Entré en vigueur le 1er janvier, le Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP) a donné naissance à la plus grande zone de libre-échange au monde réunissant 15 pays d’Asie et du Pacifique*. Si sa portée symbolique est forte, son impact sur les entreprises européennes, notamment françaises, ayant des activités en Asie, devrait cependant être limité selon les témoignages que Le Moci a recueillis.
Une intégration régionale renforcée grâce à la suppression des droits de douane sur 90 % des produits échangés d’ici 20 ans, une simplification des procédures commerciales, deux milliards d’habitants et 30 % du PIB mondial concernés…
Le RCEP constitue aujourd’hui la plus importante de zone de libre-échange au monde polarisée autour de la Chine, depuis le retrait de l’Inde des négociations en 2019. Que va changer cet accord dans le quotidien des entreprises françaises qui de développent en Asie ?
Avec un taux de 40 % de contenu régional, la semi-production est de mise
« Les entreprises qui produisent ou assemblent dans la région sont concernées par cet accord, constate Michel Beaugier, président du comité des conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF) de Singapour et de la commission Asie-Pacifique du conseil national des CCEF. Les produits peuvent circuler librement dans les pays du RCEP à condition qu’au moins 40 % de leur valeur ajoutée y soient produits, mais comme c’est l’entreprise qui estime cette part, elle peut y mettre ce qu’elle veut. Pour cette raison mon conseil aux PME qui veulent s’implanter dans la région est de faire des semi-productions. »
Quand aux entreprises qui commercent avec ces pays depuis l’Europe « l’impact n’est pas colossal » selon l’économiste Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques Delors. « Les premières estimations montrent que, en valeur, l’Union européenne est certes le bloc régional le plus touché mais avec une baisse de seulement 1,7 % des exportations vers les pays du RCEP. »
Les négociations commerciales entre l’UE et les pays de la région au point mort
De fait, le RCEP apporte peu au regard du réseau déjà très dense d’accords de libre-échange régionaux ou bilatéraux déjà actifs dans la région.
Pour Hervé Ochsenbein, chef du Service économique régional pour l’Asean, basé à Singapour, « sur le plan technique, le Partenariat transpacifique, qui a des ambitions plus élevées que le RCEP et évidemment les deux accords de libre-échange avec l’UE entrés en vigueur respectivement en 2019 (avec Singapour) et 2020 (avec le Vietnam) ont des effets plus directs pour nos entreprises ».
Après une intense phase de négociations entre 2015 et 2020, l’Union européenne n’a pour l’heure pas conclu d’accord avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou l’Indonésie. « La Malaisie qui a entamé des négociations en 2010, mais aussi la Thaïlande en 2013, ainsi que les Philippines sont également des cibles intéressantes pour l’UE », selon Elvire Fabry.
Des opportunités dans les pays de l’Asean en quête de diversification
Et pourquoi pas un accord UE-RCEP ? « L’Europe ne fait pas partie de RCEP, au grand dam de nombreuses PME, regrette Michel Beaugier. La seule alternative reste les accords de gré à gré entre l’UE et Singapour, le Vietnam, la Corée du Sud et le Japon. »
Reste que l’intégration régionale proposée par le RCEP va clairement poser la question de la compétitivité des entreprises européennes et de leur capacité à capter une classe moyenne en pleine explosion, estimée à 800 millions de personnes rien qu’en Chine. D’autant que, fait majeur entre la signature du RCEP, en novembre 2020, et son entrée en vigueur, le marché chinois s’est fermé progressivement aux investisseurs étrangers.
La suprématie chinoise sur la région depuis le retrait de l’Inde des négociations sur le RCEP, en novembre 2019, pourrait paradoxalement jouer en faveur des Européens. « Les voisins de la Chine se montrent très prudents sur son hégémonie et sont en recherche de diversification, explique Elvire Fabry. Comme ils ne veulent pas se trouver sous la menace de sanctions en traitant avec les USA, en raison de l’extraterritorialité du droit américain, l’alternative européenne est la plus séduisante pour eux ».
En attendant, selon une étude menée par deux professeurs de l’Université Johns Hopkins, et abondamment citée par les sources officielles chinoises, le RCEP devrait accroître le commerce mondial de près de 500 milliards de dollars (Md USD) par an à l’horizon 2030 et augmenter les revenus mondiaux de 263 Md USD par an. Les deux économistes estiment par ailleurs que les revenus régionaux devraient progresser de 245 Md USD et que la plus grande zone de libre-échange au monde devrait créer 2,8 millions d’emplois dans la région.
Sophie Creusillet
* La Chine, la Corée du Sud, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ainsi que les 10 pays membres de l’Asean (Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Brunei, le Vietnam, Laos, Birmanie, Cambodge).