Avec 66 bureaux, répartis dans 21 pays et 992 collaborateurs (dont la moitié en France), l’ETI lyonnaise Clasquin, spécialiste de l’organisation du transport et de la logistique à l’international, résiste à la concurrence des géants mondiaux. Elle a même surperformé en 2021, dans un contexte agité de dérèglement du secteur. Comment ? Entretien exclusif avec Hugues Morin, P-dg de l’entreprise (notre photo).
Le Moci. Clasquin est spécialisé dans l’organisation des transports (maritime, aérien, rail et route) et de la logistique à l’international. Vous avez donc été en première ligne lorsque la crise Covid est venue dérégler les flux du commerce international. Quel bilan tirez-vous de cette année ?
Hugues Morin. Nous avions prévu une croissance de 12 % en 2020, dans la lignée de nos performances des années précédentes mais nous avons rapidement compris, grâce à nos bureaux chinois, que cette année serait spéciale. 2020 a été une année de stop and go permanent de nos clients, je n’avais jamais vécu cela. Habituellement, nous avons une visibilité à 6 mois mais en 2020 les clients interrompaient subitement toutes leurs commandes, puis les relançaient en urgence.
« Nous sommes allés chercher des aides
dans tous les pays où nous sommes implantés »
Nous avons mené un plan d’ajustement pour nous préparer au pire, ce qui nous a permis de ne pas licencier. Nous sommes allés chercher des aides dans tous les pays où nous sommes implantés. Selon les zones, elles n’étaient pas du même ordre (activité partielle en France, aides à l’emploi en Chine, suspension des contrats de travail aux États-Unis par exemple) mais elles nous ont permis de passer l’orage. L’ensemble du management a par ailleurs accepté une baisse temporaire de salaire (-15 à -30 %). Enfin, nous avons travaillé sur le sujet de la trésorerie de l’entreprise, nous avions des inquiétudes sur les capacités de paiement d’un certain nombre de clients.
Le Moci. Financièrement, vous avez donc conclu 2020 sous quels auspices ?
Hugues Morin. Nous avons terminé avec un chiffre d’affaires de 392 millions d’euros, contre 331 millions d’euros en 2019, mais avec 251 561 opérations (soit -8,1%/2019). Dans un contexte fortement récessif, nous avons réussi à maintenir notre marge commerciale brute à un niveau équivalent à 2019, grâce notamment à l’adaptation de notre offre à la situation et au développement de certaines zones géographiques (Allemagne : +62 %, Corée : +59 %, Chine : +11%, etc.).
Sur le maritime,
« nous constatons des tarifs sept à huit fois plus élevés »
Le Moci. Adaptation de votre offre, c’est-à-dire ?
Hugues Morin. Nous avons par exemple opéré des vols charters. Pour le groupe Auchan, nous avons affrété dès le mois de mars un Antonov afin d’acheminer rapidement en France des masques et des blouses. Nous avons pu embarquer 980 m3 de marchandises dans cet avion. Nous avons aussi affrété, plus récemment, un train complet de marchandises depuis la Chine.
Nous avons également lancé notre offre digitale. Elle était en préparation depuis plusieurs années, la crise est venue accélérer notre stratégie sur ce sujet. Elle a été lancée en novembre 2020, et déjà 24 % de nos clients l’utilisent. Elle permet de simplifier les process de commandes d’une part mais aussi d’assurer à nos clients un meilleur pilotage. Chacune de nos transactions fait appel à au moins huit fournisseurs : notre plateforme « Live » donne de la visibilité et un suivi très précis à nos clients, ce qui leur permet de prendre les bonnes décisions pour leur supply chain.
Le Moci. Dans le contexte actuel, c’est encore plus important qu’avant ?
Hugues Morin. Oui, très clairement, car nous constatons un dérèglement, en particulier sur le transport maritime, qui durera au moins jusqu’à la fin du premier semestre 2022. Il n’y a plus de fiabilité, il est difficile de prévoir quand les marchandises partent et quand elles arrivent. Cela pose des problèmes très importants pour nos clients chargeurs, en termes de logistiques et de stocks.
Le Moci. Les prix ont également beaucoup augmenté…
Hugues Morin. Oui effectivement, sur le transport maritime, nous constatons des tarifs sept à huit fois plus élevés qu’avant la période Covid.
« Les capacités sont insuffisantes :
il manque des navires mais aussi des conteneurs »
Le Moci. Ce dérèglement a-t-il vraiment pour cause unique la crise sanitaire ?
Hugues Morin. Disons que les volumes sont repartis très fortement à la hausse. Nous avons donc actuellement une forte demande avec, en face, une offre qui a été peu travaillée depuis plusieurs années. Les capacités sont insuffisantes : il manque des navires mais aussi des conteneurs car ils n’ont pas été produits en assez grande quantité ces dernières années. Se rajoute à cela la problématique des ports : cet outil n’est pas souple et n’est aujourd’hui pas capable de répondre aux aléas comme on en connait ces derniers mois.
Nos équipes travaillent donc en permanence pour trouver des navires pour nos clients, négocier avec les compagnies maritimes pour chaque conteneur vide. D’ailleurs, pour être plus réactif, depuis cet été, nous louons des conteneurs en direct, sans passer par les compagnies maritimes. Récemment, nous en avons ainsi loué 50 pour 70 jours, pour une solution ad’hoc. Nous travaillons aussi à une solution de « charterisation » de navires. C’est une piste intéressante.
« Nous réfléchissons avec nos clients
sur des alternatives au maritime »
Le Moci. Quelles autres actions mettez-vous en œuvre pour épauler vos clients dans ce dérèglement ?
Hugues Morin. Nous renforçons notre offre de conseil. Sur la couverture des stocks par exemple. Elle est aujourd’hui au plus bas. Nous accompagnons nos clients dans leurs projections de planifications ainsi que dans le repositionnement de leurs stocks. Avec des stocks plus régionaux par exemple.
Et puis, nous réfléchissons avec eux sur des alternatives au maritime. Ce mode de transport représente 90 % des transports aujourd’hui mais il serait utile de mieux doser entre les différents modes existants. Notamment le rail.
Le Moci. Dans cette situation où l’actualité est à la gestion de l’urgence et de la pénurie de transports, vos clients sont-ils demandeurs, ou du moins réceptifs, à des solutions plus vertes ?
Hugues Morin. Il est certain que la priorité numéro 1 du moment est la gestion de la pénurie. Mais cela ne nous empêche pas d’avancer sur le sujet. Notre plateforme digitale mesure en permanence les émissions de C02 générées par le transport des marchandises de nos clients. Cela permet de bien conscientiser l’impact de ces transports. Nous sommes en capacités de designer et bâtir des solutions plus « green », sans que cela coûte plus cher. Il s’agit souvent, avant tout, de bon sens.
« Nous avons l’ambition
de nous développer, et de nous implanter en Afrique »
Le Moci. Quelles sont les perspectives de Clasquin pour 2021?
Hugues Morin. L’année se présente bien pour notre entreprise. Nous venons de publier nos résultats pour le deuxième trimestre, ils sont excellents. A périmètre constant, le chiffre d’affaires a progressé de 68,6 % (mais nous partions d’une base 2020 faible au printemps), et la marge commerciale de 50,1%. Nous avons performé 2,5 fois plus que le marché, avec des prises de parts de marché intéressantes. Notamment en Asie où nous avons conquis la confiance de deux importants e-commerçants.
Parmi nos priorités pour les prochaines années : la diversification de nos flux pour sortir de notre dépendance historique des flux Chine/Europe. Aujourd’hui, nous avons un meilleur équilibre : les flux Amérique du Nord/Asie représentent 7 % de nos « trades », l’Asie/Europe 59%, l’Amérique du Nord/Europe 11 % et l’Europe/Afrique 12 %. Sur ce dernier point, nous avons l’ambition de nous développer, et de nous implanter en Afrique.
Propos recueillis par
Stéphanie Gallo