Par Etienne Vauchez et Jean-Christophe Fromantin
Soyez le bienvenu monsieur Lellouche ; mais vous arrivez dans une boutique qui vient de perdre un tiers de ses parts de marché en 10 ans ! La part de marché de la France dans les exportations mondiales est en effet passée de 6 % à 4 % entre 2000 et 2010, quand sur la même période celles de l´Allemagne ou de l´Espagne se sont maintenues respectivement à 10 % et à 2 %*. Dans ce domaine on performe moins bien que l´Espagne, c´est inquiétant non ?
C´est que le terrain de la prospection export a beaucoup changé en 10 ans, mais les concepts de votre ministère n´ont pas évolué aussi vite.
Depuis 2000 les nouveaux marchés sont à gagner non pas au sein de l´UE, mais dans les pays émergents, des pays lointains où les PME ont du mal à se mouvoir, à comprendre les marchés, à gagner la confiance des acheteurs. Et pourtant le dispositif public d´aide à l´exportation continue à appliquer le même modèle : il donne à la PME une étude de marché, il lui organise des rendez-vous, et lui conseille de bien faire le suivi des contacts. En fait très peu de PME ont le temps ou les moyens de comprendre des marchés aussi complexes que la Turquie ou le Brésil, de gagner la confiance d´acheteurs russes, indiens ou chinois. Au résultat on obtient des PME qui prospectent massivement en utilisant les dispositifs publics, attendent vainement des retombées commerciales, et donc in fine des PME affaiblies, frustrées, et déçues par l’exportation.
Il faut repenser l´écosystème de l´exportation pour aider les PME à vendre à l´export, et non pas à comprendre les marchés ; il faut raisonner en partant du résultat : pour vendre, il faut gagner la confiance de l´acheteur, et pour cela, il y a deux solutions: soit créer la confiance ex nihilo, ce qui peut prendre des années pendant lesquelles on ne vendra rien, soit trouver un intermédiaire commercial qui dispose déjà de la confiance de certains acheteurs, et vous en fait bénéficier. Ces intermédiaires commerciaux ce sont les sociétés d’accompagnement international (SAI), les sociétés de commerce international (SCI), les négociants, les agents, les bureaux d´étude, qui bénéficient déjà de la confiance d´acheteurs, acquise au travers d’opérations antérieures. C´est la base des affaires en Asie, par exemple. En Chine cela porte même un nom : guanxi, le réseau ; un Chinois ne fait pas d´affaires significatives en dehors de son guanxi, il n´a pas confiance.
Ainsi Monsieur le ministre, une de vos priorités pourrait être de réactiver les intermédiaires français du commerce extérieur, via les communautés françaises à l´étranger, les fédérations de négociants, de traders ou de consultants, qui ont été marginalisés depuis des années par le dispositif public. C´est un objectif avec un fort effet de levier, car chaque intermédiaire fait exporter des dizaines de PME, et il ne coûte rien à l´Etat. Pour vous en convaincre regardez la fédération allemande des intermédiaires du commerce international, la BGA : des milliers de sociétés adhérentes contre une centaine pour son équivalent français ; l´Allemagne, une grande nation industrielle, mais qui a su entretenir ses intermédiaires commerciaux, n´est-ce pas intrigant ?
C´est aussi Internet qui a bouleversé la donne depuis 10 ans. Ce fut d´abord l´accès facilité à l´information, puis le développement massif des places de marché en ligne. Je ne citerai ici qu´un seul exemple, le site chinois Alibaba.com, 8 milliards de dollars de capitalisation boursière. Ce site est devenu la plus grande place de marché en Asie et dans le monde ; il présente les produits de près de 2 millions d´entreprises, notamment asiatiques, mais également des dizaines de milliers de sociétés françaises qui ne trouvent pas de meilleure solution pour être visibles sur l´internet que ce site où 90 % des fournisseurs sont asiatiques, donc beaucoup moins cher. Devoir passer par une plateforme chinoise pour pouvoir vendre des produits français c´est inquiétant non ? Désormais seule une plateforme à l´échelle européenne aurait une chance de concurrencer Alibaba, car tout le monde se bat sur les mêmes mots clés, et il n´y a que 10 sites listés sur la première page de résultats de google ; une place de marché européenne, c´est un projet que vous pourriez soutenir…
Food for thoughts Monsieur le ministre !
Etienne Vauchez, président de GlobalTrade.net, vice-Président de l´OSCI
Jean-Christophe Fromantin, président de Export Entreprises
*Cf. Patrick Arthus, « Où la France perd-elle des parts de marché et sait-on pourquoi ? »- Article paru dans le bulletin Flash Economie de Natixis du 3 Novembre 2010.