La consultation publique lancée par la Commission européenne sur l’intégration des critères liés au développement durable dans la politique commerciale de l’Union prendra fin le 31 octobre. Pour nourrir la réflexion, le ministère français des Affaires étrangères a organisé le 13 octobre une conférence sur « les accords commerciaux comme levier pour le développement durable ». L’occasion de faire le point sur les défis qu’ils posent aujourd’hui à l’UE et aux entreprises.
Si la crise sanitaire aura au moins eu une vertu, c’est d’avoir mis sur le devant de la scène les questions de développement durable et leur délicate articulation avec le commerce international. La tendance n’est certes pas nouvelle, mais le contexte actuel en souligne l’urgence.
En témoignent les travaux de la Commission européenne sur la révision du plan d’action en 15 points mis en place en 2018 pour renforcer la mise en œuvre et l’application des chapitres consacrés au développement durable dans les accords commerciaux passés par l’UE. Et qui ne prévoyait aucun mécanisme de sanctions, jugées inefficaces et ne faisant pas consensus parmi les Etats membres, à l’époque au nombre de 28.
Renforcer les mesures contraignantes et aller jusqu’aux sanctions
Trois ans et une pandémie plus tard, le ton a changé. « Dans l’avenir, il va nous falloir des leviers plus efficaces », a estimé Franck Riester en préambule de cette conférence qu’il a présidé le 13 octobre au ministère des Affaires étrangères. « Il faut revoir la rédaction des clauses existantes pour renforcer leur aspect juridique et préciser les sanctions mobilisables », a enjoint le ministre délégué au commerce extérieur.
Ce plan comportait en effet certaines demandes portées par la France comme la mention de l’accord de Paris dans tous les accords commerciaux, les incitations à ratifier les conventions de l’OIT (organisation internationale du travail) et les AME (accords multilatéraux environnementaux) en amont des négociations commerciales ou encore des mesures pour assurer plus de transparence et de participation de la société civile dans les négociations.
La difficile mise en place de référentiels environnementaux
Par-delà les débats sur l’éventuelle mise en place de clauses-miroirs, d’un système de conditionnalité tarifaire ou de la possibilité de suspendre un accord commercial, la politique qui se dessine pose des questions et des défis concrets aux entreprises.
En particulier pour les celles qui travaillent beaucoup à l’export comme dans l’habillement de luxe qui exporte à 90 %, comme l’a rappelé Pascal Morand, le président de la Fédération de la haute couture et de la mode (notre photo). « Dans la profession, nous sommes très désireux de mettre en place des référentiels environnementaux et sociétaux » a-t-il indiqué.
Quel outil utiliser pour garantir la traçabilité d’un produit ? Comment mesurer sa durabilité ? Selon quels critères élaborer des référentiels ?
L’exemple de la filière « mode et luxe »
Telles sont les questions pratiques qui animent le comité stratégique de filière « mode et luxe » qu’il préside également. « Articuler le commerce international et le respect de l’environnement c’est poser des principes qui sont ceux de l’économie circulaire, mais comment se concrétise-t-elle ? ».
Ce comité de filière travaille actuellement à des solutions pour assurer la traçabilité des produits tout au long de la chaîne d’approvisionnement « qui reposent sur la block chain, mais pas uniquement ». Il réfléchit également à une méthodologie permettant de mesurer la durabilité.
« Dans le cas du textile de grande consommation, les analyses des cycles de vie raisonnent en termes de produit, mais avec des acteurs comme la Chine, le Bangladesh, le Pakistan ou le Vietnam, se pose également la question des volumes ». Cette question de la mesure, de la mise en place de référentiels méthodologiques clairs et précis, se pose pour les entreprises mais aussi pour les Etats. Selon quels critères déterminer l’impact environnemental d’une politique commerciale ?
La politique commerciale de l’UE ne peut pas tout
C’est la question qu’a posé Stefan Ambec dans son rapport sur l’évaluation du projet d’accord UE-Mercosur en 2019.
Alors qu’un rapport de la Commission européenne estimait que la baisse des droits de douane sur la viande de bœuf brésilien pendant six ans avait eu pour conséquence un gain économique supérieur au coût climatique, ses travaux ont montré le contraire. « Le modèle de ce rapport ne prenait pas en compte la déforestation, alors qu’il existe aujourd’hui des moyens techniques permettant de la mesurer précisément » a indiqué Stefan Ambec. Résultat : 700 000 hectares déforestés en six ans pour produire plus de soja.
Une conclusion qui revient à affirmer que la consommation européenne a un impact environnemental à l’autre bout du monde.
« La politique commerciale est un levier important du développement durable, mais elle ne peut pas tout et ne remplace pas les politiques brésiliennes en matière d’environnement », a toutefois tempéré Maria Martin-Prat de la direction générale du commerce à la Commission européenne. D’autant que, comme l’a souligné Stefan Ambec avec l’exemple de l’Amérique latine, les pays partenaires de l’Union ont rarement des standards aussi exigeants qu’en Europe (utilisations de certains pesticides, marquage au fer rouge du bétail…).
Pour Franck Riester, « l’idée n’est pas de se substituer ». « Même si ce n’est pas la seule réponse, utiliser la politique commerciale pour que nos partenaires respectent des règles et des valeurs qui nous sont chères me semble utile ».
Pandémie oblige, cette réponse a pris du retard. Initialement prévue en 2021, la révision du plan en 15 points devrait intervenir courant 2022.
Elle est attendue par les entreprises travaillant à l’international, mais aussi par les consommateurs, sensibilisés par la crise sanitaire aux questions de souveraineté alimentaire, de traçabilité et de respects des droits. Selon le Future Consumer Index publié par Ernst & Young en septembre 50 % des habitants des pays développés prennent davantage en compte des critères de développement durable dans leurs achats (61 % en France).
Sophie Creusillet