La troisième édition du « get together » annuel des trois principaux syndicats patronaux allemand, italien et français (BDI, Confindustria et Medef) s’est tenue à Paris les 9 et 10 novembre. Elle a démontré que les trois organisations attendaient encore des réponses de la part de l’Europe et de leurs gouvernements respectifs à cette question cruciale : qui va payer la transition énergétique ?
Le green deal européen donne des sueurs froides aux patronats européens.
Si l’Union européenne n’est responsable « que » d’environ 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, les chances d’aboutir à un résultat tangible en termes de réduction des émissions seront limitées, sans engagement réel des grandes économies mondiales.
Cela exposera les entreprises aux distorsions de concurrence et aux risques de fuite de carbone, ces hausses d’émissions dans les pays tiers, suite à la mise en œuvre de politiques climatiques plus ambitieuses par certains pays ou régions. Un phénomène qui nuit à l’efficacité des politiques climatiques, comme le souligne la DG Trésor dans une note de mars dernier.
Ce problème d’asymétrie fait partie de quelques-unes des constatations unanimement partagées par Siegfried Russwurm, président du BDI, Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef et Carlo Bonomi, président de Confindustria et énoncée dans leur déclaration finale commune.
Moins de carbone, c’est bien mais qui paie l’addition ?
« En dehors des matières premières, la mise en place de la taxe carbone aux frontières de l’Europe sans destruction d’emploi risque de se transformer en usine à gaz », a déclaré le patron du Medef en introduction de la conférence de presse organisée le 10 novembre au siège du syndicat patronal français. Pragmatique, Siegfried Russwurm a appelé de ses vœux la création d’un « Club carbone » réunissant les pays européens fonctionnant sur les mêmes standards en matière environnementale pour faciliter le déploiement du green deal.
La question essentielle qui agite les trois grandes organisations patronales européennes est plus terre à terre : qui va payer pour la transition énergétique ? Avec l’augmentation du prix de revient, les entreprises réfléchissent aux meilleurs moyens de faire passer leurs hausses de coûts de production sur leur chaîne de valeur en aval, BtoC ou BtoB.
Le réveil est d’autant plus brutal pour tout le monde que la transition écologique se double d’un deuxième défi : celui de la transformation digitale de nos sociétés et écosystèmes. Des aides aux investissements de décarbonation des outils de production industrielle sont certes prévues dans le cadre du plan France Relance et le dispositif est accessible jusqu’au 31 décembre 2022 mais si l’on en croit l’étude récemment publiée par HSBC et le Boston Consulting Group, ce sont près de cent mille milliards de dollars qui seront nécessaires pour rendre les supply chain mondiales moins émettrices de carbone à l’échelle mondiale.
Comptabiliser les investissements bas carbone dans la taxonomie
Le volet « décarbonation de l’industrie » du plan de relance annoncé par le gouvernement en septembre 2020 et doté d’une enveloppe totale de 1,2 milliard d’euros d’ici 2022, dont 200 millions d’euros en 2020, est pertinent mais sous-dimensionné.
En Allemagne, où une coalition tricolore est prête à gouverner (SPD, Verts et libéraux du FDP), le gouvernement a prévu de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 65 % d’ici à 2030 et d’atteindre la neutralité carbone en 2045, « le coût de la transition énergétique se chiffre aux alentours de 860 milliards, soit environ 100 milliards d’euros par an », a précisé Siegfried Russwurm.
Le Medef, quant à lui, estime qu’une augmentation du prix du CO2 serait une bonne chose afin de donner un cap sur les investissements de long terme aux entreprises.
À cet égard, les trois organisations patronales s’accordent pour dire que tout investissement dans les énergies décarbonées ainsi que dans les énergies bas-carbone devra être intégré dans la taxonomie européenne. Ce règlement européen vise à établir une classification des activités économiques permettant de déterminer celles qui peuvent être considérées comme durables sur le plan environnemental.
Carlo Bonomi, président de Confindustria, a également insisté sur la nécessité d’avoir un cadre fiscal général adapté pour ne pas tuer la croissance post-pandémie dans l’œuf. En Italie, les entreprises doivent payer un impôt national sur les sociétés (IRES – Imposta sul Reddito delle Società) sur les bénéfices ainsi qu’un impôt régional sur les sociétés (IRAP – Imposta Regionale sulle Attività Produttive). Ce dernier devrait être progressivement éliminé au profit d’une fusion avec l’IIRES.
Une politique d’allègement fiscal évidemment appréciée par ces deux confrères. Rappelons que l’impôt sur les sociétés est de 15,8 % en Allemagne. En France, l’impôt sur les sociétés (IS) a évolué ces dernières années. En 2021, le taux unique a été réduit à 26,5 % (les sociétés dont le chiffre d’affaires dépasse 250 millions d’euros sont imposés à 27,5 %) et en 2022, il doit passer à un taux unique de 25%.
Une énergie bon marché pour ne pas handicaper la relance
Autre paramètre important influant sur la compétitivité des entreprises : le coût de l’énergie. Là où la France a fait le choix du nucléaire, l’Allemagne et l’Italie l’ont abandonné.
En évoquant début septembre son intérêt pour les réacteurs de quatrième génération, Roberto Cingolani, ministre de la Transition écologique italien, a créé la stupeur dans son pays qui a refusé le nucléaire à deux reprises par voie référendaire, une fois en 1987 après la catastrophe de Tchernobyl et une fois en 2011 sous Silvio Berlusconi.
Chose sûre, un marché européen de l’énergie unifié est impossible à réaliser. Sur le gaz, cela pourrait être s’envisager mais pas sur l’électricité, compte tenu de la diversité des prix et des sources à l’échelle du Vieux Continent, se sont accordés à dire les trois patrons de patrons.
Interrogé en conclusion sur ses attentes de la présidence française de l’Union européenne, du moins sur les trois ou quatre premiers mois de 2022 avant le scrutin présidentiel, Geoffroy Roux de Bézieux a cité les questions de souveraineté technologique et d’indépendance vis-à-vis de la Chine et des États-Unis ainsi que d’avancement sur des chantiers structurants liés au digital.
Emmanuelle Serrano