Les rencontres Ambition Africa ont réuni à Paris, au centre de conférence du ministère de l’Economie et des finances, près de 900 décideurs africains et français pour deux jours de conférences et de rendez-vous BtoB. Le temps de l’Afrique est-il venu pour les PME et ETI françaises ?
La question a été posée en plénière. Au regard du nombre de rendez-vous BtoB calés entre les 400 dirigeants d’entreprises africaines et les 350 dirigeants d’entreprises français présents, il y a de l’envie : 1200 rendez-vous était programmés sur les deux journées dans les salles attenante à la salle plénière, un score plutôt réjouissant pour cette reprise des contacts en présentiel en sortie de crise.
Priorité haute pour les autorités françaises
Côté autorités françaises, la priorité africaine affichée reste haute, avec un accent mis sur l’entrepreneuriat et les partenariats « gagnant-gagnant », nouveau leitmotiv du discours politique sur l’Afrique. Elle devait continuer à être brandie lors de l’événement BIG de Bpifrance, à l’Accor Arena de Bercy le 7 octobre, et surtout lors du Sommet Afrique France de Montpellier le 8 octobre, organisé sur un format moins institutionnel et plus ouvert aux entreprises et aux diasporas africaines que les Sommet politiques traditionnels.
Franck Riester, le ministre délégué au Commerce extérieur, a rappelé la nouvelle orientation introduite par Emmanuel Macron depuis 4 ans :« nous voulons changer le regard que la France porte sur l’Afrique et le regard que l’Afrique porte sur la France », a indiqué le ministre, ajoutant qu’il s’agit également de « renforcer les synergies entre les communautés d’affaires africaine et française ». Lui-même a déjà effectué 4 visites en Afrique en un, au Maroc, en Afrique du Sud, au Nigeria, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Il se rendra bientôt en Afrique orientale (Tanzanie, Ouganda, Kenya) avant un déplacement en Mauritanie et au Soudan.
Il s’inscrit dans la dynamique créée par le Sommet sur le financement de l’Afrique dans l’ère post-Covid organisé à l’initiative de l’Elysée en mai dernier, qui a permis l’émergence d’une première solution pour combler le besoin de financement du continent d’ici 2025 (285 milliards d’euros), avec l’idée d’y consacrer une partie de l’enveloppe de droits de tirages spéciaux (DTS) du FMI (30 milliards sur 150 milliards de dollars) dont dispose les pays riches. L’AFD, de son côté, s’est vu confer la mission de mobiliser 3,5 milliards d’euros sur l’initiative Choose Africa, qui vise à attirer les investissements privés en Afrique.
Une traduction concrète est le soutien de la France à l’initiative sud-africaine pour la création d’unités de production de vaccins anti-covid sur le sol africain. « On est en train de négocier des conventions de prêts pour créer des unités de production locales » a assuré Bertrand Walckenaer, directeur général adjoint de l’AFD, en plénière. Il a aussi rappelé que l’Afreximbank avait mobilisé une enveloppe de 3 milliards d’euros pour soutenir la création d’une industrie locale dans ce domaine.
« Le temps des grandes opportunités en Chine est révolu pour les PME »
Côté commercial, Christophe Lecourtier, directeur général de Business France, organisateur de ces rencontres, s’est montré plus direct et tranché qu’à son habitude, égrenant les opportunités disparues avec la Covid-19 : « le temps des grandes opportunités en Chine est révolu pour les PME », « l’Amérique latine est un continent en berne pour un certain temps » et « l’Asie du sud-est est fermées aux échanges humains depuis 18 mois et va le rester encore pour quelques mois ».
Or, pour lui, « tous les enjeux du développement de l’Afrique » peuvent trouver chez les PME françaises des solutions. « Aujourd’hui, on n’a vraiment plus le choix », a-t-il conclu. Business France à fait de l’Afrique une de ses trois priorités géographiques avec 12 implantations, 75 collaborateurs en poste, 67 prestataires privés référencés et une couverture de 32 pays, un accélérateur Afrique monté avec Bpifrance. La Covid-19 a toutefois entravés les opérations en 2020 : 700 entreprises accompagnées contre 1500 en 2019, dont 224 sous la forme du recrutement de volontaires internationaux en entreprises (448 VIE en poste en Afrique).
Les personnalités officielles africaines ne l’ont pas démenti, y allant chacune de leur conseil aux PME françaises. « Ces trois dernières années, nous avons fait beaucoup de business avec les Français, continuez à faire ce que vous faites » a lancé Phumzile Langeni, envoyée spéciale du président sud-africain Ramaphosa pour les investissements étrangers.
« Pensez large », « ne regardez pas qu’un seul pays » a conseillé la ministre rwandaise des TIC et de l’innovation Paula Ingabire. « Venez vous installer avec des partenaires et pas que des employés » a recommandé le ministre ivoirien de la promotion des PME, Félix Anoble, après avoir appelé les entreprises françaises à « assumer sans complexe leur histoire et leur culture ».
Le temps de l’Afrique ? Qu’en pensent les représentants des milieux d’affaires ?
Face à la concurrence chinoise, se différencier
Face à la concurrence chinoise, il faut d’abord que les entreprises françaises jouent leur différence sans complexe. Le très francophile homme d’affaire malgache Ylias Akbaraly, président de Redland (nouvelle holding du groupe Sipromad & Thomson Broadcast) a raconté que pour un de ses projets agro-industriels, il se fournissait auprès d’une entreprise française basée à Toulouse pour certaines machines : « elle nous accompagne, elle nous forme » a -t-il relaté, ajoutant que « nous avons eu cela avec plusieurs entreprises françaises ».
Dans les systèmes transmission pour la télévision terrestre que vend sa filiale française Thomson Broadcast, héritage de Thomson, il a aussi raconté avoir été en concurrence face à une entreprise chinoise livrant des installations clés en mains sans transférer les clés …
Redland a, durant la Covid-19, mûri des projets dans l’agriculture ou l’agro-industrie qu’il met en œuvre aujourd’hui dans une dizaine de pays africains, sans compter les marchés remportés par Thomson Broadcast. « En Afrique, en tant qu’entreprise française, nous n’avons pas de difficultés particulière », a-t-il complété, recommandant également aux Africains comme aux Français de tourner la page de la Françafrique pour avancer.
« Ne pas lire les rapports, allez sur le terrain »
Sur la question du « doing business » sur des marchés africaines qui ont leurs spécificités en matière de culture des affaires, avec un relationnel essentiel, et des risques, François Tartarin, directeur Afrique et Asie de CIM group, entreprise française spécialisée sur les projets ferroviaires, a donné ses mots clés : « patience, ténacité, persévérance ».
En écho à Christophe Lecourtier, Abdou Diop, directeur général de Mazars Maroc a souhaité pour sa part que l’Afrique ne soit pas considérée par les entreprises françaises comme un marché « par défaut » mais plutôt comme un marché stratégique. Il a aussi salué la fin du rapport Doeing Business de la Banque mondiale, dont les indicateurs très synthétiques ne reflètent pas, selon lui, les réalités du business : « la première qualité requise [pour réussir en Afrique] est de ne pas lire ces rapports mais d’aller sur le terrain » a-t-il très justement déclaré.
Ylias Akbaraly a lui aussi mis l’accent, à sa manière, sur l’importance de nouer des relations interpersonnelles avec les interlocuteurs en Afrique, de prendre le temps de les écouter et de les comprendre : l’amitié, la famille, « ce n’est pas du temps perdu, c’est enrichissant et ça fait partie des affaires » a-t-il observé.
Et les financiers ? Pour Selin Ozyurt, Economiste senior France & Afrique chez Euler Hermes, la réponse est oui, sans hésiter, c’est le temps de l’Afrique : la Covid-19 a révélé la fragilité des chaînes de valeur et la dépendance vis-à-vis de l’Asie et des Etats-Unis « alors que nous avons l’Afrique à côté » a-t-elle notamment observé.
Même ton chez Laurent Goutard, responsable Afrique, bassin méditerranéen et Outre-mer de Société Générale, seule grande banque française a avoir maintenu un réseau de filiales sur le continent dans les années 90/2000 lorsque la plupart des banques européennes s’en retiraient : « La Covid a été une crise difficile mais au final s’est transformée en opportunité » a-t-il indiqué, saluant la résilience dont a fait preuve le continent. « Nous, nous y croyons fortement ».
Christine Gilguy
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