plus respectueux du climat et de l’environnement tout en évitant les délocalisations d’entreprises européennes dans des pays tiers. Les clauses miroirs, que l’agriculture et l’agroalimentaire français appellent de leurs vœux relèvent également du même principe.
Autre pendant du développement durable, le respect des droits humains est également au cœur des travaux de l’UE qui souhaite exclure le travail forcé des chaînes d’approvisionnement en imposant des clauses sociales dans les accords commerciaux bilatéraux. A l’automne dernier, lors de son discours annuel sur l’état de l’Union, Ursula von der Leyen a annoncé l’intention de la Commission de proposer d’interdire la vente de produits issus du travail forcé.
Pas de nouveaux accords commerciaux en vue
Autre « canal » permettant d’utiliser le commerce comme vecteur de la transition écologique : les accords commerciaux. Pour l’instant les négociations avec, entre autres, le Mercosur, la Nouvelle-Zélande et l’Australie, sont au point mort et aucun nouvel accord n’est prévu. Le temps pour la Commission de muscler ses outils juridiques.
Si l’Union européenne n’a pas prévu de conclure de nouveaux accords, elle travaille à la révision de son plan d’action en 15 points mis en place en 2018 pour renforcer la mise en œuvre et l’application des chapitres consacrés au développement durable dans les accords commerciaux passés par l’UE. Et qui ne prévoyait aucun mécanisme de sanctions, jugées inefficaces et ne faisant pas consensus à l’époque parmi les Etats membres.
Mesures miroirs, clauses sociales, taxe carbone… Les outils pour favoriser des échanges commerciaux vertueux sur les plans environnemental et social sont en cours d’élaboration et sujets parfois d’âpres débats entre pays membres.
Rien ne se fera sans l’OMC
Certains observateurs y voient aussi un risque de fermeture du marché européen. « Des mécanismes comme celui de l’ajustement carbone aux frontières sont la bonne solution, s’est défendu Franck Riester. A condition qu’ils soient compatibles avec les règles de l’OMC, c’est tout le contraire du protectionnisme. »
Une position que n’a évidemment pas démenti Ngozi Okonjo-Iweala, au cours d’une conférence de presse commune avec Franck Riester avant le début de la conférence. La directrice de l’OMC a cependant appelé à une coordination internationale pour la mise en place des mesures de décarbonation. « Pour éviter des discriminations entre les pays producteurs, il faudrait peut-être une approche globale sur le prix de la tonne de carbone : il existe aujourd’hui 70 tarifications dans le monde. »
Hasard du calendrier, la veille de cette conférence sur le commerce et le développement durable, Bruxelles a engagé une procédure auprès de l’OMC contre la Chine en raison de ses pratiques discriminatoires à l’encontre de la Lituanie. Depuis que cette dernière a accueilli une « bureau de représentation de Taïwan », elle fait l’objet de mesures de rétorsion de la part de Pékin, refusant par exemple le dédouanement de marchandises lituaniennes.
A la recherche d’un instrument européen « anti-coercition »
Selon les Echos, la Chine aurait exercé des pressions sur des entreprises européennes afin qu’elles excluent les produits lituaniens de leurs chaînes d’approvisionnement. Pour Bruxelles, ces actions vont à l’encontre des règles de l’OMC. Ngozi Okonjo-Iweala n’a pas souhaité s’exprimer sur ce contentieux en cours.
Toujours est-il que pareille situation souligne la pertinence d’un instrument « anti-coercition ». Celui-ci a été présenté en décembre dernier par la Commission européenne, mais n’a pas encore été validé par les États membres et le Parlement européen.
Du côté de l’OMC, la question du blocage de l’organe de règlement des différents est remise aux calendes grecques depuis l’annulation de la douzième conférence ministérielle (dite CM-XII) qui devait de tenir début décembre 2021 à Genève.
Dans ce contexte, longtemps accusée de manquer de fermeté, voire de faire preuve de naïveté, vis-à-vis de ses partenaires commerciaux, l’Union européenne doit aujourd’hui résoudre une équation à entrées multiples pour les entrainer vers une décarbonation de l’économie mondiale.
Sophie Creusillet